« Il est très difficile d’avoir un modèle économique qui tienne la route sans aucune aide », témoigne le président d’ArcelorMittal France

En difficulté en raison de la concurrence étrangère et de l’envolée des prix de l’énergie, la filiale France du géant de l’acier a insisté sur l’importance des aides publiques au Sénat, pour pouvoir maintenir sa production ou réaliser les investissements liés à la transition écologique.
Guillaume Jacquot

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Les auditions se suivent et ne se ressemblent pas, devant la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques dans les grandes entreprises. Le contraste était presque saisissant entre les échanges « un peu difficiles » avec le comité exécutif de Sanofi la veille, et cette nouvelle séance de questions-réponses ce 27 mars avec les principaux cadres d’ArcelorMittal. Hier, les sénateurs ont dû reprendre leurs interlocuteurs en les invitant à ne « pas noyer le poisson ».

Changement d’ambiance un jour plus tard face avec le géant mondial de l’acier, dont l’exposé détaillé et concis lui a valu des remerciements. « On n’a pas eu besoin d’aller à la pêche aux infos, vous avez été très transparents », a salué le président de la commission d’enquête, Olivier Rietmann (LR). « Vous faites un effort, vous êtes rentrés directement dans le cœur du sujet », a également reconnu le rapporteur Fabien Gay (communiste).

298 millions d’euros d’aides en 2023

Les sénateurs ont ainsi pu obtenir un panorama complet des soutiens publics dont le sidérurgiste a pu bénéficier récemment. En 2023, ArcelorMittal France a reçu des aides, directes ou indirectes, pour un montant global de 298 millions d’euros, qui se décomposent de la façon suivante : 195 millions au titre de taux réduits sur les factures d’énergie en raison de sa forte consommation, 41 millions d’euros d’allègements de cotisations sociales, 40 millions d’euros en crédit impôt recherche, 10 millions d’euros provenant du Fonds européen de développement régional, 6 millions d’euros au titre de l’activité partielle de longue durée (APLD), 4 millions d’euros de soutien aux investissements, et enfin 2 millions au titre des aides à l’apprentissage. En raison du contexte particulier de la crise énergétique, ArcelorMittal a touché 22 millions d’euros d’aides d’urgence en 2023.

S’agissant des aides à l’investissement, Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France, a indiqué que les aides obtenues représentaient « 5 % des investissements réalisés par l’entreprise, et même 2 % si l’on considère les aides effectivement perçues ». Confronté à une « une crise sans précédent », en raison d’une baisse importante de la demande en Europe (-25 % en 5 ans), d’une hausse des coûts de l’énergie, et donc d’une pression plus forte de l’acier produit dans les pays émergents, Alain Le Grix de la Salle a insisté sur l’importance du soutien des pouvoirs publics, qui consiste une bouée de sauvetage pour son activité.

« Le prix de vente de l’acier décarboné ou non est quasiment le même »

Sur les dix dernières années, le groupe n’a pas toujours été en mesure d’être redevable de l’impôt sur les sociétés, en raison du caractère très cyclique de son produit. Ces dix dernières années, ArcelorMittal France a payé 190 millions d’euros d’impôt sur les sociétés, a détaillé Audrey Giès, la directrice fiscale au niveau national.

Au cours de son exposé, le président Alain Le Grix de la Salle a notamment insisté sur l’intérêt des aides publiques à l’investissement dans la décarbonation. « Sans aide, elle serait très difficile. Le prix de vente de l’acier décarboné ou non est quasiment le même et un client aujourd’hui n’accepte pas de payer plus pour avoir une tonne d’acier décarbonée. Il est très difficile d’avoir un modèle économique qui tienne la route sans aucune aide. »

D’où le rôle « déterminant » de ces aides dans les projets de décarbonation de la filiale française de la multinationale. ArcelorMittal France peut par exemple compter sur l’engagement d’une aide de 850 millions d’euros de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) pour l’accompagner sur son projet de décarbonation sur son site de Dunkerque, lequel est évalué à 1,8 milliard d’euros. L’aide n’a toutefois pas encore été versée puisque l’entreprise n’a toujours pas démarré l’opération.

Des projets différés, malgré une aide conséquence de l’Ademe, dans l’attente de décisions européennes

« Le projet a été différé, tout comme tous nos projets en Europe », a expliqué son président, regrettant un « manque de visibilité » sur les actions concrètes que doit engager l’Union européenne. Satisfaite par l’annonce du plan acier la semaine dernière, l’entreprise attend désormais des « actes concrets », notamment sur deux volets : l’évolution du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et les mesures pour limiter les importations d’acier produit en dehors de l’UE.

Cet attentisme n’a pas manqué de faire réagir le rapporteur Fabien Gay. « Là, ça tarde, et plus on va prendre du retard, et le site en a déjà pris, plus en réalité le site se met en difficulté », a-t-il pointé du doigt. Le président LR a dit comprendre la prudence du groupe, au vu des investissements en jeu. « Ce n’est pas le tout de mettre de l’argent sur la table, il faut aussi que les décisions politiques accompagnent ces financements », a plaidé le sénateur de Haute-Saône.

Le groupe se montre confiant sur la capacité de la Commission européenne à faire des annonces dans « les mois à venir ». « On a pour objectif de pouvoir annoncer nos premières décisions d’investissement en France durant le deuxième ou troisième trimestre. On parle de mois, pas d’années. C’est demain », a tenu à rassurer Alain Le Grix de la Salle. « Notre souci aujourd’hui, c’est un souci de vitesse et de prise de décision en Europe. Quand on se compare à d’autres pays comme les Etats-Unis ou d’autres, nous en Europe il faut des mois, quand il y a urgence ! »

Le groupe questionné sur le plan social des sites de Reims et Denain

Comme c’est de rigueur à chaque audition de cette commission d’enquête, la direction a été interrogée sur sa gestion des ressources humaines et de l’emploi. Dans un premier temps, ArcelorMittal a insisté sur la stabilité de ses effectifs, 15 400 personnes depuis 2019, malgré un « marché en forte baisse ». Mais 2025 sera un point de bascule. Le sidérurgiste a lancé quatre plans sociaux, pour un total de 150 suppressions de postes, la plupart sur les sites support de Reims (Marne) et Denain (Nord). « En même temps, nous avons 300 postes ouverts en France », a mis en perspective le président. Son directeur de la coordination RH a quant à lui souligné que des accords avaient été signés à l’unanimité avec les partenaires sociaux.

Fabien Gay s’est notamment étonné du transfert de certaines activités de support en Inde, où le droit du travail est beaucoup moins favorable. « Nous sommes dans une situation très critique en Europe, en termes de résultats. On cherche toutes les mesures pour améliorer notre performance dans un marché qui s’est complètement effondré, du fait des importations », a justifié le président d’ArcelorMittal, qui rappelle l’attachement du groupe à la France, qui concentre 25 % des effectifs et des investissements européens.

Le rapporteur communiste aura relevé « une contradiction » avec le discours tenu plus tôt par l’industriel. « D’une manière générale, le groupe est implanté là où son histoire l’a conduit, et non pas en fonction de là où les aides sont les plus importantes. Nous sommes le résultat des évolutions des entreprises, nos sites sont géographiquement localisés par rapport au marché que nous souhaitons servir », avait déclaré le président.

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