Ce sera le projet de loi de finances de tous les dangers. L’automne budgétaire au Parlement promet d’être le plus laborieux de la Ve République. Sur fond de dégradation de la situation financière, illustrée par l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif au niveau européen, le budget fait face à deux écueils. À court terme, la délicate composition du gouvernement risque de compromettre le calendrier très contraint du budget de l’État, tout comme celui de la Sécurité sociale par ailleurs. Texte d’essence très politique, sa rédaction nécessite des consultations et des arbitrages rendus impossibles par la longue période de flottement politique qui a suivi le second tour des législatives.
Parmi les autres étapes, figure la transmission du texte au Haut Conseil des finances publiques, lequel doit se prononcer sur le réalisme des prévisions de croissance, de recettes ou encore d’inflation, avant que le projet de loi ne soit formellement présenté fin septembre en Conseil des ministres. Ce ne sera vraisemblablement pas le cas ce vendredi. Le futur gouvernement pourrait ne pas être en mesure de respecter la date du 1er octobre, exigée par la loi organique relative aux lois de finance (LOLF). C’est à cette date que le texte doit être transmis à l’Assemblée nationale, la première chambre saisie. Au vu des circonstances exceptionnelles, le gouvernement pourrait donc remettre sa copie avec quelques jours de retard (relire notre article). La marge de manœuvre est toutefois limitée, puisque la Constitution impose de laisse 70 jours d’examen au Parlement.
Bien avant d’être temporel, le risque est déjà politique. Dans cette Assemblée nationale fragmentée, Michel Barnier sera sous la menace du Nouveau Front populaire, à gauche, et du Rassemblement national, sur sa droite. Au vu des choix difficiles à opérer dans le budget pour garantir une trajectoire budgétaire conforme à ce qu’impose la zone euro, les probabilités que le budget crispe une majorité de députés sont tout sauf nulles. Certaines procédures existent, en cas de difficultés.
Le budget par ordonnances
La Constitution prévoit un premier cas de figure, à son article 47 : « si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de 70 jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnances ». Cette disposition n’a encore jamais été mise en œuvre sous la Ve République. Il s’agit d’une parade à l’éventualité d’une discussion parlementaire qui s’enliserait.
Le gouvernement ne peut agir par ordonnances que si le Parlement n’a pas pu venir à bout de l’examen une fois le délai expiré. Les constitutionnalistes considèrent que voter contre revient à se prononcer. Un dépôt tardif du projet de loi au cours du mois d’octobre ne permet pas non plus d’activer cet article.
Cette perspective risquerait d’aggraver la crise politique dans une Assemblée nationale explosive. « Le vote du budget, c’est quand même la clé, ça traduit une politique financièrement. Voir un tel texte promulgué par ordonnances, c’est la négation de la démocratie », s’exclamait le 9 septembre sur France Inter Charles de Courson, le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale (LIOT).
Un examen en deux temps
Dans le cas où le gouvernement serait responsable d’un calendrier intenable, en raison d’un dépôt tardif, il est possible d’étaler l’examen du projet de loi au-delà du 31 décembre. Avant le 11 décembre, le gouvernement peut demander au Parlement de se prononcer, sur un vote séparé sur la première partie du projet de loi, celle qui concerne les recettes, donc l’autorisation parlementaire de prélever l’impôt.
Une fois cette autorisation obtenue, le gouvernement prend des décrets, pour ouvrir les crédits « applicables aux seuls services votés ». Selon la loi organique, ils représentent « le minimum de crédits que le gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le Parlement ». L’inflation ne pourrait donc pas être prise en compte. Ces décrets n’interrompent pas la discussion du projet de loi de finances.
Le projet de loi spéciale, en cas de gros retard
Dans le cas où le gouvernement n’a pas réussi à obtenir de la part du Parlement un vote favorable sur la première partie, il peut déposer avant le 19 décembre un projet de loi spéciale. Celle-ci autorise l’État à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances. Côté dépenses, le gouvernement procède là encore par décret, sur la base des montants votés l’an passé, ce qui ne l’exonère pas de l’adoption d’une loi de finances en bonne et due forme.
« L’exigence constitutionnelle de continuité de la vie nationale ferait que le Conseil constitutionnel se montrerait relativement indulgent face à l’imagination dont pourrait faire preuve le gouvernement », nous expliquait Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université Toulouse Capitole.
La Constitution reste toute muette sur l’éventualité d’un Parlement qui persisterait à rejeter une loi spéciale, faite pour reconduire le montant des impôts (relire notre article).