Pierre Moscovici presents the first report on the Pass Culture to the Court of Auditors.
Credits : Antoine Noel/SIPA

« Gestion erratique, pilotage à vue » : le coup de gueule de Pierre Moscovici et de la Cour des comptes sur le budget 2024

Lors de la présentation son rapport sur le résultat du budget 2024 de l’État, le premier président de la Cour des comptes a étrillé la gestion budgétaire des derniers mois. Il a également regretté l’impossibilité pour son institution de certifier les comptes de État « sans réserve très significative ». Il menace de ne plus procéder à cette certification, si l’administration persiste à ne pas prendre en compte ses recommandations.
Guillaume Jacquot

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Dans le langage mesuré de la Cour des comptes, c’est le véritable signe d’une exaspération. « J’aimerais faire part, non pas de ma mauvaise humeur, mais de ma très mauvaise humeur, s’agissant des suites, ou plutôt de l’absence ou de la quasi-absence de nos recommandations et analyses », s’est exclamé Pierre Moscovici, face aux journalistes, ce 16 avril. Le premier président de la Cour des comptes a ensuite réitéré ses mots devant les députés de la commission des finances au cours de la matinée.

La raison de cette mauvaise humeur : les conditions dans lesquelles ses équipes ont dû travailler sur la validation des comptes de l’État. « Pour la 19e année consécutive, les comptes de l’État ne sont pas en mesure d’être certifiés sans des réserves très significatives », a reproché le premier président de la Cour des comptes, dénonçant le « refus persistant de l’administration d’appliquer les principes et normes comptables communément acceptés ». L’institution de la rue Cambon déplore « 5 anomalies significatives », autrement dit des comptes sous-évalués ou surévalués « sur plusieurs milliards d’euros », mais aussi 11 insuffisances ou incertitudes, sur lesquelles les magistrats financiers ont été incapables de « réconcilier les chiffres ».

« Ce n’est pas sérieux ! »

Dans ces conditions, la Cour s’interroge sur l’attitude à adopter lors des prochains exercices budgétaires, si ses observations continuent d’être prises « à la légère ». « En l’absence de progrès significatifs en 2025, la Cour pourrait être amenée à en tirer les conséquences […] autrement dit à ne pas certifier les comptes », a prévenu Pierre Moscovici. L’ancien ministre de l’Économie a d’ailleurs fait la comparaison avec le monde privé. « J’imagine la situation d’une entreprise où le commissaire aux comptes certifierait les comptes avec de fortes réserves ou ne les certifierait pas, et où le conseil d’administration dirait on s’en fiche. Ce n’est pas sérieux ! »

Les mots du président de la Cour des comptes n’ont pas été tendres non plus pour la gestion du budget 2024, période décrite comme un « exercice assez chaotique » et une « année noire pour les finances publiques ». L’an dernier, l’État a enregistré un déficit de près de 156 milliards d’euros, soit 9 de plus par rapport à la loi de finances. Construit à l’automne 2023 sur des prévisions trop optimistes, les textes budgétaires se sont finalement soldés par un dérapage du déficit public à 5,8 % du PIB, très éloigné de la cible de 4,4 % imaginée plusieurs mois plus tôt.

Sous sa casquette de président du Haut Conseil aux finances publiques, il a estimé que le budget 2024, qui « avait vocation à amortir cette dégradation [de 2023] a constitué une occasion manquée ».

Pierre Moscovici a notamment déploré la façon dont le gouvernement a réagi après avoir pris en connaissance en février, des mauvais retours sur le terrain des recettes fiscales à la fin 2023. Il a dénoncé une « gestion erratique » et un « pilotage à vue en matière de crédits budgétaires ».

Le rapport de la Cour des comptes note en particulier que sur les 37 programmes qui ont bénéficié d’une ouverture de crédits dans la loi de fin de gestion (fin 2024), 31 ont subi une annulation en février. « Ces mouvements contradictoires suggèrent qu’une partie significative des annulations de début d’année avait été décidée sans reposer sur des projections rigoureuses et a dû être corrigée en fin de gestion », épingle la Cour des comptes.

« Une loi de finances rectificative était non seulement logique, mais nécessaire »

À l’image d’un certain nombre de parlementaires, le président de la Cour des comptes regrette aussi l’absence d’un budget rectificatif. « Une loi de finances rectificative en février ou en mars 2024 était non seulement logique, mais nécessaire, pour tirer les conséquences de 2023 et sauver le solde de 2024, et la crédibilité de notre trajectoire. Le gouvernement s’est privé du seul vecteur qui lui aurait permis un ajustement des recettes », a sermonné l’ancien commissaire européen.

Dans la foulée de la mission d’information sénatoriale sur la dégradation des comptes publics, mais aussi des résultats de la commission d’enquête des députés, Pierre Moscovici a jugé lui aussi qu’il était « absolument inconcevable de conserver de telles incertitudes dans les prévisions ». « Il faut impérativement revoir notre façon de les concevoir ».

Autre impératif, selon lui, dans l’optique du futur budget 2026, qui s’annonce plus difficile que jamais : « Il est urgent que l’exercice de revue des dépenses prennent enfin l’ampleur et la portée nécessaires pour enclencher une véritable révolution et évolution de la dépense publique, qui permette de renforcer la qualité de la dépense et d’étayer de manière crédible le projet de loi de finances pour 2026 ».

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