Discret jusqu’ici depuis le début des débats budgétaires au Parlement, Édouard Philippe est sorti de sa réserve ce 6 novembre. Le candidat à l’élection présidentielle a levé le voile sur un pan de son programme économique « de prospérité », promettant « un deal fiscal avec nos entreprises d’une ampleur inédite », premier axe d’un « choc de simplification et d’un acte de confiance entre l’État et les entreprises ». En rupture avec le président de la République, dont il estime que le départ serait une solution à l’instabilité politique du pays, l’ancien Premier ministre se place néanmoins dans les pas de la politique pro-entreprises suivie ces dernières années.
La proposition d’Édouard Philippe intervient après plusieurs jours de débats sur le volet fiscal du projet de loi de finances, marqués entre autres par une hausse des prélèvements obligatoires, y compris sur les entreprises. Ce jeudi un collectif de 200 chefs d’entreprise a dénoncé dans L’Express la « folie fiscale » à l’œuvre. Pour le candidat à la présidentielle, « il est indispensable, compte tenu du délire fiscal auquel on assiste, de l’augmentation vertigineuse d’impôts, de redonner une perspective aux entrepreneurs, aux chefs d’entreprise ».
En un coup, dès le premier projet de loi de finances
Dans une publication sur le réseau professionnel LinkedIn, il propose ainsi aux entreprises « un deal à 50 milliards d’euros de baisse d’impôts d’un côté et de baisse de dépenses de l’autre », soit « 250 milliards pour un quinquennat ». Cet engagement serait « un pilier du pacte pluriannuel de stabilité fiscale et réglementaire » qu’il entend garantir aux entrepreneurs pour cinq ans s’il était élu.
Le président d’Horizons vise les impôts de production. « Ils ont ceci de particulier qu’ils frappent les entreprises, alors même que l’entreprise n’a pas encore commencé à gagner de l’argent. Ce sont des impôts qui sont insensibles à la situation de l’entreprise », a-t-il développé dans une vidéo. En parallèle, le maire du Havre veut réduire de 50 milliards d’euros le montant annuel des aides versées aux entreprises, des aides qu’il estime être « saupoudrées, complexes, incompréhensibles ».
« Édouard Philippe veut faire cela en un coup, dès le premier projet de loi de finances. Quand il parle de pacte pluriannuel, l’idée de garantir que les baisses seront pérennes pour le quinquennat », précise un conseiller.
Un jeu à somme nulle pour l’État
Pour l’État il s’agira donc un jeu à somme nulle, mais l’ancien chef du gouvernement est convaincu que son impact sera « positif » pour les entreprises, « parce qu’on leur enlève un frein à la compétitivité extrêmement important ».
Le dispositif, dans son esprit, n’est pas sans rappeler la proposition faite par le président du Medef, en plein débat sur les aides publiques à la suite de la publication d’un rapport sénatorial beaucoup repris dans les mobilisations sociales. Patrick Martin avait encouragé à pratiquer « l’effacement parallèle », autrement dit supprimer certaines aides, à condition de supprimer les impôts d’un montant équivalent, en particulier les « impôts de production qui sont une aberration et pénalisent l’économie française », avait insisté le patron des patrons.
À la différence de l’impôt sur les sociétés, qui est prélevé sur les bénéfices, les impôts de productions sont assis sur le foncier, le chiffre d’affaires ou encore la valeur ajoutée. Ils représentent en France 75 milliards d’euros, contre environ 23 milliards d’euros en Allemagne par exemple. « En 2023, en France, on avait 5,4 % de la valeur ajoutée brute en impôts de production, contre 1 % en Allemagne », précise Olivier Redoulès, directeur des études à l’institut Rexecode. « Le vrai sujet, c’est qu’on part d’un niveau, net des aides, globalement plus élevé que dans les autres pays. Quand on retranche les aides des prélèvements, les prélèvements sur les entreprises en France sont de 4,4 points de valeur ajoutée supérieurs à ses voisins. »
« Cela dépend de vers où l’on veut diriger l’outil productif »
Le sujet a d’ailleurs été abordé ce 5 novembre, lors des questions d’actualité au gouvernement. L’ancien rapporteur de la commission d’enquête sur les aides publiques versées aux entreprises, Fabien Gay (communiste), a interpellé les ministres pour demander quand l’exécutif allait se pencher sur les recommandations de la haute Assemblée. Roland Lescure, répondant positivement à l’invitation, a toutefois tenu à préciser que si les entreprises françaises étaient les plus aidées, elles étaient aussi les plus taxées.
Selon l’équipe d’Edouard Philippe, la baisse de 50 milliards d’euros pourrait à la fois permettre à la France de revenir « à peu près » dans la moyenne européenne en termes d’impôts de production. « C’est ce qu’on pouvait faire de plus massif sans réduire les allègements généraux, ou d’autres choses qu’on ne voulait pas toucher », explique un conseiller.
Dès lors, quel pourrait être l’impact du « deal » proposé par Édouard Philippe au niveau des entreprises, si l’opération est neutre pour l’Etat ? La proposition pourrait par exemple lever des « freins » aux investissements, dans la mesure où les règles du jeu devraient gagner en lisibilité. « La réflexion est utile, on est arrivés dans un système extrêmement complexe. Cette complexité dessert beaucoup les PME et les TPE », souligne l’économiste Olivier Redoulès. Ce maquis des aides avait été pointé du doigt y compris par les plus grandes entreprises auditionnées au Sénat, tout comme les représentants de la haute administration.
La suppression de certaines aides pourrait toutefois avoir des conséquences dans la répartition des créations d’emplois. « La question que pose Édouard Philippe est une question d’efficience fiscale. La question porte plus sur la politique économique. Cela dépend de vers où l’on veut diriger l’outil productif. Les aides traduisent la façon dont l’État est de plus en plus intervenu dans l’économie, en subventionnant certains secteurs, et mécaniquement en surfiscalisant d’autres », résume Olivier Redoulès. « Quel est l’objectif politique derrière, les aides traduisent des objectifs politiques, qui peuvent être questionnables. Il faut d’abord interroger les objectifs politiques avant de les remettre en cause. »
Le projet d’Édouard Philippe fait le pari de soutenir l’industrie. « Ce sont les impôts de production qui pèsent surtout sur les entreprises qui ont des murs, des salariés en France, des terrains. C’est un choix très clair en faveur de l’industrie », défend un conseiller.
La baisse de la CVAE a contribué à redonner « des marges aux entreprises »
Certains impôts de production évidents sont dans le viseur d’Horizons : la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont la suppression progressive est en cours, la C3S (contribution sociale de solidarité des sociétés, qui touche les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires hors taxes d’au moins 19 millions d’euros), ou encore la cotisation foncière des entreprises (CFE). Côté aides publiques, Horizons entend sabrer dans les aides jugées « improductives », ou encore réduire certaines aides sectorielles. « C’est un peu plus compliqué que du un pour un. Derrière, il y a des réformes structurelles de soutien à l’innovation et de soutien à la formation et l’apprentissage », précise-t-on dans l’entourage du candidat.
Le débat sur la réduction des impôts de production ne date pas d’aujourd’hui. La loi de finances pour 2023 avait acté la suppression de la CVAE sur deux années à compter de 2023, avec une première baisse de 4 milliards d’euros. Face à la dégradation des finances publiques, et au vu du coût des mesures d’urgence pour la crise énergétique, l’extinction de l’impôt a été repoussée à plusieurs reprises, d’abord à 2027 puis à 2030. Ce lundi, les députés ont voté en faveur d’une baisse et d’une suppression accélérée de la CVAE, pour un montant de 1,3 milliard d’euros.
La baisse a-t-elle porté ses fruits ? « Cela a redonné des marges aux entreprises pour préserver leurs effectifs et leurs investissements dans un contexte où elles ont fait face à pas mal de chocs », estime l’économiste Olivier Redoulès. En 2024, le Comité d’évaluation du plan France Relance avait souligné la difficulté de l’exercice d’évaluation, dans un paysage conjoncturel chamboulé. L’Institut des politiques publiques (IPP), chargé de l’étude, avait identifié un « un effet positif, quoique limité, sur l’investissement corporel, mais pas sur l’emploi, le chiffre d’affaires ou les exportations à court terme ».