BRUSSELS FARMERS PROTEST MERCOSUR
PHOTO EMILE WINDAL - //149807042/EMILE WINDAL/BELGA/SIPA/2512181451

Mercosur : « Les problèmes soulevés par les agriculteurs sont bien antérieurs à l’accord »

L’accord commercial entre l’UE et le Mercosur entre dans sa phase décisive. Un vote au Conseil de l’UE à la majorité qualifiée devrait vraisemblablement se tenir demain avant une possible ratification Ursula von der Leyen le 20 décembre lors d’un voyage au Brésil. Mais l’issue du vote est encore incertaine. Tandis que plusieurs milliers d’agriculteurs font pression à Bruxelles, la France refuse toujours de voter réclamant des garanties supplémentaires. Pour Charlotte Emliger, économiste au CEPII et spécialiste du libre échange, les garanties demandées par la France « ne dépendent pas de l’accord ». Eléments d’analyse.
Marius Texier

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

La crise agricole s’est déplacée à Bruxelles. Tandis que les chefs d’Etats et membres du gouvernement des 27 Etats membres de l’UE sont réunis à l’occasion d’un sommet européen, près de dix mille agriculteurs européens sont venus porter leur colère à la veille d’une possible signature de l’accord commercial UE Mercosur. De nombreux heurts ont eu lieu devant le Parlement européen.

Présent à Bruxelles, Emmanuel Macron s’est exprimé ce matin indiquant que « le compte n’y était pas » et qu’en l’état, « l’accord ne serait pas signé ». Fermement opposé, le président français poursuit ses négociations cherchant toujours à rallier auprès de lui le nombre de pays suffisants pour composer une minorité de blocage. Car pour être voté, le texte doit recevoir l’approbation d’au minimum 15 États membres sur 27 représentant au moins 65 % de la population de l’UE. Le refus de seulement quatre États qui représentent plus de 35 % de la population de l’UE pourrait faire capoter l’accord. L’Italie a déjà rejoint la France en réclamant aussi le report du vote. Paris tente également de rallier la Hongrie et la Pologne dont le vote en faveur de l’accord reste incertain.

Le plus grand accord commercial de l’UE

En 2019, après 20 ans de négociations, l’UE et le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et Bolivie depuis 2023) sont parvenus à un accord de libre-échange dans le but d’encourager et d’accroître les relations commerciales et de promouvoir la coopération et un dialogue politique. Sur le volet commerce, l’accord prévoit à terme la suppression des droits de douane sur 91 % des biens exportés par les entreprises de l’UE vers le Mercosur. Il s’agit du plus important accord de libre-échange conclu par l’UE. Au total, près de 800 millions de personnes sont concernées pour des volumes d’échanges avoisinant les 40 à 45 milliards d’euros.

En plus de l’agriculture qui cristallise toutes les tensions, le Mercosur inclut d’autres secteurs comme l’industrie automobile, la chimie, le secteur pharmaceutique, le textile et les services. Cependant, le texte ne dissocie pas les secteurs en proposant simplement un échange de concessions. C’est-à-dire que les gains et pertes varient selon les secteurs. Les agriculteurs eux réclament la sortie de l’agriculture de l’accord.

Le traité commercial est souvent présenté comme un échange « viande contre voiture ». L’UE ambitionne de trouver des débouchés commerciaux importants pour ses véhicules, ses produits pharmaceutiques et ses produits de luxe. De leur côté, les pays du Mercosur exporteront en masse de la viande animale et des produits agricoles, faisant craindre aux agriculteurs européens, une chute des prix.

« L’accord se fait sur des volumes limités »

« Même l’agriculture sort gagnante de cet accord », analyse l’économiste au CEPII Charlotte Emlinger. « Mais en détail, il est vrai que les viticulteurs et les producteurs de lait risquent d’être plus avantagés que les éleveurs bovins. Il ne faut pas oublier que l’accord se fait sur des volumes limités. Pour la viande bovine, c’est seulement entre 1 et 2 % de la consommation européenne », précise l’économiste.

Mais pour les agriculteurs en colère, ces chiffres sont trompeurs. En ce qui concerne le bœuf, le volume ouvert aux échanges concerne les morceaux nobles (faux-filet, filet, entrecôte…). Si ces pièces ne constituent qu’une partie de la carcasse d’un bœuf, elle représente le tiers de sa valeur. « L’agriculture des bovins est déjà en proie à des difficultés, mais de nombreux politiques et représentants syndicaux font du Mercosur le bouc émissaire pour expliquer l’ensemble des problèmes liés à la profession », juge Charlotte Emlinger.

L’ensemble des agriculteurs montre alors une vraie solidarité avec les éleveurs bovins. Si les syndicats agricoles se montrent satisfaits de la reconnaissance pour les fromages AOP [appellations d’origine protégée] et IGP [indications géographiques protégées], ils s’inquiètent des faibles volumes dont ils pourront bénéficier et de la chute des cours de viande.

Au total, c’est 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de volailles, 16 millions de tonnes de sucre, 60 000 tonnes de riz et 45 000 tonnes de miel qui devraient débarquer chaque année dans l’UE. Auprès de Libération, le secrétaire général de la FNSEA, Hervé Lapie regrette que « l’agriculture soit sacrifiée avec des productions que nous faisons sur notre territoire ».

Clause de sauvegarde à 8 %

Devant cette situation, la France, premier producteur de viande bovine en Europe, s’oppose fermement à l’accord. Elle réclame notamment des mesures de sauvegarde renforcées pour éviter le risque d’un débarquement massif de bœuf sud américain sur son territoire. Mardi, les parlementaires européens ont voté en faveur d’une telle mesure et sont parvenus à un accord avec le Conseil de l’UE le lendemain sur une mesure de déclenchement à 8 %. « Très concrètement, cela signifie que si le volume de bœuf en provenance des pays du Mercosur augmente de 8 % en un an, l’UE prévoit d’enlever ses préférences c’est-à-dire réinstaurer les droits de douane anciennement en vigueur sur le bœuf », explique Charlotte Emlinger.

Outre la question économique, la France reproche les normes sanitaires et environnementales moins-disantes dans les pays de l’Amérique du Sud. Entre l’usage de pesticides interdits dans l’UE ou d’hormones de croissance pour les animaux (impossible à détecter dans la viande), le Mercosur produit à bas coût et avec des conséquences environnementales désastreuses faisant craindre une chute des prix en France et en Europe. Dès lors, l’Hexagone s’active pour tenter d’inclure à l’accord des clauses miroirs pour imposer les mêmes normes environnementales aux pays tiers. Il réclame aussi une vérification des produits importés.

« La colère des agriculteurs s’entend : on leur demande des efforts sur les normes environnementales et à côté on signe avec des pays qui en font moins », juge Charlotte Emlinger. « Cependant on met beaucoup de choses sur le dos de l’accord, alors que de nombreux problèmes n’ont rien à voir ». Selon elle, les efforts sur les normes environnementales et sanitaires sont difficilement contrôlables à la frontière. « Comment contrôler ? Il faut aller à l’intérieur des productions, voir s’ils utilisent les bons pesticides, s’il n’y a pas eu de déforestation », observe l’économiste. « C’est un vrai problème et il y a un travail à faire, mais cela ne dépend malheureusement pas de l’accord ».

Partager cet article

Dans la même thématique

Voiture Pollution de l’Air
4min

Économie

Renoncement de l’Union européenne à la fin des voitures thermiques en 2035 : « Cela va augmenter l’avance technologique de la Chine sur les voitures électriques » 

La Commission européenne et les Etats-membres de l’Union européenne se sont mis d’accord pour renoncer à l’objectif d’interdiction de ventes de voitures thermiques neuves en 2035, tout en maintenant les objectifs de décarbonation du parc automobile. Une mesure destinée à calmer l’industrie automobile en crise.

Le