Économie
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Par Romain David
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La démographie, grande absente des débats sur la trajectoire budgétaire de la France. C’est l’une des principales alertes lancées par la Cour des comptes dans un rapport publié ce mardi 2 décembre, et consacré à l’impact du vieillissement de la population sur nos finances publiques. Pour la première fois, la juridiction financière, chargée de s’assurer du bon usage des deniers publiques, livre, non pas « un rapport de contrôle, mais un rapport de vision », selon la formule de son premier président Pierre Moscovici. Ce document de 123 pages compile de nombreuses publications économiques et statistiques pour esquisser les différentes options qui s’offrent aux pouvoir publics et aux partenaires sociaux face à « la contrainte systémique » que représentent d’un côté l’allongement de l’espérance de vie, de l’autre le déclin de la natalité.
La réduction attendue de la population active et la baisse de la productivité pourrait entraver la croissance économique du pays dans les décennies à venir et, par voie de ricochet, menacer la pérennité du financement de notre système de protection sociale. « Le vieillissement a déjà des effets observables sur les dépenses de retraite et de santé, qui ont conduit les pouvoirs publics et les partenaires sociaux à adopter plusieurs réformes, principalement en matière de retraites », notent les Sages de la rues Cambon. Mais « d’autres mesures seront nécessaires, le vieillissement de la population n’ayant pas produit ses pleins effets », soulignent-ils, tout en pointant la trop grande « passivité » de nos gouvernants.
Une étude lexicographique, menée notamment sur les corpus relatifs aux trois dernières lois de programmation des finances publiques, pour une période allant de 2014 à 2027, montre que les termes liés aux enjeux démographiques ne représentent que 0,05 % des occurrences. « Cette faible appropriation contraste avec l’approche européenne, où l’intégration des enjeux démographiques dans la gouvernance économique apparaît plus avancée et systématique, bien que relativement optimiste », pointent les sages. Pierre Moscovici va même jusqu’à parler d’un « éléphant dans la pièce ».
Premier constat : « La spécificité de la France en matière de natalité s’amenuise et son destin démographique rejoint celui de l’Europe dans son ensemble », même si notre situation reste plus enviable que celle de nos voisins. L’Hexagone demeure le pays le plus fécond de l’Union européenne, pour autant, son indice de fécondité a chuté en quarante ans : atteignant 1,62 enfant par femme en 2024, contre 2,07 en 1978. Si bien qu’aujourd’hui, le solde naturel de la population française, c’est-à-dire la différence entre le nombre de naissance et de décès, est devenu négatif. Avec un pic attendu à 70 millions d’habitants autour de 2040, la population française risque de baisser durant les décennies suivantes pour repasser à 68 millions en 2070.
Actuellement, le vieillissement de la population est entraîné par les générations issues du baby-boom qui arrivent dans le grand âge. La part des personnes âgées de 65 ans et plus est passée de 16,3% en 2005 à 21,8% en 2024. À l’horizon 2070, « les plus de 75 ans passeraient de 7,3 à 11,2 millions, tandis que la population en âge de travailler (20-64 ans) diminuerait de 38 à 34,6 millions », soit seulement 50% de la population totale. De quoi augmenter la pression sur les politiques liées au vieillissement, tandis que le nombre d’actifs sera à peine supérieur au nombre de seniors. Cette situation est d’autant plus problématique lorsque l’on sait que le financement de notre modèle social repose essentiellement sur le travail, via les cotisations dont s’acquittent les actifs.
Même contrebalancée par la baisse des dépenses liées aux politiques familiales et à l’éducation, du fait d’un moins grand nombre de naissances, la part des dépenses publiques pourrait représenter 60,8% du PIB en 2070, dans l’hypothèse ou la dépense moyenne par tête reste inchangée. Dans le même temps, le vieillissement de la population active risque d’entraver la croissance, en venant peser sur la productivité globale.
« La productivité tend aujourd’hui à se stabiliser après l’âge de 40-45 ans sans déclin significatif, et l’expérience acquise constitue un atout dans certaines fonctions. Cependant, l’accès limité des seniors à la formation continue (35 % pour les 55-64 ans contre 57 % pour les 18-44 ans) peut freiner l’adaptation aux évolutions technologiques et, partant, peser négativement sur la productivité. Il y a là un enjeu important de la politique publique de formation tout au long de la vie », pointent les Sages.
Le rapport revient également sur le rôle joué par l’immigration dans le remplacement des générations. Si elle pourrait être un « facteur d’ajustement », notamment en termes de main-d’œuvre, la Cour des comptes se montre relativement prudente sur ses effets, considérés comme « limités et ambigus ». En effet, la contribution aux finances publiques des étrangers demeure « neutre », du fait d’une intégration incomplète au marché du travail. « L’immigration n’est pas la solution miracle telle que certain pourraient le prétendre », avertit Pierre Moscovici.
La Cour des comptes identifie trois défis à relever dans les décennies à venir afin de contrebalancer les effets du déclin démographique sur la croissance et les finances publiques. Tout d’abord : la nécessité de rehausser le taux d’emploi de la population en âge de travailler, en ciblant notamment les catégories les plus éloignées de l’emploi aujourd’hui, c’est-à-dire les moins de 25 ans, les plus de 60 ans, les personnes issues de l’immigration mais aussi les femmes, dont le taux d’emploi accuse encore un écart de 5,4 points avec celui des hommes.
Deuxième enjeu : celui des nouvelles solidarités à mettre en place face à la hausse des dépenses liées au vieillissement. Parmi les pistes évoquées, la mobilisation d’autres assiettes que celle du travail pour financer la protection sociale, par exemple avec une augmentation de la fiscalité liée à la consommation. Le rapport invite également à repenser la contribution des retraités, un sujet particulièrement sensible. « Face au contexte démographique, la question d’une plus grande participation des retraités les plus aisés au financement de la protection sociale ne pas ne pas être posée », explique-t-on rue Cambon. Pierre Moscovici abonde : « Il faut éviter que les plus jeunes des Français aient le sentiment d’être sacrifiés pour des générations qui ont déjà fait leur vie. Ce sentiment a des conséquences sociales et politiques absolument délétères. »
Enfin, dernier enjeu, celui de la relance de la natalité. « Les politiques natalistes font débat. C’est bien naturel puisqu’elles touchent aux libertés, droits et choix individuels. La natalité exerce des effets puissants sur les revenus et les parcours professionnels des parents, et singulièrement des mères. L’intervention de l’Etat en la matière est exposée à des risques de dérive en cas d’incitations sélectives ou différenciées », pointe Pierre Moscovici. La cour relève le « large éventail d’instruments » en la matière, pour l’essentiel des mesures fiscales et sociales, mais insiste aussi sur « leurs effets lointains », qui se font généralement sentir au bout de deux décennies. En tout état de cause, « le soutien à la natalité ne peut pas être la réponse unique au problème que la démographie fait peser sur les finances publiques », conclut Pierre Moscovici.
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