Jours fériés, retraités, niches fiscales : Amélie de Montchalin assaillie de questions au Sénat après le grand oral de François Bayrou

Auditionnée par la commission des finances du Sénat, la ministre des Comptes publics souligne que le moment est celui du « point de départ de la construction du compromis » sur le budget 2026. Ferme sur l’objectif de réduction, elle s’est cependant montrée ouverte à des évolutions et à la réflexion sur un certain nombre de sujets.
Guillaume Jacquot

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Exercice inédit dans les commissions des finances ce 16 juillet. Les parlementaires, réunis le temps d’une audition organisée en dehors d’une session ordinaire ou même extraordinaire, ont commencé à débattre et à questionner de façon précise les grandes orientations d’un début de projet de loi de finances 2026, qui n’en est toutefois pas encore formellement un. Ses contours précis seront présentés dans un peu plus de deux mois. D’ici le début de l’automne budgétaire, l’été sera studieux dans les deux assemblées, comme à Bercy. Au lendemain de la présentation d’un plan d’effort de près de 44 milliards d’euros, pour ramener le déficit à 4,6 % du PIB l’an prochain, la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin est venue assurer le service après-vente du gouvernement, et répondre aux nombreuses interrogations de la représentation nationale, d’abord à l’Assemblée nationale, puis au Sénat, pendant quatre heures et demie.

« Aujourd’hui, nous sommes au temps zéro, celui du point de départ de la construction du compromis que nous devons trouver ensemble, pour donner au pays un budget cet automne, dans les délais, et ne pas nous retrouver dans la situation où nous commencerions une année sans budget », a résumé la ministre, en première ligne dans ce dossier à haut risque.

« On ne peut pas revoir l’objectif », prévient la ministre des Comptes publics

Si la majorité sénatoriale de droite et du centre, par la voix du rapporteur général Jean-François Husson (LR), lui a assuré du « soutien du Sénat » pour doter la France d’un budget, la gauche a relayé sa vive opposition contre ce « brouillon de budget », contre lequel les appels à la censure s’empilent à l’Assemblée nationale. L’ouverture de ce débat en pleine interruption des travaux en séance publique, rendant impossible pour le moment le dépôt d’une motion de censure à l’Assemblée nationale, traduit la « fébrilité » du Premier ministre, a fait savoir le sénateur PS Thierry Cozic, parmi les premiers à s’exprimer. Dénonçant un « plan d’austérité budgétaire payé par les classes moyennes, les retraités et les collectivités locales », le sénateur de la Sarthe a demandé sans détour si le gouvernement était prêt à « revoir sa copie ».

« On ne peut pas revoir l’objectif », a tranché la ministre, qui parle d’efforts « nécessaires » pour retrouver la « maîtrise de nos comptes » et « rester maîtres de nos choix ». « Est-ce qu’on peut discuter de la manière de rendre cela juste, équitable, et surtout efficace ? Par définition, je ne vais pas dire non », a-t-elle cependant ajouté.

Le gouvernement prêt au dialogue, sur un mécanisme controversé de lissage des recettes des collectivités locales

Le gouvernement va devoir commencer par convaincre ses propres alliés au Sénat, sur la contribution des collectivités territoriales à l’effort de redressement. Pour Jean-François Husson, la proposition d’un effort de 5,3 milliards d’euros, soit 13 % de l’effort total, est « manifestement et clairement excessive ». Le sénateur de la Meurthe-et-Moselle a rappelé que les collectivités étaient responsables de seulement 3 % de la progression de l’endettement public depuis 2019.

La lecture est différente pour Bercy. Plutôt que de regarder le passé, le ministère des Comptes publics a regardé les volumes de dépenses publiques, pour chacun des grands blocs (Etat, Sécurité sociale, collectivités). Pour les collectivités, « nous avons modulé l’effort », a rétorqué Amélie de Montchalin, qui rappelle que contrairement à l’Etat, l’inflation sera prise en compte. Sans cela, les collectivités auraient été promises, selon elle, à un effort plus important, de 8,6 milliards d’euros.

La ministre a d’ailleurs fait un geste d’ouverture sur le DILICO, un prélèvement sur recettes instauré en 2025 sur 2 000 collectivités, que le gouvernement souhaite reconduire. « Nous voulons le paramétrer différemment avec vous », s’est engagée Amélie de Montchalin, qui annonce une meilleure prise en compte de certaines situations particulières locales.

Interrogations sur l’épaisseur des réformes structurelles et les non-remplacements de fonctionnaires partant à la retraite

A droite, certains considèrent que le plan « stop à la dette » du Premier ministre fait l’impasse sur les réformes structurelles, qui ne représentent que « 4 % » de l’effort, selon le calcul du sénateur LR Dominique de Legge. « L’année blanche est un fusil à un coup, ça ne pourra pas marcher tous les ans », ajoute-t-il. Le sénateur d’Ille-et-Vilaine se demande également comment mener à bien l’objectif de non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois partant à la retraite, si les ministères régaliens ou encore de l’Education nationale sont exclus. « Ce ne sera pas un sur trois, mais un sur dix ! »

« On ne veut pas faire une RGPP homogène, ça n’a aucun sens », a tenu à rassurer la ministre, en référence à la Révision Générale des Politiques Publiques conduite au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Elle a expliqué que la logique serait d’adapter « notre service public à la démographie ». Selon l’Insee, entre 2010 et 2024, la natalité a baissé de 21 %. Sur le front des réformes structurelles, Amélie de Montchalin a souligné que la future réforme de l’assurance chômage devrait dégager « près d’un milliard d’euros » d’économies, et que la maîtrise des arrêts maladie devrait alléger les dépenses de « 700 à 800 millions d’euros. »

A droite comme à gauche, l’émoi autour de la suppression de deux jours fériés est perceptible

La piste explosive d’un retrait de deux jours fériés, potentiellement le lundi de Pâques et le 8 mai, est évidemment revenue plusieurs fois au cours des débats, et pas seulement d’un seul bord de la salle d’audition. « La Macronie prouve qu’elle est en perdition », s’est exclamé le socialiste Thierry Cozic, soulignant que la France risquerait de se retrouver dans les pays les moins bien lotis en Europe en termes de nombre de jours fériés. « C’est une des annonces qui suscitent un peu d’émoi chez nos compatriotes. Travailler plus sans gagner plus. Il y a 15 ans, les Français ont adoré le travailler plus pour gagner plus. Là, c’est assez problématique », a également soulevé le sénateur LR Olivier Paccaud.

Se référant à une estimation de la commission des affaires sociales du Sénat, le sénateur de l’Oise a indiqué que passer aux « 36 heures payées 36 » pourrait aboutir à 43 milliards d’euros de ressources en plus. Un chiffre sur lequel la ministre s’est inscrite en faux. « Une heure de travail, c’est 3 milliards d’activité en plus, 1,5 milliard de recettes en plus », a-t-elle affirmé.

La suppression de deux jours fériés apportera aux finances publiques 4,2 milliards d’euros, sous forme d’une contribution des entreprises, selon le plan du gouvernement. « C’est moins ce que nous aurions pu demander. Nous voulons que la richesse soit partagée avec les salariés ». Les partenaires sociaux vont être consultés par le ministère du Travail sur cette question.

« On a le sentiment qu’on stigmatise les retraités »

Entre le gel des prestations, et la perte d’un abattement fiscal de 10 % sur l’impôt, « c’est la double peine » pour les retraités, a également alerté le sénateur centriste Vincent Capo-Canellas. « On a le sentiment qu’on stigmatise. Il faudra qu’on trouve des façons d’évoluer sur ce plan-là », a-t-il demandé au gouvernement. « Il n’y a pas de bouc émissaire. Il y a un certain nombre d’approches, qui nous amènent à prendre des décisions, à proposer des choses », s’est défendu la ministre. Le remplacement de l’abattement de 10 % sera remplacé par un abattement forfaitaire de 2000 euros, une réforme permettant de dégager un milliard d’euros d’économies. Amélie de Montchalin qualifie cette proposition de « plus juste », en ce sens où les retraités les plus aisés « redonnent des moyens » aux plus modestes. « On pourra débattre à l’infini des bons curseurs, mais on pense que notre proposition a un certain mérite de clarté et de lisibilité ».

A ce stade, cette réforme est la seule connue à ce jour dans le travail de remise à plat des niches fiscales et sociales, un défrichage dont le gouvernement attend tout de même 3,5 milliards d’euros. « C’est assez massif », s’étonne le rapporteur général Jean-François Husson, devant cette économie qui reste encore à documenter précisément. Amélie de Montchalin veut cibler plusieurs dispositifs : ceux qui arrivent à expiration, ceux qui ne sont pas efficaces, ceux qui bénéficient à trop peu de personnes, ou encore ceux qui ont perdu leur utilité. Le gouvernement veut également modérer la croissance de certaines. Le crédit impôt recherche, et les niches dédiées aux services à la personne, comme la garde d’enfants ou l’aide aux personnes âgées ou dépendantes, seront exclus du mouvement. « Sur le reste, il y a des débats, qu’on y travaille ensemble », a proposé la ministre.

La contribution des plus fortunés reste à définir

La ministre a également été interpellée par le rapporteur général sur les modalités de la « contribution de solidarité sur les plus hauts revenus », annoncée par le Premier ministre. La gauche a en parallèle dénoncé le manque de justice fiscale, l’écologiste Thomas Dossus estime qu’il n’y a pas de « mise à contribution des ultra-riches ».

Un « bouquet de solutions » se trouve sur la table. Dans le dernier budget, la France a instauré une contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR), pour s’assurer que les foyers les plus riches s’acquittent d’au moins une imposition minimale de 20 %. Amélie de Montchalin évoque aussi la fiscalisation des « actifs non productifs » détenus au niveau des holdings (où se fait l’optimisation voire le contournement de l’impôt) ou encore une « contribution différentielle sur les hauts patrimoines », déduction faite des biens professionnels notamment ou encore des investissements dans les entreprises de croissance. « Cela peut-être un outil la somme de plusieurs outils », a résumé la ministre, appelant à « bien calibrer » ou à éviter les doublons. Pour l’instant, « je ne sais pas vous dire ce que nous mettons dans ce projet de loi de finances, qui fera l’objet d’un compromis », a-t-elle indiqué sur cette question précise.

Doutes sur le volume d’économies possible sur la catégorie des opérateurs de l’Etat

Dernier point et non des moindres, la commission des finances s’est aussi interrogée sur l’objectif de réaliser 5,2 milliards d’euros d’économies dans le maquis des opérateurs de l’Etat. Il faut dire qu’une récente commission d’enquête a estimé que les économies étaient limitées, sauf à supprimer des politiques publiques. Le rapport a estimé que 540 millions d’économies étaient possibles sur les dépenses de fonctionnement. Evidemment, un effort annoncé comme dix fois supérieur a fait sourciller ses anciens membres. « Je suis très interrogatif, cela met en péril l’ensemble de vos chiffres », est intervenu l’ancien président communiste, Pierre Barros. « Aujourd’hui, les seules vraies économies que j’ai trouvées, ce sont les moins 1 000 à 1 500 ETP (emplois équivalents temps plein) de France Travail », a également objecté la sénatrice LR Christine Lavarde, la rapporteure de cette commission d’enquête.

La ministre a rappelé que les opérateurs avaient déjà supporté trois milliards d’euros d’économies dans la loi de finances 2025. Réorganisation, efforts dans le fonctionnement, réflexions sur les interventions : pour les économies de demain, Amélie de Montchalin a donné rendez-vous en septembre, au moment de l’annonce de la réforme de l’action publique par François Bayrou.

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