Protection d’EDF contre un démembrement : la proposition de loi retourne une troisième fois devant l’hémicycle du Sénat
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Endettée et face à un mur d’investissements : la Cour des comptes alerte sur la santé financière d’EDF

Le rapport de la Cour des comptes sur le modèle financier d’EDF confirme les inquiétudes exprimées sur divers bancs du Parlement. Les magistrats appellent l’Etat à clarifier sur qui reposera le financement des investissements structurels nécessaires, notamment la relance du nucléaire, entre EDF, l’Etat et les consommateurs.
Louis Mollier-Sabet

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« Affichant une dette financière nette de plus de 53 milliards fin 2024, EDF fait face à un programme d’investissement dont le montant cumulé pourrait atteindre jusqu’à 460 milliards € de 2025 à 2040. » Posée ainsi par la Cour des comptes, l’équation relève presque de l’impossible. En rentrant dans le détail du langage feutré des magistrats de la Cour qui ont rendu ce mercredi un rapport sur le modèle économique d’EDF sur saisine de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, le problème est loin de s’éclaircir.

Une facture à 460 milliards d’euros

Du côté des revenus de l’énergéticien, les magistrats identifient une diminution de la rentabilité d’EDF depuis 2012, « pour atteindre à l’aube de la crise des prix de l’énergie, des niveaux ne permettant plus au groupe de créer de la valeur. » C’est ici la baisse de la rentabilité du parc nucléaire français à cause de sa faible disponibilité qui est mis en cause, dont le point culminant a été l’arrêt de nombreux réacteurs à cause de problèmes de corrosion sous contrainte (voir notre article). Les exercices 2023 et 2024 ont été plus favorables à EDF avec l’augmentation des prix de l’électricité, mais sur la période de 2012 à 2024, l’endettement net de l’énergéticien a progressé de 23 milliards d’euros, soit plus de la moitié de la dette actuelle du groupe.

Face à ce faible dynamisme financier se dresse un véritable mur d’investissements que va devoir consentir EDF dans les quinze prochaines années. Différentes évaluations ont été faites lors des dernières années à la fois par EDF et par la Cour des comptes, et toutes convergent : la relance du nucléaire devrait coûter plus de 150 milliards à l’énergéticien, dont 60 à 80 pour les 6 EPR 2 lancés à l’heure actuelle, alors que la facture de la prolongation du parc nucléaire existant pourrait chiffrer à 90 milliards dans les quinze prochaines années.

S’ajoutent ensuite les investissements nécessaires à l’enrichissement et au traitement des déchets par Orano, soit 30 milliards, ainsi que 100 milliards d’investissements sur le réseau Enedis et 60 milliards d’investissements dans des chantiers à l’étranger. Le développement des énergies renouvelables devrait lui aussi nécessiter 30 milliards d’investissement, auxquels s’ajoutent 15 milliards nécessaires à EDF pour racheter les barrages hydroélectriques à l’État – solution trouvée pour sortir du contentieux juridique avec la Commission européenne qui exige une ouverture à la concurrence.

« Clarifier le partage des coûts de financement entre EDF, l’Etat et les clients »

Une facture d’autant plus inquiétante que la fin de l’Arenh (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique) – qui obligeait EDF à vendre une certaine quantité d’électricité à bas coût aux autres fournisseurs d’électricité – en janvier 2026, « expose très fortement les revenus d’EDF aux aléas des prix de marché. » En clair, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, l’électricité produite dans le « parc historique » était vendue depuis 2010 à prix régulé aux fournisseurs d’électricité alternatifs à EDF, assurant un prix bas à la fois à certains industriels et aux consommateurs dans certaines périodes.

Les recettes d’EDF provenant principalement de la vente de l’électricité, elles étaient donc dépendantes du prix fixé par l’Etat dans le cadre de l’Arenh. Une « injonction contradictoire » dénoncée par le sénateur communiste Fabien Gay lors de l’audition de nomination du nouveau P.-D.G. de l’énergéticien, Bernard Fontana, en avril dernier (voir notre article) : « EDF est soumise à des injonctions contradictoires, puisqu’il s’agit à la fois d’un service public, notamment pour les électro intensifs […] car le prix de l’énergie doit être très compétitif -, et d’une entreprise à laquelle on demande de dégager des marges pour investir dans le nucléaire et les énergies renouvelables, dans un marché totalement libéralisé. Ce double impératif est intenable. »

Dans un langage plus mesuré, la Cour enjoint tout de même l’Etat à « clarifier le partage des coûts de financement du programme d’investissements entre EDF, l’Etat et les clients. » En clair, si les magistrats enjoignent EDF à mettre en œuvre « tous les leviers » possibles pour financer ces investissements, l’Etat – actionnaire unique – et les clients (par l’intermédiaire d’une éventuelle hausse des prix) devront être mis à contribution. L’Etat a déjà mis sur la table un prêt bonifié pour financer la moitié des coûts de construction des nouveaux EPR 2, « sans précision à ce stade sur le partage des risques aux différents stades du projet », notamment en cas de dérive des coûts, précisent les magistrats. De même, la Cour demande à l’Etat-actionnaire de préciser sa politique de dividendes.

Pour l’instant, l’Etat botte en touche

Une demande de clarification qui avait déjà été formulée plusieurs fois par le Parlement. Lors de la même audition de Bernard Fontana, Fabien Gay avait interrogé le futur P.-D.G. d’EDF sur la question : « Sur le nouveau nucléaire, l’État envisage une participation limitée à 50 %. Il manquerait donc 20 milliards d’euros pour lancer les six premiers EPR2. Quel accord avez-vous trouvé avec l’État et la Présidence de la République sur cette question cruciale du financement ? » Pas encore en poste, celui-ci avait esquivé : « Il est impératif de se donner des marges de manœuvre, d’exécuter avec rigueur et, si nécessaire, d’arbitrer en priorisant la France. »

Sur les bancs de la droite, Vincent Delahaye (Union centriste) a, lui aussi, interrogé le ministre sur le sujet dans une question écrite en mars dernier. « Le financement de ce programme reposera, au cours de la phase de construction des réacteurs, sur un prêt bonifié accordé à EDF par l’État sur le modèle de chantiers déjà engagés au niveau européen et validés par la Commission européenne. Puis au cours de la phase d’exploitation, sur un contrat de rachat de l’électricité nucléaire dont les modalités sont fixées de telle sorte que le prix soit compétitif pour nos industriels et que la soutenabilité économique du modèle d’EDF soit garantie » avait alors répondu Marc Ferracci, sans préciser donc, quel arbitrage serait pris dans ce fameux partage entre EDF, l’Etat et le consommateur, particuliers comme industriels. « Je ne suis pas sûr que votre réponse nous rassure complètement… », avait répliqué le sénateur centriste. Pas sûr que le rapport de la Cour des comptes rassure les parlementaires.

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