Auditionnés par le Parlement ce vendredi 11 octobre, les ministres de Bercy ont indiqué que des ajustements de dernière minute seraient proposés au projet de loi de finances 2025 par voie d’amendements. Notamment une économie globale de 5 milliards d’euros, répartis sur la quasi-totalité des ministères.
Investissements de 800 milliards, emprunt commun : les pistes de Mario Draghi pour sortir l’économie européenne de sa « lente agonie »
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L’économie européenne fait face à un « défi existentiel », condamnée à une « lente agonie » si aucune mesure ambitieuse de relance n’est prise. Dans son rapport, commandé par la Commission européenne il y a un an et rendu ce 9 septembre, Mario Draghi se veut alarmiste.
Il faut dire que le décrochage de l’économie européenne, comparée à son concurrent américain, est saisissant. Selon les données de la Banque mondiale, l’écart de PIB entre les deux continents aurait doublé en vingt ans, s’établissant à 30 % en 2023. « Le revenu disponible réel par habitant a augmenté presque deux fois plus aux Etats-Unis qu’en Europe depuis 2000 », observe Mario Draghi dans son rapport.
Pour mettre un terme à ce déclin, l’économiste italien préconise des mesures d’investissement radicales pour relancer la productivité de l’UE dans des secteurs clés. « Si l’Europe ne parvient pas à devenir plus productive, nous serons contraints de faire des choix. Nous ne pourrons pas devenir à la fois un leader des nouvelles technologies, un modèle de responsabilité climatique et un acteur indépendant sur la scène mondiale. Nous ne pourrons pas financer notre modèle social. Nous devrons revoir à la baisse certaines, voire toutes nos ambitions », explique-t-il.
« Au moment où le monde s’industrialise, l’Europe est encore frappée par la désindustrialisation »
Dans son document de près de 400 pages, Mario Draghi formule ainsi 170 propositions pour relancer l’économie européenne dans des secteurs clairement identifiés : l’énergie, l’industrie automobile, la défense ou encore de l’intelligence artificielle. Des priorités fixées sur des « domaines qui comptent », explique l’économiste, pour ne pas se disperser et diluer les efforts des 27. Car aujourd’hui, l’UE « formule des objectifs communs », sans pour autant se fixer « des priorités claires ou en les faisant suivre d’actions politiques concertée », déplore-t-il.
Ce constat d’un manque de stratégie industrielle commune à tous les États membres se pose dans tous les secteurs, constate Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste de BDO France : « Au moment où le monde s’industrialise, l’Europe est encore frappée par la désindustrialisation. Contrairement aux États-Unis et à la Chine qui ont mis en place des politiques de long terme, les 27 États membres ont des stratégies de réindustrialisation très ponctuelles et dispersées. »
Pour la spécialiste des prévisions économiques, l’économie européenne ne redeviendra compétitive qu’au prix d’un changement de modèle. « L’Union européenne s’est construite économiquement avec l’objectif de favoriser le consommateur, d’avoir les prix les plus bas, avec des dépenses centrées sur des politiques de chèques et de subventions. Aujourd’hui, le reste du monde est en train de changer de prisme, les États-Unis concentrent leurs investissements sur le producteur et la création de valeur ajoutée », explique Anne-Sophie Alsif.
Mobiliser l’épargne des européens, un chantier qui patine
Pour rattraper son retard, l’Union européenne doit donc consentir à des investissements « massifs et sans précédent », observe Mario Draghi : entre 750 et 800 milliards d’euros par an, soit plus de 4 % de son PIB. L’économiste suggère d’actionner plusieurs leviers pour réunir cette somme, et en premier lieu celui de l’épargne des européens.
« C’est la richesse de l’Union européenne, quelque chose que n’ont ni la Chine, ni les États-Unis. En mobilisant entre 20 et 30 % de cette épargne, nous pourrions atteindre cet objectif des 800 milliards », estime Anne-Sophie Alsif. Une manne financière conséquente, mais très difficile à mobiliser pour le moment, car elle nécessiterait la mise en place d’une « union des marchés de capitaux ». L’UE y travaille depuis plus de dix ans, sans succès.
« L’union des marchés de capitaux, c’est le fait de créer des règles communes, harmonisées, entre tous les États membres, qui permettraient par exemple aux Français d’investir aussi facilement dans leur pays que dans l’économie italienne. Aujourd’hui en Europe, la mobilité des capitaux n’est pas fluide comme elle peut l’être aux États-Unis, où chacun peut aussi bien investir à New-York que dans l’Ohio », indique Anne-Sophie Alsif. Mais, face à l’important travail d’harmonisation des règles de chaque État, alors que certains membres de la zone euro comme le Luxembourg freinent des quatre fers, le chantier patine.
Convaincre les « frugaux » de l’utilité d’un emprunt commun
Face à l’urgence de la situation, Mario Draghi suggère donc une autre piste, moins difficile à mettre en place mais tout aussi controversée : le recours à un emprunt commun, sur le modèle du plan de relance post-Covid. Une proposition qui suscite l’opposition des pays dits « frugaux », l’Allemagne en tête, traditionnellement réticents à l’idée d’un endettement de l’Union européenne. « En assumant une dette commune, nous ne résoudrons aucun problème structurel », a immédiatement dénoncé le ministre des Finances allemand Christian Lindner sur X. « Les entreprises sont entravées par la bureaucratie, elles ont du mal à accéder à des capitaux privés. C’est à cela que nous devons travailler », a-t-il ajouté.
De son côté, la France, qui avait été à l’initiative de cet emprunt commun au moment du Covid, ne pourra pas peser de la même manière aujourd’hui pour convaincre ses voisins « frugaux ». En pleine période d’instabilité politique, le pays a également été placé en procédure de déficit excessif par la Commission européenne.
La proposition d’emprunt commun n’a pour le moment pas été officiellement soutenue par Ursula von der Leyen. La présidente de la Commission européenne a toutefois salué le travail de Mario Draghi, assurant qu’un certain nombre de ses propositions seraient intégrées aux lettres de mission des futurs commissaires européens, dont les noms doivent être dévoilés mi-septembre.
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