Press Conference Paris : presentation of the government’s debt reduction project at the Ministry of Economy and Finance.

« En avoir pour mes impôts » : derrière l’initiative de Gabriel Attal, un exercice incomplet

Le lancement du site « En avoir pour mes impôts » a provoqué de nombreuses réactions. Le gouvernement défend un exercice de transparence et de pédagogie, qui aurait pourtant pu être mieux réussi, pour de nombreux observateurs. La gauche critique des présupposés « anti-impôt » du site, tandis que d’autres, même à droite, regrettent parfois un manque de précision et appellent à compléter le dispositif.
Louis Mollier-Sabet

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Ce mardi 25 avril, Gabriel Attal, ministre des Comptes publics, a officiellement lancé l’initiative « En avoir pour mes impôts. » Une démarche qui regroupe un site internet, où « chacun pourra comprendre clairement et précisément comment est utilisé l’argent de ses impôts », explique le communiqué de presse du ministre, ainsi qu’une consultation en ligne « sur les objectifs et les priorités de la dépense publique », dont les résultats seront rendus publics à l’été. Gabriel Attal défend un exercice de transparence et de pédagogie nécessaire pour chacun puisse « connaître et comprendre les dépenses publiques qui sont financées par les impôts qu’ils payent. » Mais, en vantant une « grande opération de transparence » permettant par exemple de savoir « qu’un accouchement coûte 2 600 euros d’argent public » dans la matinale de RTL ce mardi, le ministre a fait réagir.

Accouchements : « Les gens n’ont aucune idée de la facture réelle si la Sécu n’est pas là »

Au-delà de la critique politique de présenter des dépenses de santé comme un « coût », Vincent Drezet, porte-parole d’Attac et fiscaliste, trouve la rubrique du site qui présente les coûts de différents services publics et la partie qui est prise en charge par la collectivité « plutôt intéressante », mais l’aurait présenté autrement : « Dans Une société sans impôts ? je reprenais justement ce genre de coûts pour dire ‘voilà ce qu’il faudrait financer de sa poche sans impôts’, et montrer que tout le monde ne pourrait pas faire face à ces dépenses. Ces données sont intéressantes. »

La sénatrice centriste Nathalie Goulet, qui travaille beaucoup sur la fiscalité, comprend aussi la démarche dans ce sens : « Ce site est une bonne idée. Le citoyen n’a aucune idée du coût des services publics, ni de comment est dépensé l’argent. Quand Gabriel Attal dit qu’un accouchement ça coûte 2600 euros, les gens n’ont aucune idée de la facture réelle si la Sécu n’est pas là. Ma fille habite aux Etats-Unis, je peux vous dire que je sais combien coûtent les actes médicaux là-bas, on ne se rapproche pas de ça et c’est heureux ! »

Un manque de « pédagogie de l’impôt »

Précisément, Vincent Drezet insiste sur un oubli de Bercy : la dimension internationale. « C’est dommage de ne pas parler de politiques fiscales dans le contexte international. Sans nécessairement reprendre les positions d’Attac, la concurrence fiscale, c’est un chantier. » Et sur les questions de santé notamment : « Détailler la prise en charge de la santé, c’est intéressant, mais on aurait aussi pu dire qu’en France, on les prenait en charge de manière collective, alors que dans d’autres pays, comme les Etats-Unis, les dépenses sanitaires ne ‘coûtent’ pas en termes de prélèvements, mais représentent 13% du PIB américain. Cela permet aussi d’expliquer pourquoi on me prélève plus, mais que je paye moins par moi-même. » L’autre grand absent du site « En avoir pour mes impôts », c’est une « pédagogie de l’impôt », pour Vincent Drezet : « Ce sont des informations très généralistes, trop pour avoir une vraie information citoyenne, c’est fait un peu à la va-vite. Par exemple, on aurait pu garder le titre et faire quand même une phrase pour expliquer la différence entre ‘impôts’ et ‘cotisations’. »

"En avoir pour mes impôts"
Crédits photo : Capture d'écran du site "En avoir pour mes impôts." Source : https://www.economie.gouv.fr/enavoirpourmesimpots

C’est en effet une critique qui est faite à la page d’accueil du site (voir photo) qui agrège les dépenses de protection sociale financées par les cotisations et le budget de la Sécurité sociale (retraites, famille, maladie, accident du travail et autonomie), et les dépenses du budget de l’Etat financées par les taxes et l’impôt, sans préciser les différences qui peuvent exister entre ces deux types de prélèvements obligatoires. En particulier, les dépenses de la Sécu sont votées par le Parlement, mais gérées par un système paritaire entre représentants des syndicats et du patronat, pas par l’Etat, même si l’exécutif a l’initiative des orientations budgétaires. Même en restant descriptif, on aurait pu aller plus loin dans la dimension pédagogique, en évoquant les articles 13 et 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme, le consentement à l’impôt, les facultés contributives de chacun. Enfin, en termes de mécanique budgétaires, détailler qui propose et qui vote le budget, comment ça marche et le rôle des parlementaires. C’est très complexe, mais en 5-6 lignes on peut présenter les principes budgétaires fondamentaux. »

La question du contrôle des aides aux entreprises

De même, les catégories présentées ne permettent pas de distinguer la « dépense fiscale », c’est-à-dire les recettes que l’Etat consent à ne pas percevoir, par des crédits d’impôt ou des niches fiscales, notamment. Ces sommes sont pourtant budgétées tous les ans, mais elles apparaissent ici au milieu des dépenses sectorielles ou de recherche. « Il y a pourtant au moins 91 milliards d’euros de niches fiscales, et 86 milliards de dépenses sociales selon la Sécu et plus de 90 milliards selon la Cour des Comptes », détaille Vincent Drezet, qui estime que ces dépenses pourraient être mieux contrôlées et mieux évaluées si l’Etat « encaissait l’argent » et versait « des aides directes plus contrôlées. »

Sans aller jusque-là, Nathalie Goulet estime qu’il y a effectivement un chantier à mener et des « améliorations » à faire sur le contrôle et l’évaluation des dépenses. « Il faut redonner du pouvoir à la Cour des Comptes et au contrôle parlementaire sur les subventions, même sur les crédits d’impôts. On sait qu’il y a eu des millions de fraude pendant le Covid, mais même sans parler de fraude, il y a des erreurs de l’administration qui doivent avoir des conséquences », explique la sénatrice centriste, en citant notamment le logiciel de paie Louvois, lancé en 1996 par le ministère de la Défense, dont la mise en place a été estimée à 80 millions d’euros par la Cour des Comptes, avec 465 millions de coûts indirects entre les moins perçus et les trop-perçus.

« On sent dans le questionnaire un gouvernement assez ‘anti-impôts’ »

« Il y a des décisions ministérielles qui coûtent un pognon de dingue, et à la fin, les contribuables sont les cocus. C’est une bonne démarche, mais elle peut être complétée », résume la sénatrice centriste, qui estime qu’il manque tout de même une partie au questionnaire en ligne proposé par le ministre des Comptes publics : « Il faudrait un espace pour poser des questions ouvertes et faire des propositions. Ce serait un peu le café du commerce mais à la fin, on finirait par avoir des propositions intéressantes, parce qu’au niveau local, les gens connaissent les dépenses du quotidien. Cela permettrait de préciser et décliner localement les informations. »

Vincent Drezet, estime quant à lui que « les questions sont tellement binaires qu’on en devine déjà les conclusions » : « Depuis la crise de 2008 il y a un déficit de consentement à l’impôt et là on a des réponses fermées et simplistes. La seule question ouverte est sur les dépenses que l’on pense qu’il faut baisser. On aurait pu imaginer une question différente sur les dépenses publiques d’avenir par exemple. On a un discours du gouvernement, comme la droite et de l’extrême droite, qui est assez anti-impôt, on le sent dans ce questionnaire et du coup on ne va pas au bout de l’exercice. » La sénatrice Nathalie Goulet conclut sur une note plus positive : « Il y a des améliorations à faire, mais c’est un premier pas. Il va falloir approfondir le dispositif. »

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