Les Français doivent-ils s’attendre à une mauvaise surprise sur leurs factures d’électricité en 2026 ? Dans une étude publiée ce mardi 25 février, l’UFC-Que Choisir anticipe une envolée des tarifs de l’électricité, consécutive à la réforme du marché de l’électricité qui doit entrer en vigueur l’année prochaine. Selon l’association de consommateurs, si la nouvelle régulation était entrée en vigueur cette année, les prix auraient bondi d’environ 19 % en moyenne, « soit jusqu’à 250 euros [de plus] par an pour un foyer moyen ».
L’enquête évoque notamment la situation d’un ménage abonné au tarif réglementé, qui consommerait 6 000 kilowattheures d’électricité par an. Par rapport aux prix pratiqués actuellement, sa facture augmenterait de 233 euros (+17 %). « Les surcoûts auraient été bien évidemment beaucoup plus importants pour tous les ménages consommant davantage d’électricité, notamment ceux habitant en maison individuelle et chauffés à l’électricité, a fortiori s’ils vivent dans une passoire énergétique », pointe l’Union fédérale des consommateurs.
Le ministère de l’Economie a fait savoir qu’il rejetait ce calcul, estimant que cette étude néglige différents paramètres qui doivent être appliqués l’année prochaine pour fixer les prix.
L’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH)
Pour comprendre les enjeux autour de cette enquête, il convient de revenir un peu en arrière. La facture d’électricité des ménages combine généralement trois niveaux : le coût d’approvisionnement, qui correspond au tarif auquel le fournisseur a acheté l’électricité qu’il met en vente ; le coût d’acheminement de cette électricité depuis son lieu de production jusqu’au consommateur, et enfin une part de fiscalité. Or, le coût d’approvisionnement, qui s’appuie pour partie sur les prix des marchés, comprend aussi une part réglementée, destinée à tirer profit du parc nucléaire, qui représente en moyenne 85 % de l’électricité produite en France quand d’autres pays doivent importer leur énergie.
C’est ainsi qu’a été mis en place en 2011 ce que l’on appelle l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH). Ce mécanisme contraint EDF à vendre à un prix fixe de 42 euros le mégawattheure un tiers de l’électricité produite par ses centrales nucléaires aux autres fournisseurs. Face aux règles européennes de protection de la libre concurrence, qui ont obligé la France à mettre fin au monopole de son fournisseur historique, l’Etat a imaginé ce système pour permettre aux différents acteurs du marché de faire profiter leurs clients des avantages du nucléaire.
Vers des tarifs entièrement indexés sur les marchés
Récemment, ce système de régulation a été bousculé par la crise sanitaire et l’inflation, qui ont fait flamber les prix sur les marchés. EDF, déjà en difficultés financières, considère que son niveau de rendement et sa capacité d’investissement ont été plombés par les obligations liées à l’ARENH. Or, l’extinction du dispositif est prévue pour le 31 décembre 2025. Le prochain mode de calcul, défini dans la loi de finances 2025, prévoit que l’intégralité de la production d’électricité sera indexée à partir de l’année prochaine sur les marchés de gros.
Un système de taxation par paliers sur les rendements dégagés par EDF doit permettre de protéger le consommateur des écarts de prix, via un reversement des revenus ainsi dégagés aux ménages. Cette taxation est déterminée en fonction d’un prix de vente de référence pour l’électricité d’origine nucléaire d’environ 70 euros le mégawattheure (MWh), fixé par un accord passé entre EDF et l’Etat.
Après deux ans et demi de négociations, entre notamment l’Etat, la Commission de régulation de l’énergie et EDF, le « compromis » trouvé prévoit que « l’électricité reste régulée, avec toujours un objectif de prix », assure Bercy qui évoque un mécanisme comparable au « Serpent monétaire européen » utilisé dans les années 1970 pour limiter les fluctuations de taux de change entre les pays membres. C’est-à-dire un système « avec un plancher et un plafond », doublé d’un « mécanisme de protection du consommateur en cas de forte hausse des prix ». Autrement dit, si la hausse dépasse le plafond et profite à EDF, « l’argent est reversé sur la facture » du consommateur, détaille-t-on.
« Une baisse des prix en 2025 et normalement en 2026, puis une stabilité en 2027 »
« Le gouvernement promet une redistribution aux ménages d’une partie des profits d’EDF, mais en réalité, elle sera très limitée », épingle l’UFC-Que Choisir. « Seule une petite fraction de la consommation des ménages sera concernée, et la taxation des bénéfices d’EDF restera insuffisante pour compenser la flambée des prix. » Pour l’association, « cette réforme, négociée en catimini entre le gouvernement et EDF, va mécaniquement entraîner une hausse massive des tarifs de l’électricité, au détriment des consommateurs ».
Notons que l’UFC-Que Choisir appuie son évaluation sur les données relatives à l’année 2025, dans la mesure où certains des paramètres qui seront utilisés en 2026 ne sont pas encore connus. « Cet exercice comporte quelques limites résultant principalement de l’absence de transmission par la Commission de régulation de l’énergie d’éléments qui nous auraient permis d’affiner notre méthodologie », reconnaît l’association.
« Que l’ARENH à 42 euros le mégawattheure s’arrête, c’est forcément dommageable pour le consommateur, mais non, cela ne va pas faire augmenter sa facture de 20 %. La hausse devrait être contrebalancée par la baisse des prix du marché. La part de l’approvisionnement indexée sur le marché procède d’un lissage sur deux ans, or les prix ont bien baissé depuis 2023 », observe auprès de Public Sénat Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting et Terra Nova. « Le nouveau système est moins avantageux pour les consommateurs, au profit d’EDF. Mais il faut savoir ce que l’on veut. Pendant des années, on a reproché à l’ARENH de tirer EDF vers le bas, et aujourd’hui tout le monde s’émeut de sa disparition », ajoute-t-il.
Nicolas Goldberg relève néanmoins « un flou » autour des seuils de taxation, qui doivent être fixés par arrêtés, ce qui pourrait réserver de mauvaises surprises au consommateur. Durant les débats budgétaires de l’automne, la droite sénatoriale a tenté de les inscrire dans la loi, mais le gouvernement a préféré revenir à la copie d’origine qui lui garantit une certaine marge de manœuvre.
« Il y a un côté un peu facile à dire que l’électricité va augmenter, mais si on investit dans rien… », remarque-t-on du côté du ministère, alors que le gouvernement espère faire sortir de terre 14 nouveaux réacteurs nucléaires d’ici 2050. « Il y a sûrement des gens pour qui la facture d’électricité va augmenter, mais beaucoup pour qui ça va baisser », reconnaît Bercy. Le gouvernement mise ainsi sur « une baisse des prix en 2025 et normalement en 2026, puis une stabilité en 2027 ».
De son côté, l’UFC-Que Choisir réclame la mise en place « dans les plus brefs délais » d’une commission mixte « chargée de proposer une refonte complète de la régulation du marché de l’électricité », afin d’arriver à un prix de l’électricité qui soit plus proche des coûts de production. « Le défi d’une politique de régulation, c’est d’arriver à fixer un prix. Vous ne pouvez pas satisfaire à la fois le producteur et le consommateur. Généralement, ce dernier ne veut pas d’un prix indexé sur le marché, mais en dessous. Le nœud du problème, c’est que le jour où les prix du marché passent sous le niveau du prix réglementé, plus personne ne veut entendre parler de régulation », conclut Nicolas Goldberg.