Bien qu’il soit technique en apparence, et court, le projet de loi spéciale va donner lieu à des discussions de dimension politique. Pas seulement parce qu’il s’agit du premier débat législatif depuis la motion de censure. Ce texte d’urgence, dont le précédent qui s’en rapproche remonte à 1979, tire surtout les conséquences de l’absence de l’adoption des textes budgétaires en cette d’année. Il permet d’assurer la continuité fiscale et budgétaire pour un temps le plus limité possible, d’ici l’adoption d’une loi de finance début 2025, et d’une loi de financement de la Sécurité sociale. L’Assemblée nationale doit se prononcer le 16 décembre en séance, et le Sénat deux jours après.
Les dispositions sont sommaires. Elles visent d’une part à prolonger l’autorisation de percevoir les impôts existants, et à reconduire les prélèvements sur les recettes au profit des collectivités territoriales et de l’Union européenne. Et d’autre part à permettre l’État et à la Sécurité sociale de recourir à l’emprunt. Après sa promulgation, le gouvernement ouvrira les dépenses par décret, « sur la base des services votés », comme le précise la loi organique relative aux lois de finances.
« Ça ne doit pas être un acte politique », souligne le ministre des Comptes publics
Certains parlementaires sont tentés d’aller au-delà de ces trois articles. Les oppositions de gauche et le Rassemblement national à l’Assemblée nationale veulent notamment que ce texte intègre, comme une loi de finances, une indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu. Saisi par le gouvernement sur ce point, le Conseil d’État a tranché : il n’est pas possible d’inclure cette modification. Les groupes d’opposition ont passé outre l’avis les recommandations juridiques, comme en témoignent les amendements déposés à l’Assemblée nationale. Ils ont été adoptés en commission.
Hier en audition, le ministre démissionnaires des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, avait clairement désapprouvé ce type de modification. « Une loi spéciale est prévue pour ce qu’elle doit être. Ouvrir des amendements, et pire encore, les adopter, pour modifier la fiscalité serait un procédé problématique. C’est pour ça que le Conseil d’Etat a été très clair dans son avis. Ça ne doit pas être un acte politique », a-t-il déclaré devant les sénateurs.
« On n’est pas là pour refaire un bout de débat du projet de loi de finances ! » déclare Jean-François Husson
Si les débats ont été vifs cet après-midi en commission des finances à l’Assemblée nationale, entre le président insoumis Éric Coquerel et l’ancien rapporteur général (Renaissance) Jean-René Cazeneuve, les choses devraient être cadrées au Sénat. Selon nos informations, Gérard Larcher va demander aux sénateurs de se réfréner dans le dépôt des amendements.
Le rapporteur du projet de loi, Jean-François Husson (LR) devrait lui se pencher sur le texte « avec la main qui tremble », pour reprendre une expression chère au président du Sénat. « La logique d’une loi spéciale, c’est ce que j’appelle le service minimum en termes d’amendements. On n’est pas là pour refaire un bout de débat du projet de loi de finances », prévoit le sénateur de Meurthe-et-Moselle. « Il faut être raisonnable et responsable. La raison, c’est le texte, et s’y tenir. Le côté responsable, c’est d’éviter de se fourvoyer pour après dénoncer le gouvernement des juges », poursuit-il. Toute entorse serait probablement sanctionnée par le Conseil constitutionnel, s’il venait à être saisi. « Pourquoi s’exposer inutilement puisque de toute façon le projet de loi de finances traitera les sujets qui sont dans l’air du temps », s’interroge Jean-François Husson.
« Nous ne prendrons pas le risque d’avoir des mesures qui seront censurées », a également fait savoir ce matin dans notre matinale, le président du groupe LR au Sénat, Mathieu Darnaud. Pour autant, le sénateur de l’Ardèche ne ferme pas complètement la porte. « Si on peut trouver des amendements qui respectent la lecture qui est faite par le Conseil d’État et l’article 45 de la LOLF, pourquoi pas. »
« Je pense qu’on le laissera en l’état, a priori », anticipe Elisabeth Doineau
Même consigne de « sobriété » à l’Union centriste. Hervé Marseille a fait savoir à ses troupes qu’il fallait « aller vite » et déposer « le moins d’amendements possibles », idéalement aucun. « L’objectif, c’est que la loi spéciale soit vite débattue. Si on amende, on aura encore du mal à se mettre d’accord », estime la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, la centriste Elisabeth Doineau. Sa commission sera saisie pour avis sur l’article 3, relatif à la capacité d’emprunt des organismes de Sécurité sociale. « Je pense qu’on le laissera en l’état, a priori », se projette-t-elle.
C’est à gauche que les tentatives d’amendement pourraient être les plus nombreuses. Pour le moment, les écologistes n’ont pas examiné d’autre piste qu’une indexation du barème sur le revenu. Les socialistes attendent de voir le texte sorti du palais Bourbon avant de se prononcer.
Chez les communistes, le sénateur Pascal Savoldelli a évoqué hier le sujet d’un amendement pour faire figurer les prélèvements sur recettes au profit des collectivités, en plus de la question du barème de l’impôt sur le revenu. « Il y a la part qu’a le juridique – et Dieu sait qu’il faut le respecter – mais en même temps, il y a toujours eu la part du politique, et elle est importante », soulignait-il.
Une commission mixte paritaire probablement le 19 décembre
En cas de différence entre le texte des députés et celui des sénateurs, la commission mixte paritaire devrait être convoquée le lendemain de l’examen au Sénat, le 19 décembre. Sur la base du système de chaise tournante pour le 7e député qui siège dans cette instance, le « socle commun » devrait cette fois être représenté par 7 personnes, contre 7 membres des oppositions (gauche et Rassemblement national). En cas d’échec de cette CMP, « cela renverrait la fin du projet de loi au 23 décembre, s’il y a une nouvelle lecture », redoute une source gouvernementale.