Culture de vignobles

« Hold-up sur la filière » : l’augmentation des taxes sur l’alcool annoncée par Bercy inquiète au Sénat

Après les annonces de Bercy sur l’augmentation de la taxation de l’alcool, les sénateurs s’inquiètent. Pour un gain budgétaire assez modeste – quelques centaines de millions d’euros – les parlementaires spécialistes du sujet ont peur de fragiliser une filière en crise et ne croient pas vraiment à la justification de santé publique.
Louis Mollier-Sabet

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

La saison budgétaire est ouverte et Bercy est en chasse. D’après le site Contexte, confirmé par les Echos, une augmentation des taxes sur les boissons alcoolisées est sur la table pour les prochains textes budgétaires. Trois axes sont évoqués : l’augmentation des droits d’accise, le déplafonnement de l’indexation sur l’inflation – aujourd’hui limitée à 1,75 % – ainsi qu’un prix minimum du vin. Un ensemble de mesures qui pourraient rapporter quelques centaines de millions d’euros au budget de l’Etat et/ou de la Sécurité sociale selon les mesures, en sachant que l’ensemble des prélèvements sur les boissons alcoolisées représentent environ 5 milliards d’euros.

« Sinon, on arrachera nos vignes et on fera autre chose »

D’après Sébastien Pla, sénateur de l’Aude, les rumeurs d’une taxation supplémentaire imposée par Bercy à l’automne bruissent depuis quelques semaines dans « la filière », et le viticulteur de profession n’est pas étonné de voir cette mesure évoquée par la presse. « Ça fait quelque temps qu’on en entend parler. Aujourd’hui, on y voit plus clair et Bercy fait coup double en faisant à la fois plaisir aux lobbyistes anti-vin et en renflouant les caisses », estime le sénateur socialiste, passablement irrité par la direction que semble prendre le budget 2024 sur le secteur. D’après lui, l’argument de santé publique est un « alibi » du ministère des Finances. « Je sais que Bercy veut récupérer de l’argent partout », ajoute Sébastien Pla, « mais là c’est un hold-up sur la filière du vin. »

Son collègue du groupe radical, Henri Cabanel, lui aussi viticulteur, abonde. « Les technocrates de Bercy devraient réfléchir sur quel est le bon équilibre : il y a une profession, des agriculteurs, et une économie, qu’il faut préserver. Puis il y a un problème de santé publique, où je suis frustré que l’on ne lutte pas sur le fond, comme sur beaucoup d’addictions. » Le sénateur de l’Hérault estime que ce n’est pas une augmentation d’à peine un centime par bouteille de vin qui réglera le problème de santé publique. « Pourquoi il y a des gens addicts dans cette société ? C’est un mal-être profond, et ce n’est pas en taxant qu’on arrivera à régler le problème. Il faut avancer sur le quotidien, le travail, la précarité. Sinon, il faut juste nous dire que c’est trop nocif, puis on arrachera nos vignes et on fera autre chose. »

« Quand on ne veut pas taxer les superprofits, c’est difficile d’aller ensuite taper sur les consommateurs »

En termes de santé publique et de consommations addictives, des augmentations brutales de prix sont en général plus efficaces que de légères augmentations comme envisagées ici. « Trouver des sources de revenus pour l’Etat, je ne suis pas contre, mais on peut en trouver d’autres. L’alcool, quand il est bu avec modération, ça peut faire partie du patrimoine. Il y a d’autres solutions à trouver, sur la fraude fiscale et la fraude sociale notamment. Et là on ne parle pas de quelques centaines de millions, mais de dizaines de milliards. En tant que parlementaires, il faut que l’on prenne de la hauteur », argumente Henri Cabanel. « Bercy cherche de l’argent partout, et on peut le comprendre au regard du déficit public », embraye Sébastien Pla. « Mais à un moment donné, quand on ne veut pas taxer les superprofits, c’est difficile d’aller ensuite taper sur les consommateurs, et pas forcément les plus riches d’entre eux », assène le sénateur socialiste.

La sénatrice radicale Nathalie Delattre ne veut pas « refuser le débat » sur l’alcool et la santé publique, mais estime que c’est un « très mauvais moment pour mettre le sujet sur la table. » La sénatrice de Gironde, elle aussi viticultrice, fait allusion à la crise que traverse notamment le Bordelais, avec un niveau de mildiou jamais vu jusqu’alors. Ce champignon qui ronge les vignes et détruit les récoltes touche actuellement plus de 90 % des vignobles de Gironde, mais aussi d’autres régions du Sud-Ouest ou de la Provence, précise Nathalie Delattre. « J’entends bien la volonté du ministère de la Santé sur les questions de santé publique, ainsi que celle de Bercy qui pense pouvoir récupérer quelques centaines de millions. Mais la filière va avoir du mal à l’entendre compte tenu de la crise qu’elle traverse », insiste la sénatrice de Gironde.

« On a des viticulteurs au bord du suicide »

D’autant plus que les difficultés de la filière viticole ne datent pas de cet été. Entre les taxes Trump en 2019, la pandémie avec la fermeture des cafés et restaurants l’année suivante, un épisode de gel désastreux en 2021, suivi d’une sécheresse importante et une inflation des prix de l’énergie et des matériaux en 2022, les récentes années ont été très agitées. « On a des viticulteurs très fragiles au bord du suicide, ça ne tombe pas à la bonne période. C’est assez incompréhensible comme message », juge Nathalie Delattre. « C’est un très mauvais signal pour un secteur en difficulté », abonde son collègue socialiste, Sébastien Pla.

Henri Cabanel estime même plus largement, qu’au-delà de la filière, l’attitude de Bercy sur le sujet est « irresponsable » : « Après la réforme des retraites, l’inflation, les problèmes de précarité, de salaire, on va encore taxer davantage. Je comprends que le gouvernement ne veut pas taxer les entreprises, mais il faut arrêter de taxer les citoyens. Dans ce climat anxiogène, il faut laisser les citoyens souffler. » À cet égard, Sébastien Pla rappelle que selon toute vraisemblance, les prochains textes budgétaires seront adoptés par 49-3, et doute ainsi des marges de manœuvre des parlementaires sur le sujet. « Les dés sont pipés », regrette-t-il.

Nathalie Delattre mise, elle, sur la visite de Marc Fesneau dans le Bordelais ce mercredi, qui devrait être « largement alerté » sur la situation et aura ainsi la lourde tâche de remporter les futurs arbitrages budgétaires. Une tâche souvent ardue quand Bercy a entériné la perception de nouvelles recettes. Réponse à l’automne prochain dans la discussion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Dans la même thématique

« Hold-up sur la filière » : l’augmentation des taxes sur l’alcool annoncée par Bercy inquiète au Sénat
3min

Économie

Franck Dhersin, sénateur Union Centriste du Nord différencie le « chômage choisi de certains jeunes » et le chômage « subi » chez les plus de 55 ans 

Un an à peine après la précédente, le gouvernement prévoit déjà une nouvelle réforme de l’assurance chômage, et fixera lui-même de nouvelles règles d’indemnisation, à priori plus restrictives, à partir du 1er juillet. Comment les chômeurs reçoivent-ils ce nouveau tour de vis ? Ce dernier est-il souhaitable et justifié ? Interpellé dans l’émission « Dialogue Citoyen » par Sandrine Houssaye, une chômeuse de 60 ans arrivant en fin de droits, le sénateur Union Centriste du Nord, Franck Dhersin, estime qu’il faut différencier les jeunes qui, pour certains, « choisissent » leur inactivité et les plus de 55 ans qui la « subissent ».

Le

Fitch Ratings downgraded US long-term debt
7min

Économie

La France sur le grill des agences de notation : on vous explique comment ça marche

Standard & Poor’s, Fitch, Moody’s… Ces agences notent régulièrement les Etats pour évaluer leur capacité à rembourser leur dette. Comment fonctionnent-elles, que signifient les notes qu’elles donnent et quelles conséquences ces notes peuvent avoir sur la santé économique de notre pays ? Public Sénat fait le point.

Le

BERCY – Presentation du Plan de Simplification
7min

Économie

Feuille de paie, TPE-PME, dématérialisation : Bruno Le Maire présente ses pistes pour éviter la « paperasse »

Après Gabriel Attal ce mardi, qui a annoncé à Sceaux, une simplification des démarches, ainsi que le développement de l’intelligence artificielle dans les services de l’Etat, le ministre de l’Economie a présenté ce mercredi, les grandes lignes du projet de loi « Simplification ». Un serpent de mer des derniers gouvernements, que François Hollande avait voulu comme une des priorités de son quinquennat, via le « choc de simplification ». « C’est compliqué de simplifier », avait alors reconnu l’ancien locataire de l’Elysée, le 23 mars 2017, devant la presse.

Le

Paris, Senat, Jardin du Luxembourg
5min

Économie

[DOCUMENT] Des sénateurs centristes attaquent le décret d’annulation de 10 milliards d’euros d’économies devant le Conseil d’Etat

La sénatrice Nathalie Goulet et trois de ses collègues de la commission des finances déposent un recours devant la plus haute juridiction administrative du pays, dans le but d’obtenir l’annulation du décret budgétaire de février et de provoquer le dépôt d’un budget rectificatif. Ils estiment que le principe de sincérité budgétaire n’a pas été respecté et pointent également un vice de procédure.

Le