« Dépenser moins, dépenser mieux ». Le cap budgétaire 2023-2027 du gouvernement a été réaffirmé ce jeudi 19 avril par Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances et Gabriel Attal ministre délégué chargé des comptes publics. Les deux locataires de Bercy présentaient le programme de stabilité (PSTAB) qui rassemble les prévisions économiques et la trajectoire budgétaire de la France jusqu’en 2027.
« Changement de monde » budgétaire
Le décor a changé. Fini le temps du « quoiqu’il en coûte », des aides tous azimuts accordées depuis la pandémie de covid-19 en 2020 puis face à la hausse des coûts de l’énergie pour soutenir les ménages et les entreprises. C’est un « changement de monde », appuie Gabriel Attal. Désormais, le gouvernement veut réduire le déficit public qui atteint 4,7 % du PIB en 2022 et la dette publique qui s’élève, elle, à 111,6 % du PIB. La France emprunte donc plus que ce qu’elle produit comme richesse.
« Dans le nouveau programme de stabilité, nous voulons ramener le déficit public à 2,7 % du PIB et la dette publique à 108,3 % en 2027, expose Bruno Le Maire qui martèle : Nous accélérons le désendettement de la France. » Cet objectif laisse pantois Jean-François Husson, sénateur Les Républicains (LR) et rapporteur général de la commission des Finances : « Les chiffres ne sont pas les mêmes que ceux du précédent programme de stabilité présenté en juillet 2022… J’émets beaucoup de doutes devant cette annonce », explique-t-il. Il y a neuf mois, le ministre de l’Économie tablait en effet sur une réduction du déficit à 2,9 % et de la dette à 112,5 %.
270 milliards d’euros de dette
Dorénavant, le gouvernement justifie sa volonté de réduire la dette et les déficits publics par l’augmentation des taux d’intérêt entre la réélection d’Emmanuel Macron en avril 2022 et aujourd’hui. « [Ils] étaient nuls avant l’élection présidentielle, ils sont à 3 % aujourd’hui. Nous avons 10 milliards d’euros de plus sur la charge de la dette en raison de cette augmentation », développe Bruno Le Maire. « Bientôt le remboursement de la dette sera le premier budget de dépense de l’État », abonde Gabriel Attal. « On s’est endetté sous la présidence d’Emmanuel Macron à des taux très avantageux et maintenant, ils découvrent qu’ils ont allumé la mèche de la dette et qu’elle va exploser pendant leur quinquennat », raille Jérôme Bascher, sénateur LR de l’Oise et secrétaire de la commission des finances.
Le ministre de l’Économie et des Finances met également en avant la nécessité de « reconstituer nos marges de manœuvre si nous devions faire face à un nouveau choc conjoncturel » et la « crédibilité européenne de la France » alors que « tous nos partenaires européens se sont engagés dans le rétablissement de leurs finances publiques ». Le sénateur du groupe centriste Bernard Delcros rappelle aussi le contexte dans lequel le gouvernement présente cette feuille de route. « L’Union européenne va réactiver les règles de disciplines budgétaires (qui obligent les États de la zone euro à maintenir un déficit à maximum 3 % du PIB et une dette à maximum 60 % du PIB, ndlr) suspendues pendant la pandémie de covid-19 en 2020 », explique le vice-président de la commission des finances du Sénat. Son collègue communiste Eric Bocquet, aussi vice-président de la commission, fustige néanmoins des « critères maastrichtiens inadaptés [qui] ont explosé face à la réalité de la crise que nous connaissons. Aucun État ne les respecte, à part l’Allemagne ! »
Baisse d’impôts et augmentation du travail
Pour atteindre l’objectif que se fixe le gouvernement, Bruno Le Maire veut agir sur « trois piliers » : le maintien de la croissance, la fin du bouclier énergétique et des chèques exceptionnels et enfin la baisse des dépenses publiques. Le ministre de l’Économie et des Finances confirme la perspective de 1,35 % de croissance potentielle, notamment grâce à « l’augmentation du volume global de travail » permise par la réforme des retraites, de l’assurance chômage. « La France ne peut pas être la nation développée avec la redistribution sociale la plus généreuse et le volume global de travail le plus faible », soutient-il. Opposé à cette vision de la politique budgétaire, le sénateur du Nord Eric Bocquet « aimerai [t] que l’on parle de la productivité des salariés français qui est l’une des meilleures du monde malgré notre modèle social et les 35 heures. »
Par ailleurs, le gouvernement compte poursuivre sa politique de baisse d’impôts, rappelant pêle-mêle la suppression de la contribution à l’audiovisuel public cette année, la taxe d’habitation en 2023 et la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) fin 2024. « Je n’aurais pas touché aux impôts locaux », avance le sénateur LR Jérôme Bascher qui partage néanmoins la nécessaire réduction de la dette et du déficit. Sur une ligne radicalement différente, le sénateur socialiste Rémi Féraud, lui aussi secrétaire de la commission des finances, met en avant son « désaccord politique ». Il plaide pour une taxation plus importante des plus riches : « Je pense qu’il faut aller dans les niches fiscales qui bénéficient aux entreprises, qu’il faut s’attaquer à l’évasion et la fraude fiscale et rétablir une fiscalité plus conséquente pour les hauts patrimoines et les revenus du capital », encourage-t-il, en accord avec son collègue communiste. Le centriste Bernard Delcros rappelle la proposition de son groupe de taxer les superprofits pour financer les « dépenses exceptionnelles », finalement refusée par Emmanuel Macron qui lui a préféré une taxe européenne.
Baisse des dépenses publiques, « cure d’austérité »
D’autre part, Bruno Le Maire a indiqué que le gouvernement allait mettre fin au bouclier tarifaire et aux chèques exceptionnels accordés aux ménages pour faire face à la crise des prix de l’énergie pour gagner 30 milliards d’euros d’ici à 2025. « Ça ne me paraît pas être le sujet essentiel, estime le sénateur de Paris Rémi Féraud. Ça ne représente pas grand-chose, il faut que le gouvernement détaille les recettes, les dépenses et donne de la crédibilité à sa copie ! »
L’autre levier utilisé par le gouvernement sera celui des dépenses publiques, revues à la baisse, de « 0,8 % en moyenne, en volume par an » contre « 0,5 % » pour les collectivités locales. Dans ce cadre-là, Élisabeth Borne, la Première ministre, a demandé à ses ministres de rogner 5 % de leurs budgets pour l’année prochaine afin de « financer la transition écologique et les priorités du Président de la République », explique Bruno Le Maire.
Bien qu’il soit favorable aux objectifs poursuivis par le gouvernement, le sénateur centriste Bernard Delcros pousse pour actionner le levier des recettes. « On ne peut pas appliquer une baisse uniforme de 5 % dans tous les ministères. Les lois de programmation militaire, sur l’énergie ou sur la recherche engagent des moyens supplémentaires et il faut investir dans l’Éducation nationale et la Santé. » Son collègue socialiste Rémi Féraud est moins optimiste. Pour lui, la baisse des dépenses publiques est « catastrophique, car ça implique une cure d’austérité. Je crains qu’elles se fassent dans le domaine social, du logement, des transports, de la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, de l’école et de l’hôpital » s’alarme-t-il.
« L’exécutif est là pour agir et il ne fait que parler »
Le socialiste Rémi Féraud voit dans la trajectoire budgétaire du gouvernement un « appel du pied » aux parlementaires Les Républicains. Bruno Le Maire a d’ailleurs soutenu que « tous ceux qui croient en le rétablissement des finances publiques ne devraient avoir aucun mal à voter ce texte [Le Projet de loi de finance (PLF) 2024, ndlr] ». Le PLF étant encore inconnu, le LR Jean-François Husson met en garde : « Je ne suis pas sûr que Bruno Le Maire soit le mieux placé pour donner des leçons de cohérence à la majorité sénatoriale. […] Nous allons déjà voir comment les comptes 2023 vont évoluer !, s’agace-t-il. Son collègue de la majorité sénatoriale, le vice-président centriste Bernard Delcros n’exclut pas de voter le PLF 2024 « s’il agit aussi sur les recettes ».
Le programme de stabilité sera présenté en conseil des ministres mercredi 26 avril prochain. A l’image de tous les sénateurs interrogés, le LR Jérôme Bascher attend des précisions du gouvernement. « Le président de la Cour des comptes nous a dit qu’avec toutes les lois de programmations adoptées, il faudrait diminuer les dépenses de 1,4 %. Nous n’y sommes pas, dénonce le sénateur de l’Oise. Au-delà d’un discours volontariste, je ne vois pas le moindre centime d’économie. Je peux être d’accord sur le discours, mais l’exécutif est là pour agir et il ne fait que parler », conclut-il.