Le désaccord persiste entre la majorité sénatoriale et le gouvernement sur la trajectoire budgétaire des prochaines années. Le Sénat, à majorité de droite et du centre, a adopté (204 voix pour, 102 contre, 38 abstentions) ce 16 octobre une version plus exigeante du projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027, sans le soutien de l’exécutif.
Le texte était débattu en nouvelle lecture, près de trois semaines après son retour à l’Assemblée nationale où, faute de majorité, le gouvernement a dû engager sa responsabilité et le faire adopter au moyen de l’article 49.3 de la Constitution. Considérant que l’effort d’assainissement budgétaire n’était pas assez ambitieux, les Républicains et leurs alliés de l’Union centriste ont amendé le rythme de diminution de la dépense publique, comme pendant la première lecture l’an dernier. Ils ont choisi de ramener le déficit sous le seuil de référence européen des 3 % du PIB dès l’année 2025, et non en 2027 comme dans le texte porté le gouvernement.
Le rapporteur général hanté par la perspective d’une France « bonnet d’âne » en Europe
« Les objectifs de déficit de votre texte paraissent en deçà de ce qui est nécessaire pour rétablir nos comptes […] Le seuil des 3 % ne serait pas atteint avant 2027, nous serions ainsi le plus mauvais élève de l’Europe, en quelque sorte le bonnet d’âne, et nous risquerions une procédure de déficit excessif », a alerté Jean-François Husson (LR). Le rapporteur général de la commission des Finances a formulé le reproche au gouvernement de ne pas avoir tenu compte des modifications sur ce texte en 2022.
En l’espace d’un an, le gouvernement a néanmoins accentué l’effort, en fixant désormais l’objectif de ramener le déficit public, de 4,8 % du PIB en 2022, à 2,7 % d’ici 2027, contre 2,9 % dans son projet initial. « En cela, le Sénat a été écouté », s’est défendu le ministre des Comptes publics Thomas Cazenave. Mais pour le successeur de Gabriel Attal qui a pris le relais sur ce projet de loi, laissé en sommeil pendant plusieurs mois, le Sénat est encore une fois allé trop loin. « La trajectoire adoptée par la commission des finances du Sénat en nouvelle lecture ne nous paraît ni réaliste, ni souhaitable », a-t-il désapprouvé. La trajectoire du gouvernement nécessiterait 12 milliards d’économies nouvelles chaque année dès 2025, celle du Sénat impliquerait selon lui 25 milliards d’euros d’économies pour la même année.
La majorité de la commission des Finances a également poussé pour que l’effort de l’Etat et celui des collectivités soit identiques. Or, dans la version gouvernementale, les économies des administrations centrales ont été gonflées par l’arrêt mécanique des dispositifs d’urgence instaurés pendant la crise énergétique, selon la lecture faite par le rapporteur général. En séance, les sénateurs ont adopté plusieurs amendements pour clarifier la façon de calculer l’effort que devront réaliser les collectivités territoriales.
Refusant de s’en tenir à une stabilité des emplois de l’Etat et de ses opérateurs jusqu’en 2027, la majorité sénatoriale a inscrit un objectif de 5 % de réduction du nombre de fonctionnaires d’Etat. Le rapporteur général Jean-François Husson a d’ailleurs noté que le projet de budget 2024, actuellement en débat à l’Assemblée nationale, contredisait déjà le principe de stabilité voulu par le gouvernement, avec plus de 8200 postes de fonctionnaires supplémentaires. Le ministre Thomas Cazenave a estimé, a contrario de la majorité du Sénat, que l’objectif de 5 % de réduction du nombre de fonctionnaires n’était « pas compatible avec le réarmement des services publics de première ligne ».
Les sénateurs Renaissance s’abstiennent sur le texte du Sénat, les sénateurs Horizons votent en faveur
Dans le détail des votes, les sénateurs du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), présidés par François Patriat (Renaissance) ont choisi de s’abstenir, comme le RDSE (Rassemblement Démocratique et Social Européen), composé majoritairement d’élus du Parti radical et du PRG. Le groupe Les Indépendants – République et territoires de Claude Malhuret, où environ la moitié des membres sont encartés chez Horizons, ont choisi de soutenir la version amendée par la droite et le centre.
Les groupes de la gauche sénatoriale, qui ont voté contre d’un seul bloc, ont renvoyé dos à dos le gouvernement et les bancs de droite. Pour le socialiste Rémi Féraud, qui y voit « une mise en scène de faux désaccord », le projet de loi traduit « la poursuite et l’accroissement d’une démarche de désarmement fiscal et d’une contraction de la dépense publique ». « Le texte n’a que peu évolué. Il donne assez peu d’espoir sur l’avenir de notre pays », s’est inquiété l’écologiste Thomas Dossus, brocardant la tentative de « saignée dans les services publics ».
« Pas une seule fois ne sont mentionnés les mots inégalités et pauvreté. Personne n’en parle, ni le gouvernement, ni la droite sénatoriale », a regretté le sénateur communiste Pascal Savoldelli, tançant une « surenchère austéritaire » du groupe majoritaire sénatorial. Alors que le ministre des Comptes publics a insisté sur la nécessité de donner une boussole crédible aux investisseurs, dans un contexte de remontée des taux d’intérêt de la dette française, le sénateur du Val-de-Marne a accusé le gouvernement de se soumettre « aux intérêts des seuls marchés financiers ».
L’engagement auprès de la Commission européenne ne passe pas à gauche
Si les lois de programmation budgétaire ne sont pas juridiquement contraignantes pour le législateur, qui peut choisir de s’y tenir ou de s’éloigner de sa trajectoire, elles ont cependant valeur de symbole. Lors des débats, le gouvernement a souligné que ce texte allait conditionner les deux derniers versements du plan de relance européen qui reviennent à la France. Près de 18 milliards « sont en jeu », cette année et l’an prochain, a insisté Thomas Cazenave. « C’est un enjeu de crédibilité », a-t-il souligné à plusieurs reprises. « Cette condition découle du seul engagement pris volontairement par le gouvernement auprès de la Commission européenne. Aucun autre pays européen n’a pas d’engagement en ce sens », a tenu à préciser le président de la commission des Finances Claude Raynal (PS). Le sénateur de la Haute-Garonne a d’ailleurs aussi peu goûté l’invitation lancée par Bercy aux parlementaires de formuler des pistes d’économies dans le cadre des revues de dépenses annuelles. « C’est assez pittoresque de voir qu’on se retourne vers les parlementaires pour donner corps à la promesse gouvernementale », a-t-il raillé.
Que deviendront les modifications du Sénat, alors que le gouvernement a engagé sa responsabilité sur ce texte dans la nouvelle lecture ? Face à la perspective d’un nouveau recours au 49.3 pour faire adopter définitivement le projet de loi lors d’une ultime lecture à l’Assemblée nationale, la droite a invité le gouvernement à ignorer les apports du Sénat. « Ce soir, nous avons quand même débattu normalement de ce texte, alors même que nous savons tous qu’il va être soumis au 49.3 ! Et donc, quelle qu’ait été la tenue de nos débats, il ne reste que ce que le gouvernement veut en conserver. Ce que nous avons tous dit ne mérite pas d’être balayé d’un trait de plume dans le texte que vous présenterez à l’Assemblée nationale », a conclu la sénatrice Christine Lavarde (LR).