Fraudes CumCum : sous la pression du Sénat, le gouvernement retire un texte controversé

Aux côtés des représentants de la commission des finances du Sénat, le ministre de l’Économie et des Finances a annoncé ce 24 juillet la suppression d’un texte d’interprétation, qui avait provoqué la colère des parlementaires. Ce dernier avait introduit, selon eux, une « brèche » dans une disposition anti-fraude à l’impôt sur les dividendes.
Guillaume Jacquot

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Le gouvernement a finalement cédé dans le bras-de-fer qui l’opposait à la commission des finances du Sénat. Cette dernière bataillait depuis le printemps pour garantir la pleine effectivité d’une disposition législative, inscrite dans la dernière loi de finances à son initiative, permettant de renforcer la lutte contre les fraudes dites « Cum-Cum », des montages financiers complexes, préjudiciables aux finances publiques.

Dans ce type de schéma, un actionnaire transfère ses titres à une entité, souvent une banque, avant de recevoir les dividendes, dans le but d’éviter leur imposition à la source. La banque rend ensuite les titres et les dividendes au propriétaire, moyennant une commission. La France accuse 33 milliards d’euros de manque à gagner sur vingt ans à cause de ce type de montages.

Un geste dans « un souci de compromis »

Depuis avril, le président de la commission du Sénat, Claude Raynal (PS) et le rapporteur général Jean-François Husson (LR) s’efforçaient d’obtenir le retrait d’un texte d’interprétation publié au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) qui introduisait, selon eux, « une brèche dans le dispositif, non conforme à l’intention du législateur », car elle ajoutait « à la loi des cas de non‑application de l’imposition ». Jean-François Husson avait même réalisé une descente à Bercy, pour comprendre les motivations derrière cette publication. Après son contrôle et de ses échanges avec les services, le sénateur avait dénoncé l’intervention du lobby bancaire, en particulier de la Fédération bancaire française.

Le dispositif voté dans le budget 2025 imposait que la retenue à la source s’applique aux « bénéficiaires effectifs ». Mais le texte d’application publié par l’administration fiscale permettait des exceptions, notamment lorsque les banques ne connaissent pas les bénéficiaires des dividendes ou en exonérant les « marchés réglementés » d’appliquer cette disposition.

Dans un souci d’apaisement, à l’approche d’une séquence budgétaire à hauts risques au Parlement, le gouvernement a finalement décidé de faire machine arrière et de donner raison aux sénateurs, en retirant son interprétation. Le BOFip sera republié ce soir sans le paragraphe controversé, a annoncé ce 24 juillet le ministre de l’Économie et des Finances Éric Lombard, au cours d’un point presse aux côtés des deux sénateurs. « Dans un souci de compromis, après le dialogue que nous avons eu, j’ai décidé de retirer le texte en question, le paragraphe 4 pour être précis, puisque la loi effectivement est précise », a-t-il développé. Le ministre a voulu indiquer que l’objectif initial de son ministère n’était « évidemment pas » de risquer de « dénaturer le texte » adopté au Parlement.

« Un moment de satisfaction », selon Jean-François Husson

La décision a été accueillie par des remerciements des deux responsables de la commission des finances, avec lesquels le ministre s’était entretenu ce jeudi matin. « C’est un moment de satisfaction », a salué Jean-François Husson (LR), qui parle également de « signal fort ». « Bien évidemment je ne me fais pas d’illusion, je devine que certains continueront de vouloir essayer de contourner la réglementation mais ce qui est important c’est que ça permet également par la séparation des pouvoirs à la justice de pouvoir agir avec plus d’efficacité », a-t-il insisté. Selon le sénateur de Meurthe-et-Moselle, François Bayrou « a également fortement appuyé » la demande des sénateurs et « contribué » à l’épilogue de ce jeudi.

Claude Raynal, le président de la commission des finances, a « salué la volonté du ministre de trouver une solution permettant que l’esprit qui a été voulu par les législateurs sur ce texte soit maintenu ». Les parlementaires et le gouvernement vont désormais suivre l’application de la loi. « S’il faut à un moment donné évidemment rouvrir un dialogue sur tel ou tel aspect, nous le ferons bien volontiers en négociation, en discussion avec le ministère si cela est nécessaire », a précisé le président de la commission des finances.

Outre l’aspect de la lutte contre la fraude, le ministère souhaite « aussi vérifier qu’à la suite de cette loi le fonctionnement de la place de Paris continue à se dérouler sans difficulté ». « Naturellement, si jamais une difficulté devait apparaître, dans notre responsabilité commune celle du Sénat celle de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement, nous pourrions proposer des aménagements, mais ma conviction réellement c’est que ça ne sera pas nécessaire », a conclu Éric Lombard.

La Fédération bancaire française a « pris acte » du retrait de l’instruction relatives aux marchés réglementés du Bulletin officiel des finances publiques. Elle estime que la suppression annoncée « ne contribue pas à la sécurité juridique indispensable aux acteurs qui traitent ces produits en France et sont les premiers garants de la liquidité des actions émises par les entreprises nationales » et qu’elle « ne crée donc pas des conditions favorables à la sauvegarde d’un marché de capitaux efficient et souverain ».

Actuellement, cinq établissements bancaires font l’objet de procédures de redressement, pour un montant de 4,5 milliards d’euros, à la suite de fraudes CumCum. Selon le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, au moins 1,5 milliard d’euros pourraient être obtenus en luttant contre le contournement de l’impôt sur les dividendes, grâce à la disposition insérée par le Sénat.

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