Grande distribution : la politique des marges de la grande distribution pénalise les produits sains, selon les associations de consommateurs
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Grande distribution : la politique des marges de la grande distribution pénalise les produits sains, selon les associations de consommateurs

Lors d’une table ronde menée par la commission d’enquête sur les marges dans la grande distribution, des associations ont dénoncé la politique de répartition des marges. Les plus importantes, sur les produits bruts, compensant les marges faibles sur les produits de grandes marques.
Guillaume Jacquot

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Comment se construisent les prix dans les supermarchés ? C’est à cette question que tentera de répondre la nouvelle commission d’enquête sénatoriale, installée cette semaine sur demande du groupe écologiste. Les sénateurs, sous la houlette de leur rapporteure Antoinette Guhl (écologiste) et de leur présidente Anne-Catherine Loisier (Union centriste) vont se pencher pendant plusieurs mois sur les marges que pratiquent les industriels et les enseignes de la grande distribution.

Le sujet se place au carrefour de plusieurs préoccupations, aussi bien du côté des clients dont le pouvoir d’achat a été entamé avec l’inflation de 2022 à 2024, que du côté des producteurs, qui n’ont pas toujours le sentiment d’être rémunéré à un juste niveau.

« On a besoin qu’au moins une entité de contrôle vienne mettre son nez là-dedans ! »

La commission a commencé son cycle d’audition ce 17 décembre, en entendant des associations de consommateurs. Le besoin de transparence sur la décomposition des marges a notamment été exprimé à plusieurs reprises au cours de cette table ronde. « La construction des prix, c’est quelque chose sur lequel les données ne sont pas spécialement disponibles et sur lequel le consommateur n’est pas du tout informé », a par exemple déploré Marie-Amandine Stévenin, présidente de l’UFC-Que Choisir. « J’ai envie de vous dire que je vais ressortir d’ici encore plus convaincue que sans un encadrement législatif, on n’y arrivera pas », a également plaidé Nadia Ziane, directrice du service juridique et défense des consommateurs auprès de la Fédération nationale Familles Rurales. « On ne demande pas forcément à ce que ce soit rendu public, mais on a besoin qu’au moins un une entité de contrôle vienne mettre son nez là-dedans ! »

Les associations ont également ciblé la politique de répartition des marges entre les différents rayons de la grande distribution. Se référant aux données de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, l’UFC-Que Choisir a souligné que les marges plus élevées se situaient sur les produits bruts, « plus sains, qui vont être de saison, qui peuvent être locaux », au détriment d’autres produits de grandes marques, servant de produit d’appel.

« La construction des marges aujourd’hui pose un problème dans l’accès à cette alimentation saine »

Selon Marie-Amandine Stévenin, les marges sur les fruits frais peuvent atteindre jusqu’à 44 %, et celles sur les légumes jusqu’à 77 %. Ces marges viennent « combler les marges qui sont beaucoup moins importantes sur d’autres rayons et notamment du rayon ultra transformé ». « Donc on a vraiment une politique de marges de la grande distribution qui n’oriente pas le consommateur vers les bons produits », a dénoncé cette avocate. « Ça n’est pas une vue de l’esprit que de dire que la construction des marges aujourd’hui pose un problème dans l’accès à cette alimentation saine », s’est également inquiétée Nadia Ziane, de la Fédération nationale Familles Rurales. Sa représentante ne demande aux grandes enseignes de faire moins de marge mais « de les faire différemment ».

L’audition a également été l’occasion pour les associations de formuler des propositions de réforme, notamment lorsqu’il a été question de tirer un bilan des lois Egalim, issues des États généraux de l’alimentation de 2017. Cette série de textes, dont le premier remonte à 2018, consistait à rééquilibrer les relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, en luttant contre les phénomènes de guerres des prix entre les enseignes. Les dispositions consistent à établir un prix en partant des coûts de production avec des indicateurs de référence, à encadrer davantage les promotions, ou encore à interdire aux distributeurs de revendre les produits alimentaires en-dessous d’un niveau égal à leur prix d’achat, majorité de 10 %. C’est le « seuil de revente à perte + 10 % », ou « SRP+10 », conçu pour redonner suffisamment d’air à l’amont des chaînes de valeur. Pour la présidente de l’UFC-Que Choisir, ce mécanisme « a raté sa cible » et doit être « abrogé ». « On a un tas d’agriculteurs qui n’arrivent pas à vivre de leur production en ayant de l’autre côté un tas de consommateurs qui nous disent : je ne peux plus supporter les prix qu’on me propose en supermarché », a observé Marie-Amandine Stévenin. « Tout ce que ça a permis, c’est une augmentation des prix pour le consommateur. Dans les rapports dont on dispose, on ne voit pas le gain pour les producteurs qui étaient visés par la mesure », a acquiescé François Carlier, délégué général de l’association CLCV (Consommation, logement et cadre de vie).

S’il reconnaît que le « ruissellement » promis n’a pas eu lieu, le journaliste Olivier Dauvers auditionné à leurs côtés a toutefois indiqué qu’il serait en réalité « extrêmement coupable de vouloir enlever le SRP+10 pour faire baisser les marges sur les fruits et légumes ». « Il avait théorisé l’idée que si on oblige les distributeurs à gagner de l’argent sur les produits marketés, ils vont du coup être moins gourmands sur les produits fruits et légumes […] Sauf que si on supprime le SRP+10, vous accentuez le phénomène, ne vous trompez pas », a indiqué ce spécialiste de la consommation et de la grande distribution, animateur du blog Le Web Grande Conso.

Augmentation des capacités de production, affichage du coût de production parmi les pistes évoquées

En réponse à la hausse visible des prix dans l’alimentation – près de 23 % sur la seule période allant de janvier 2022 à décembre 2024 – provoquée par la crise énergétique consécutive à l’invasion de l’Ukraine, les personnes auditionnées ont formulé quelques propositions susceptibles d’aiguiller le rapport au printemps de la commission.

La Fédération nationale Familles Rurales demande par exemple de « sacraliser les prix de certains produits et de les proposer à prix coûtant ». Seraient concernés 100 produits issus du Programme national nutrition santé (PNNS), « quitte à augmenter les marges sur les produits les moins sains », a détaillé Nadia Ziane, directrice du service juridique et défense des consommateurs. L’association a d’ailleurs essayé de reconstituer le budget nécessaire à l’achat de produits recommandés pour une bonne santé d’une famille de deux parents et deux enfants, en partant des premiers prix « dans les surfaces les moins chères de vente ». « On n’a pas réussi à composer un panier de produits à moins de 533 euros par mois », a relevé Nadia Ziane.

François Carlier, délégué général de l’association CLCV, préconise pour certains produits d’augmenter les capacités de produits, afin de détendre le marché et d’éviter que les prix (notamment sur les viandes) restent durablement hauts.

En matière de transparence, pour aiguiller le choix des consommateurs, le journaliste Olivier Dauvers recommande d’aller vers « l’affichage du prix payé par le producteur », dans les produits « où la composante matières premières est très simple à identifier ». L’UFC-Que Choisir appelle, entre autres, que les dispositions Egalim soient « pleinement suivies, pleinement contrôlées », et qu’il y ait des sanctions le cas échéant. Après une interruption due aux congés de fin d’année, la commission d’enquête reprendra ses travaux en janvier, en plein période des négociations commerciales.

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