Autoroute ristourne sur le prix du peages

Le gouvernement va taxer les sociétés d’autoroute : « Un minimum » au regard de leurs profits, estiment les sénateurs

Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, a fait savoir que le budget 2024 comprendrait une « taxation des surprofits » réalisés par les sociétés d'autoroute. En 2020, un rapport d’enquête du Sénat pointait déjà leur très forte rentabilité et préconisait un rééquilibrage.
Romain David

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Bercy entend s’attaquer à un pactole qui soulève les convoitises depuis un long moment déjà, celui amassé par les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Ce mardi 12 septembre, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie a confirmé au micro de LCI l’intention du gouvernement de mettre en place « une taxation pour éviter les surprofits qui ont été faits par les sociétés d’autoroute ».

Depuis plusieurs années déjà, leur très forte rentabilité est pointée du doigt et les rapports sur le sujet s’empilent. L’Autorité de régulation des transports (ART) en janvier dernier, puis l’Inspection générale des finances (IGF) en février, ont toutes deux pointé la nécessité d’un rééquilibrage à la faveur de l’Etat. En 2020, le Sénat avait également ouvert une commission d’enquête parlementaire sur « le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières », évoquant dans ses conclusions la rentabilité « hors norme » de certains acteurs.

« Nous voulons récupérer les surprofits qui ont été faits par les sociétés d’autoroute. Nous avons bien vu que leurs profits ont été plus élevés que prévu. D’ailleurs j’en prends toute ma responsabilité puisque j’étais aux affaires à ce moment-là avec le Premier ministre Dominique de Villepin », a expliqué Bruno Le Maire. À l’époque – nous sommes en 2005, sous Jacques Chirac -, l’Etat mise sur une privatisation pour se délester des 16,8 milliards d’euros de dettes détenus par les sociétés historiques du réseau. Ces concessions arriveront à terme pour la plupart entre 2031 et 2036.

La poule aux œufs d’or ?

Selon le rapport sénatorial de 2020, les concessions autoroutières ont commencé à devenir particulièrement rentables pour leurs actionnaires à partir de 2020, alors que les projections faites au moment de la privatisation tablaient sur une rentabilité – déjà très avantageuse – de 8 % atteinte à l’orée des années 2030. Un trafic routier plus important que prévu, l’augmentation continue du tarif des péages, en particulier sur les tronçons les plus fréquentés, et plus récemment la baisse de l’impôt sur les sociétés sont autant d’éléments venus doper le rendement des concessionnaires au fil des années.

Un temps examiné par l’exécutif, la piste d’un écourtement des durées de concession menaçait de tourner au casse-tête juridique. Elle a finalement été évacuée. « Le Conseil d’Etat nous a dit que ça n’était pas possible. On a étudié une deuxième voie, qui est de taxer les surprofits. Le Conseil d’Etat nous a dit que c’était possible. Nous emprunterons donc cette voie dans le budget 2024 », a encore expliqué le ministre de l’Economie.

Jusqu’à 40 milliards de dividendes sur les 13 prochaines années

Bruno Le Maire n’a pas donné d’indications quant au montant de cette taxe, renvoyant ses modalités d’application aux discussions parlementaires de l’automne. Le journal Les Echos évoque néanmoins une rentabilité estimée entre 500 et 600 millions d’euros par an, ce qui permettrait à l’Etat de récupérer un peu moins de 8 milliards d’euros sur treize ans. Selon une analyse indépendante réalisée à la demande du Sénat, pour la période allant de 2022 à l’échéance des concessions, le montant des dividendes versés par les sociétés pourrait atteindre 40 milliards, dont 32 milliards pour les deux géants Vinci et Eiffage.

« La baisse de l’impôt sur les sociétés leur a fait économiser 7 milliards. A minima, il faut réussir à récupérer cette somme, c’est un profit indu », estime auprès de Public Sénat le sénateur Vincent Delahaye, rapporteur centriste de la commission d’enquête parlementaire. « Cette taxe est un minimum vu la situation. Les 8 milliards me paraissent très peu au regard des projections de rentabilité », abonde son collègue communiste Éric Bocquet, vice-président de la commission des lois.

Un obstacle fiscal

La mise en place de cette taxation pourrait se heurter à deux difficultés. La première, d’ordre juridique, veut qu’au nom du principe d’égalité devant la loi fiscale, une telle taxe ne puisse spécifiquement viser les sociétés d’autoroute mais doive être appliquée à l’ensemble des concessions d’Etat. En clair, pour pouvoir imposer Sanef, APRR, Cofiroute et autres consœurs, le gouvernement risque aussi de faire payer des sociétés gestionnaires d’autres installations stratégiques comme les aéroports ou les barrages hydroélectriques. « Economiquement, cela n’est pas souhaitable, mais je ne pense pas que le gouvernement puisse juridiquement s’y dérober, au moins en ce qui concerne les concessions de transports », estime Vincent Delahaye. « Ce sont des arguties pour ne rien faire ! », s’agace Éric Bocquet. « Nous devons dépasser ces blocages au nom de l’intérêt général. »

Les exploitants prêts à contre-attaquer

La seconde difficulté tient aux réticences que menacent d’opposer les sociétés concessionnaires, qui estiment que les profits engrangés viennent compenser des années d’endettement et d’investissements. « Vinci Autoroutes et son président, Pierre Coppey, s’étonnent que le ministre parle de ‘surprofits’, alors que l’Autorité de régulation des transports, en charge de contrôler la rentabilité des sociétés concessionnaires d’autoroutes, a établi le contraire », a réagi l’exploitant dans un communiqué relayé par Reuters. Le terme n’est effectivement pas utilisé par cette autorité indépendante, qui évoque dans une note publiée en juillet dernier une rentabilité « à un niveau supérieur aux attentes du marché, mais cohérent avec les aléas normaux d’une concession. » Dans les colonnes du Figaro, Philippe Nourry, le président des concessions autoroutières d’Eiffage en France, s’était dit prêt à attaquer l’Etat en justice en cas de surtaxe.

« Il y a une manne financière qui nous passe sous le nez, mais il faut aussi reconnaître que nous avons un réseau autoroutier assez remarquable par rapport aux autres pays européens », salue le sénateur LR Philippe Tabarot, spécialiste des questions de transports. « Les profits engrangés par les sociétés reposent sur des contrats, qui n’ont peut-être pas été très bien faits, mais qui ont été signés par chaque partie », veut-il rappeler. « Ils ont été tellement mal ficelés que tous les avantages sont du côté des concessions », tempête Éric Bocquet. « L’Etat doit se faire respecter. À force de tout privatiser, on finit par se priver de tout. »

Les relations n’ont pas toujours été au beau fixe entre l’Etat et les concessionnaires. En 2015, elles tournent même au bras de fer lorsque Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, décide de geler les tarifs autoroutiers pour contraindre les sociétés à la négociation. L’accord conclut se montre finalement très favorable aux exploitants : ceux-ci s’engagent à lancer un plan de rénovation de 3,2 millions d’euros en échange d’un allongement de la durée des concessions. « Les concessions autoroutières ont eu le beurre et l’argent du beurre », a reconnu l’ancienne ministre de François Hollande devant le Sénat, expliquant n’avoir pas participé aux discussions en raison de la préparation de la conférence de Paris sur le climat.

Initiatives parlementaires

Une piste défendue par différents responsables politiques est celle d’une renationalisation des autoroutes. L’idée a été portée par plusieurs candidats à la dernière présidentielle, notamment par l’ancien ministre de l’Economie Arnaud Montebourg et par Marine Le Pen. En 2019, les communistes du Sénat ont déposé une proposition de loi en ce sens, finalement rejetée. « On nous dit que cela n’est pas possible, que cela coûte très cher, mais le fond du problème serait réglé, » assure Éric Bocquet.

Pour sa part, Vincent Delahaye ne se résigne pas à voir l’hypothèse d’une renégociation de la durée des concessions évacuée par l’exécutif. L’élu indique préparer « une initiative » sur le sujet, qui pourrait prendre la forme d’une proposition de loi. « Je peux vous dire que le débat sur les concessions d’autoroute est loin, très loin d’être fini ! », lâche-t-il.

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