Farmers demonstration

Mercosur : « Faut-il achever la disparition des agriculteurs français en signant cet accord ? »

En visite lundi à Berlin, Gabriel Attal a réitéré la position de refus de Paris concernant la conclusion de l’accord du Mercosur, que négocie actuellement la Commission européenne et que Berlin soutient fermement. Pour Frédéric Denhez, journaliste spécialiste des questions agricoles, la France et l’Union européenne doivent comme les Etats-Unis mettre en place une politique protectionniste afin de soutenir les agriculteurs. Entretien.
Steve Jourdin

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Pourquoi l’accord du Mercosur fait tant débat auprès des agriculteurs français et européens ?

Il organise une concurrence déloyale entre les agriculteurs français et les agriculteurs du Brésil, du Paraguay, de Bolivie et d’Uruguay. Ces derniers produisent pour moins cher et peuvent utiliser des produits qui sont interdits chez nous, notamment dans l’élevage de bêtes. Leurs exploitations et leurs surfaces sont plus grosses, et ils utilisent des pesticides que l’on n’utilise plus chez nous. Derrière tout cela, il y a une question de prix. Faut-il achever la disparition des agriculteurs français en signant cet accord du Mercosur ? Il faut savoir ce que l’on veut, nous devons aider et maintenir nos agriculteurs par le prix, comme le font les Américains qui ont des politiques très protectionnistes.

D’un point de vue écologique, faire venir de la viande d’Amérique du Sud est-il cohérent ?

On est face au même syndrome que l’accord de libre-échange signé avec la Nouvelle-Zélande (finalisé en novembre par l’UE, il doit entrer en vigueur en 2024, ndlr.). Les agneaux produits en France coûtent plus cher que ceux qui sont produits en Océanie. Au kilo transporté, faire voyager un agneau sur 10 000 kilomètres revient moins cher que de le transporter par camion sur les routes de France. C’est le principe de la massification. En matière d’émission de carbone, l’agneau de Nouvelle-Zélande est également plus avantageux : transporter l’animal sur un porte-conteneurs permet d’émettre moins de carbone que de l’acheminer avec une vieille camionnette sur le territoire français. Mais il ne faut pas tout ramener à l’émission de carbone en matière d’écologie ! L’indicateur carbone ne dit pas tout. Il faut prendre en compte tout le reste. Par exemple, l’agneau entretient et faire vivre tout un écosystème dont nous avons impérativement besoin dans nos régions. Avant de prendre des décisions rapides, il faut examiner tous ces critères.

 

A Berlin, Gabriel Attal a rappelé l’importance pour Paris d’imposer des « clauses miroirs » dans le cadre de l’accord du Mercosur. Comment cela pourrait se matérialiser ?

C’est une bonne idée, qui est applicable dans le cadre de l’OMC (Organisation mondiale du commerce, ndlr.). Le principe est simple : c’est donnant-donnant. Faut-il faire venir des bœufs dont on n’est pas sûrs qu’ils ne soient pas gavés d’antibiotiques ? Pour être un marché digne de ce nom, l’Europe doit s’entourer de frontières et taxer les produits qui ne répondent pas aux normes sanitaires. C’est l’idée de la « clause miroir », que l’on met déjà en œuvre en matière de bio. Les produits qui entrent en Europe sont soumis au principe d’équivalence : même si les législations en matière d’agriculture biologique sont différentes d’un pays à l’autre, elles se doivent être « équivalentes », c’est-à-dire comparables, avec un même cahier des charges. Il y a des contrôles aléatoires qui sont effectués dans les pays étrangers, et un produit qui s’avère non conforme n’a pas le droit d’entrer sur le continent. Avec les pays du Mercosur, on peut imaginer le même mécanisme.

 

Quels seraient les bénéfices de cet accord pour la France ?

Cela permettrait de protéger nos AOP (appellations d’origine protégée, ndlr.). L’accord du CETA, qui a été conclu entre l’Union européenne et le Canada et est entré en vigueur en 2017, a bénéficié à la France. Auparavant les produits agricoles français étaient surtaxés par Ottawa, ils entrent désormais librement et cela a fait du bien à notre balance commerciale, qui est aujourd’hui bénéficiaire grâce au vin.

Ce qui est sûr, c’est que l’on ne va pas exporter de la betterave, de la patate ou du blé vers l’Amérique du Sud. Cela ne profitera qu’à l’agriculture à forte valeur ajoutée, comme les spiritueux. La vraie question est de savoir si, dans l’absolu, nous avons vraiment besoin d’exportation agricole. Exporter pour exporter ne rime à rien, il vaudrait mieux n’exporter que les surplus ! Pour cela, il s’agirait de mettre en place une vraie planification agricole, à l’échelle des territoires. Il faut réfléchir à une forme de souveraineté alimentaire pour certains produits.

 

Est-ce que cet accord aura des conséquences positives pour les Français en matière de prix des produits ?

Certains produits seront moins chers en magasins ! Aujourd’hui, nous importons massivement du poulet ukrainien en raison de son prix. L’avantage prix nourrit le consommateur et notre schizophrénie. Nous sommes tous pour le Label rouge, mais en définitive nous achetons les produits les moins chers car la grande distribution nous incite à les consommer.

Notre consommation de viande chute depuis des années mais elle ne diminue qu’en boucherie, là où le prix affiché est le plus proche du coût affiché. En revanche, en supermarché, cette consommation se porte très bien. Or, lorsque vous sortez au restaurant, le poulet que l’on vous sert est la plupart du temps du poulet ukrainien. On aime les agriculteurs français, mais notre porte-monnaie ne les aime pas tant que ça.

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