Council of Ministers of new Government of France at Elysee Palace, Paris – 23 Sep 2024

La baisse attendue du budget de l’Agriculture, une source d’inquiétude grandissante pour certains sénateurs

Le ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt, confié à la députée LR Annie Genevard, fait partie des portefeuilles qui risquent de voir leurs crédits baisser dans le prochain budget. Avec un monde agricole frappé par des crises multiples et structurelles, les sénateurs attendent de pied ferme la feuille de route de la nouvelle ministre.
Romain David

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De quelle ampleur sera l’élagage ? L’heure des choix approche pour l’exécutif, confronté à un nouveau dérapage des finances publiques. Le budget 2025, préparé dans ses grandes lignes par le précédent gouvernement, prévoit un gel des dépenses à 492 milliards d’euros, mais avec une nouvelle répartition des équilibres d’un portefeuille ministériel à l’autre. Si certains domaines régaliens voient leurs capacités de dépenses revues à la hausse, notamment la Défense et la Sécurité, d’autres missions sont impactées par des coupes plus ou moins importantes, comme l’Aide publique au développement (-19,4 %), l’Outre-Mer (-7,4 %), ou encore le Travail (-6,9 %), si l’on en croit les documents budgétaires finalement transmis par les services du Premier ministres aux deux commissions des finances du Parlement et aux rapporteurs du budget. Autre ministère impacté : l’Agriculture.

Selon la lettre de cadrage budgétaire envoyée par l’ex-Premier ministre Gabriel Attal à Marc Fesneau, le ministre sortant, et que dévoile le quotidien L’Opinion, l’Agriculture et la Souveraineté alimentaire accuseraient une baisse de 9,5 % pour les autorisations d’engagement (soit 6,8 milliards d’euros), et de 4,5 % pour les crédits de paiements (soit 6,6 milliards d’euros). Des chiffres que confirme à Public Sénat le sénateur socialiste Jean-Claude Tissot, membre de la commission des Affaires économiques, qui a pu consulter ces documents. « Il faut néanmoins y ajouter les 13 milliards d’euros prévus par la Politique agricole commune (PAC) », souligne l’élu.

Pour rappel, les autorisations d’engagement correspondent aux dépenses sur lesquelles s’engage l’Etat, elles peuvent être divisées en tranches, c’est-à-dire réparties sur plusieurs exercices en fonction de l’ampleur des chantiers concernés. Quant aux crédits de paiement, il s’agit de la somme débloquée sur une année pour couvrir le paiement de l’une de ces tranches. À ce stade, il ne s’agit que de documents préparatoires au projet de loi de finances 2025, mais le calendrier très serré que la Constitution impose au nouveau gouvernement, tout juste nommé, restreint grandement la marge de manœuvre.

« Il faut se souvenir que le budget 2024 était en forte hausse par rapport à 2023, avec une augmentation de plus d’un milliard. En tenant compte de l’inflation, la baisse se situerait autour des 300 millions d’euros. La somme aujourd’hui inscrite dans les lettres de cadrage permet encore de faire pas mal de choses », veut rassurer le sénateur LR Laurent Duplomb, l’un des rapporteurs pour avis de la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales.

Les engagements du précédent gouvernement

Pour autant, le coup de rabot attendu soulève certaines inquiétudes au regard de la crise qui agite le secteur. Début 2024, le mouvement de grogne des agriculteurs, qui a agité plusieurs pays européens, s’est traduit en France par deux séries de mesures d’urgence, pour un montant estimé par Bercy à 400 millions d’euros, ainsi qu’une avance sur trésorerie de 200 millions d’euros au titre du remboursement partiel de la taxe sur le gazole non routier, l’un des déclencheurs des manifestations.

Le gouvernement s’était notamment engagé à mettre en œuvre des mesures de simplification, notamment sur les délais de recours, à créer un fonds d’urgence de 50 millions d’euros pour soutenir les exploitations touchées par la maladie hémorragique épizootique, avec un taux d’indemnisation à 90 % pour les éleveurs, mais aussi à débloquer une aide d’urgence de 50 millions d’euros pour la filière bio. Gabriel Attal avait également évoqué sa volonté de bâtir un « Egalim européen » pour protéger la rémunération des agriculteurs.

Les syndicats dans l’attente

La dissolution a mis un coup d’arrêt au déploiement de ces différents chantiers. Saluant la nomination de la députée LR du Doubs Annie Genevard à l’Agriculture, la FNSEA, le principal syndicat agricole, et son partenaire Les Jeunes agriculteurs, n’ont pas manqué de rappeler leurs attentes dans un communiqué, évoquant « l’incompréhension grandissante des agriculteurs, déçus par les engagements non tenus après les mobilisations de l’hiver dernier. » Ils réclament de nouvelles avancées sur « la politique de renouvellement des générations, la compétitivité, la simplification, les moyens de production, la suite des lois Egalim, l’agrivoltaïsme… »

La dissolution a également suspendu le parcours législatif du projet de loi d’orientation agricole, décrié par les syndicats, la FNSEA appelle désormais l’exécutif à se saisir de son propre texte pour « entreprendre en agriculture ». « Il faut bien reconnaître que le texte de loi tel que proposé ne convenait à personne. S’il est repris, on va se retrouver en commission mixte paritaire avec des députés qui n’ont pas voté la loi », relève le sénateur Jean-Claude Tissot.

Annie Genevard à la tête du ministère, une nomination qui interroge

« La perspective d’une baisse du budget de l’agriculture m’inquiète au regard d’attentes qui sont énormes », confie la sénatrice LR de l’Aisne Pascale Gruny, qui a notamment travaillé sur les retraites agricoles. « Je ne vous cache pas que la nomination d’Annie Genevard à ce poste m’a surprise. Je ne l’ai jamais entendue sur ces questions. J’attendais plutôt quelqu’un comme Sophie Primas [sénatrice LR des Yvelines, finalement nommé Ministre déléguée chargée du Commerce extérieur, ndlr] ou Julien Dive [député LR de l’Aisne, proche de Xavier Bertrand, auteur de plusieurs rapports sur l’agriculture et l’alimentation, ndlr]. Le temps pour agir va être très court, on aurait aimé avoir des spécialistes sur ces dossiers », explique-t-elle.

« Est-ce vraiment le moment d’abandonner l’agriculture en rase campagne ? Est-ce que Madame la ministre va faire le forcing auprès de Bercy ? », interroge Jean-Claude Tissot. « J’observe que certains ministères sont découpés en morceaux, avec des postes clefs directement placés sous la tutelle du Premier ministre, comme les Comptes publics. Nous verrons bien, à la fin du débat budgétaire, si nous aurons, ou non, une ministre de paille à la botte des principaux syndicats. »

« Annie connaît la ruralité, elle est élue dans un département fortement agricole, via l’élevage », veut rassurer le sénateur Laurent Duplomb. « Et vous savez, un bon ministre de l’Agriculture, c’est d’abord quelqu’un qui a l’écoute du Premier ministre pour gagner ses arbitrages. Parce que si c’est encore le ministère de l’Ecologie qui l’emporte, alors oui, l’agriculture française va continuer à s’enfoncer », avertit l’élu de Haute-Loire.

Les postes de dépenses à sauver

La question des dossiers à prioriser risque de se poser rapidement. Pascale Gruny insiste sur la nécessité de préserver la procédure de calamités agricoles face à l’épidémie de fièvre catarrhale ovine et aux derniers épisodes climatiques, notamment dans les Hauts-de-France. « Dans mon département, j’ai des agriculteurs qui, à cause des inondations, ne pouvaient toujours pas rentrer sur leurs terrains en juin, et donc n’ont pas pu planter », rapporte-t-elle.

Laurent Duplomb insiste lui aussi sur les mesures de crises, notamment à l’attention des élevages ovins, des céréaliers ou du monde viticole, avec des productions en chute. « Avec de bonnes orientations, on peut être en mesure de donner un ballon d’oxygène à chacun. Par ailleurs, revenir sur certaines entraves administratives ou les interdits inopportuns ne coûte pas d’argent », explique le sénateur, qui invite la ministre à « prendre rapidement des décrets pour détendre la tension normative », son grand cheval de bataille.

« Il faudra trouver des équilibres. J’aurais tendance à dire, vu la situation, que tout est prioritaire. Nous verrons bien quelle est la feuille de route de la ministre et ce qu’elle entend sanctuariser », résume Jean-Claude Tissot.

« 80 % des budgets sont annoncés en baisse. Il n’est jamais simple de trancher dans la dépense publique », pointe Claude Raynal, le président (PS) de la commission des finances du Sénat. « Davantage que le budget de l’agriculture française, j’aurais tendance à dire que mes inquiétudes se portent sur ce qui va se passer au niveau européen, avec la nomination du commissaire à l’Agriculture, un Luxembourgeois [Christophe Hansen, membre du PPE, ndlr], donc quelqu’un qui n’est pas vraiment concerné par le dossier… », soupire l’élu.

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