C’est une décision qui fera date et qui devrait accentuer la pression sur les autres banques, sous le coup d’enquêtes judiciaires similaires. La filiale du Crédit Agricole, Cacib (Crédit Agricole Corporate and Investment Bank), a accepté de payer une amende de 88,24 millions d’euros en échange de l’abandon des poursuites qui la visent dans l’affaire de fraude fiscale dite « CumCum », qui secoue le monde bancaire depuis 2018.
Ce mécanisme, révélé en 2018 par un consortium de médias internationaux, dont Le Monde, consiste, pour des détenteurs étrangers d’actions d’entreprises françaises cotées, à échapper à l’imposition à la source sur les dividendes dont ils sont redevables. Dans ce type de montage financier international, les porteurs d’actions confient temporairement leurs titres à une banque au moment de la collecte de la taxe sur les dividendes, échappant ainsi à l’imposition. Les banques, qui jouent un rôle d’intermédiaire, se rémunèrent en prélevant une commission.
Le 5 septembre, la filiale Cacib et le Parquet national financier (PNF) ont signé une convention judiciaire d’intérêt public, une première dans ce dossier. « Je pense que nous avons été la seule banque à avoir été transparente avec le fisc », a souligné l’avocat de la banque d’investissement du Crédit agricole.
« C’est aujourd’hui la confirmation officielle de cette fraude en col blanc »
La convention a été validée ce lundi 8 septembre, par le président du tribunal de Paris, et porte sur des faits de blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée, notamment en raison de transactions réalisées chaque année à la même époque au moment du prélèvement de la taxe. Pour rappel, le PNF a lancé en 2021 des enquêtes visant Cacib et cinq autres grandes banques : BNP Paribas, Exane (gestionnaire de fonds, filiale de BNP Paribas), Société Générale, Natixis et HSBC, selon l’Agence France Presse.
« Contrairement aux affirmations et aux écrits de la Fédération bancaire française, c’est aujourd’hui la conformation officielle de cette fraude en col blanc, que le Sénat a combattu avec constance et détermination depuis 2017-2018 », réagit ce mardi Jean-François Husson (LR). Et d’ajouter : « J’espère pour le coup que c’est le début de la véritable fin de ces phénomènes de fraudes, qui ne sont pas plus entendables qu’acceptables. On continuera de les combattre. »
Le rapporteur général de la commission des finances du Sénat (LR) rappelle l’engagement de sa commission depuis plusieurs années pour mettre un terme à ces montages. Au cours de la dernière discussion budgétaire au Parlement, le Sénat avait adopté une disposition législative pour combattre ces opérations. Une instruction fiscale pour l’administration, signée par le gouvernement, avait toutefois affaibli la disposition intégrée dans la législation par les parlementaires. À l’issue d’un bras de fer politique, les sénateurs ont finalement obtenu le retrait de cette instruction controversé cet été.
Des procédures de redressement en cours pour un montant de 4,5 milliards d’euros
« Il est des forces, que j’appelle occultes, qui se sont fortement organisées, mobilisées pour résister, et je pense que notre détermination, et le contexte politique actuel, l’une et l’autre simultanément, nous ont permis – je l’espère – de mettre fin à ces phénomènes de fraude », se félicite le sénateur de Meurthe-et-Moselle, qui avait accusé le gouvernement d’avoir cédé au lobby bancaire.
En juillet dernier, le ministre de l’Economie, Éric Lombard, a fait état de « procédures de redressement » en cours visant « cinq établissements de la place pour un montant de 4,5 milliards d’euros », sans les nommer. Une somme non négligeable en cette période de difficultés budgétaires majeures en France.
Dans des estimations menées par l’université de Mannheim (Allemagne), le manque à gagner fiscal pour la France, dû à la fraude des CumCum, se chiffrerait à 33 milliards d’euros sur la période 2000-2020.