C’est par un communiqué de presse laconique que Luc Rémont, PDG d’EDF, a été remercié par l’Elysée, vendredi 21 mars dernier. Son mandat devait prendre fin à l’été 2025. Pour le remplacer, Emmanuel Macron propose Bernard Fontana, actuel dirigeant de Framatome.
« Je suis surpris de ce remerciement brutal »
Ce débarquement surprise a pris tout le monde de court, y compris les sénateurs spécialistes du sujet. « Je suis surpris de ce remerciement brutal », confie Vincent Delahaye, sénateur centriste de l’Essonne et rapporteur d’une commission d’enquête sénatoriale sur les prix de l’électricité en 2024. Il faut dire que Luc Rémont était en poste depuis octobre 2022, en remplacement de Jean-Bernard Lévy, lui-même remercié prématurément en juillet de la même année. « C’est la traduction d’une difficulté, voire de divergences profondes entre l’Etat et l’entreprise. C’est inquiétant, compte tenu de l’importance d’EDF dans le système énergétique français, c’est une crise supplémentaire dont on aurait pu se passer », s’inquiète Franck Montaugé, sénateur PS du Gers qui a présidé la commission d’enquête mentionnée plus haut. « On a besoin, dans des moments aussi importants, sur des choix stratégiques en matière d’énergie, de stabilité et de lisibilité », regrette Daniel Gremillet, sénateur LR des Vosges et président du groupe énergie au Sénat, « j’étais surpris de son départ ».
« J’avais une bonne image de l’action de Luc Rémont à la tête d’EDF »
Le travail de Luc Rémont, pourtant, est salué par les sénateurs de tous les bancs. Pour Franck Montaugé, « il a plutôt pris la situation difficile par le bon bout ». « J’avais une bonne image de l’action de Luc Rémont à la tête d’EDF », abonde Vincent Delahaye. Il faut dire qu’à son arrivée, il avait dû gérer le problème de corrosion sous contrainte, qui a touché plusieurs centrales nucléaires françaises, impliquant leur mise à l’arrêt temporaire, alors que les prix de l’énergie flambaient suite au début de la guerre en Ukraine. Le profil de son possible successeur, qui doit être validé par les parlementaires, ne pose pas non plus de difficultés.
« On lui mettait des objectifs contradictoires »
Les raisons qui ont conduit à ce lâchage sont multiples. D’abord, Luc Rémont s’est attiré les foudres de certains industriels, comme Saint-Gobain, en proposant à l’enchère des contrats de fourniture d’électricité de long terme, induisant ainsi une pression à la hausse sur les prix. Ensuite, il avait demandé davantage de soutien de la part de l’Etat, qui est actionnaire à 100 % de l’entreprise, dans le financement du programme nucléaire. Pour rappel, Emmanuel Macron a annoncé, dans son discours de Belfort de février 2022, la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires (EPR2). « On lui mettait des objectifs contradictoires : baisser les prix de l’électricité, tout en prévoyant d’investir fortement dans le nucléaire », résume Vincent Delahaye. Une analyse que rejette Daniel Gremillet : « Je ne connais pas les raisons pour lesquelles Luc Rémont a été évincé. Quelles que soient les décisions qui sont prises, il sera essentiel de trouver des équilibres pour EDF et d’avoir les moyens de se développer ».
Pour les écologistes, cette crise était prévisible. Daniel Salmon, sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine, explique : « C’est symptomatique de la difficulté de la relance du nucléaire. De grosses annonces ont été faites, nous les avons dénoncées, et aujourd’hui on n’est pas du tout dans la trajectoire escomptée par le gouvernement, parce qu’on a pris trois ans de retard avant de commencer. C’était très clair que rien n’était en place pour y arriver ».
EDF : « C’est un statut plus qu’ambigu »
Dans une interview au Figaro du 23 mars, le patron déchu défend son bilan à la tête de l’entreprise. « L’entreprise EDF, pour être à la hauteur de ses missions d’intérêt général, doit, selon moi, d’abord être performante, compétitive, et dirigée comme telle », affirme-t-il. Il reproche à l’Etat de l’avoir traitée comme une « régie », « ce qu’elle n’est juridiquement pas », précise-t-il au quotidien. Cette crise révèle au grand jour une situation hybride et inconfortable dans le statut de l’énergéticien. C’est en 2022 que l’Etat est devenu le seul actionnaire de l’entreprise. « On débarque le PDG d’EDF, mais j’attends de voir ce que va pouvoir faire d’autre le prochain. C’est un statut plus qu’ambigu. C’est une entreprise possédée à 100 % par l’Etat, on attend d’elle parfois un fonctionnement de régie et parfois un fonctionnement d’entreprise », déplore Daniel Salmon, sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine. Son collègue socialiste du Gers partage son analyse : « EDF n’est pas une vache à lait disponible pour aider l’Etat à résoudre ses problèmes budgétaires. Il n’est pas juridiquement dans une situation de décider à la place du PDG de l’entreprise. Il y a un partage des rôles et il ne faut pas considérer que c’est à l’Etat de décider. L’Elysée, semble-t-il, est allé trop loin ».
Pour Daniel Gremillet, en revanche, l’Etat n’a commis aucun impair : « C’est l’Etat qui est l’actionnaire, il a aussi capacité à dire des choses à celui qui gère », explique-t-il. « L’Etat est rarement un très bon actionnaire », nuance Vincent Delahaye, « mais je préfère toujours une entreprise qu’un établissement de l’Etat ».
Le gouvernement « salue » le travail de Luc Rémont
Du côté du gouvernement, on ne mentionne aucune crise ni aucun désaccord. Éric Lombard, ministre de l’Economie, a salué dans l’hémicycle de l’Assemblée ce mardi une « politique menée avec succès » et un « rétablissement du niveau de la production, ainsi que de la remise en fonctionnement des centrales » par Luc Rémont. « Son mandat s’achevant, nous avons considéré que, pour une nouvelle phase qui consiste à relancer la négociation avec les industriels et à mettre en œuvre la construction de six EPR, celui qui était au cœur, Bernard Fontana, avait les qualités pour succéder à Luc Rémont », a-t-il affirmé.
« Il est scandaleux que le Parlement ne puisse pas discuter de la programmation pluriannuelle de l’énergie »
Dans le dossier énergétique, le débarquement surprise de Luc Rémont vient irriter davantage les sénateurs. Ils sont déjà vent debout contre la décision du gouvernement de faire passer la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie, qui fixe les objectifs nationaux en termes de mix énergétique sur plusieurs années, par décret et non par un projet de loi comme c’est l’habitude. « Il est scandaleux que le Parlement ne puisse pas discuter de la programmation pluriannuelle de l’énergie version 3, tout ça pour des raisons politiques et politiciennes », s’indigne Franck Montaugé. Daniel Gremillet, auteur d’une proposition de loi de programmation pluriannuelle de l’énergie, adoptée en octobre 2024 au Sénat, plaide pour que son texte soit également examiné par l’Assemblée nationale. « C’est une urgence absolue », plaide-t-il.
L’énergie est un sujet ultrasensible. La menace de censure du gouvernement, sur ces sujets, est maximale, car le rassemblement national en fait l’une de ses lignes rouges. « Cette PPE 3 est une catastrophe, elle va causer l’augmentation du prix de l’électricité », se désole Vincent Delahaye, signataire, avec 164 autres sénateurs, d’une lettre adressée le 11 mars à François Bayrou, lui demandant de saisir le Parlement sur le sujet. Quinze jours plus tard, elle est toujours sans réponse.