« Que vont-ils faire ? Travailler ? » Cette question a été glanée sur X (ex-Twitter), en réaction à la menace, brandie par le patron des patrons, Patrick Martin, président du Medef, le 13 septembre dernier. Si la fiscalité des entreprises venait à augmenter dans le budget 2026, le gouvernement devrait faire face à une « mobilisation patronale ». Alors que la rentrée est déjà agitée sur le plan social après la journée « Bloquons tout » du 10 septembre et l’appel intersyndical à la grève du 18, les patrons vont-ils eux aussi descendre dans la rue ?
1982, 1999, 2012, … : quand les patrons se mobilisent
Aucun risque de voir des rues bloquées par un cortège d’hommes en costume portant des pancartes alertant contre la taxe Zucman. De nos jours, quand les patrons se mobilisent, ils ne choisissent pas les moyens traditionnellement utilisés par les organisations syndicales. Dans l’histoire récente, s’ils souhaitent se faire entendre, ils ont plutôt recours à des meetings, des rassemblements. L’ouvrage Ce qu’un patron peut faire. Une sociologie politique du patronat (Gallimard, 2021) du professeur émérite en science politique et spécialiste du patronat Michel Offerlé, en dresse un état des lieux.
C’était le cas, par exemple, au meeting de Villepinte le 14 décembre 1982, au cours duquel le Conseil national du patronat français (CNPF, l’ancêtre du Medef) a réuni 25 000 chefs d’entreprise dans une halle du parc des expositions pour protester contre les politiques mises en place par le président socialiste François Mitterrand. En 1999, à la veille des débats à l’Assemblée nationale sur les 35 heures, le Medef d’Ernest-Antoine Seillière et la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) rassemblent les patrons au parc des expositions pour protester contre la mesure.
Plus récemment, d’autres mouvements échappent même aux organisations patronales. C’est le cas du mouvement des « Pigeons » de 2012. Ce dernier, né sur Facebook, exprime les protestations de patrons de start-up contre le projet de loi de finances pour 2013 qui prévoit de soumettre au barème de l’impôt sur le revenu les plus-values des cessions de parts d’entreprises. Avec succès, puisque le gouvernement socialiste de l’époque renonce à la mesure. On le voit, les mobilisations publiques des patrons des dernières décennies sont bien loin du poujadisme des années 1950, qui avait débouché sur l’élection de candidats poujadistes à l’Assemblée nationale, dont un certain Jean-Marie Le Pen.
« Les chefs d’entreprise et leurs organisations préfèrent la quiet politics ou la stealth politics »
Malgré tout, la mobilisation publique n’est pas le mode d’expression préféré du patronat français. « Les chefs d’entreprise et leurs organisations préfèrent la quiet politics (politique silencieuse) ou la stealth politics (politique feutrée ou furtive) qui, pour défendre certaines causes et certains intérêts, est beaucoup plus efficace », explique Michel Offerlé à publicsenat.fr. En pratique, les patrons influencent via du lobbying, mais aussi via l’expertise, en produisant des notes, en organisant des colloques, … Dans lesquels ils ont recours à des experts (universitaires, anciens hauts fonctionnaires, …). « Cette méthode est utilisée pour obtenir des exemptions, des exceptions, des aides, en évitant la publicisation et la médiatisation de ces demandes. Pour autant, ce n’est pas toujours possible », détaille le politiste.
Car l’influence n’est pas accessible à tous les chefs d’entreprise, tant elle requiert un accès aux « sphères décisionnaires ». Par ailleurs, le patronat n’est pas un ensemble homogène, et ses membres ne se mobilisent pas tous de la même façon. « Les patrons sont unis par des intérêts communs, mais sont aussi très divisés, car c’est la catégorie la plus hétérogène et la plus inégalitaire (revenus, diplômes, patrimoines) de toutes les catégories sociales », explique Michel Offerlé. L’opposition « gros/petits » est très présente, et le message politique n’est pas le même. « Mobiliser les ‘petits’, c’est aussi risquer des débordements stigmatisés, comme au moment des poujadistes, voire ouvrir la porte à une récupération par le Rassemblement National, qui a une audience électorale non négligeable chez les petits patrons », analyse le professeur.
Les organisations patronales réinvestissent publiquement le champ politique
L’engagement politique des organisations patronales est permanent, mais sa publicité a varié au fil des années, en fonction des gouvernements et de leur position vis-à-vis des entreprises. « Sous Geoffroy Roux de Bézieux [président du Medef de 2018 à 2023, ndlr], le rapport est plus calme, la nouvelle équipe politique dirigeante ayant satisfait, dès son entrée au pouvoir, nombre de demandes formulées par les organisations patronales », rappelle Michel Offerlé.
Avec l’arrivée de Patrick Martin à la tête du Medef en 2023, on entre dans une phase de mobilisation assumée. En 2024, il appelait les entreprises à faire un « front économique » et à peser dans les décisions politiques du pays. « Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, le Medef, mais aussi la CPME, avec son nouveau président atypique [Amir Reza-Tofighi, 40 ans, fils de réfugiés iraniens, élu le 21 janvier 2025, ndlr], reprennent la main », confirme le professeur, « on n’avait pas vu cela depuis la ‘Refondation sociale’des années Kessler-Seillière [Denis Kessler a été vice-président du Medef, sous la présidente d’Ernest-Antoine Seillière, ndlr]. Cela débouche sur une rare menace de mobilisation patronale ». Les organisations patronales réinvestissent publiquement la sphère politique, à l’heure où la politique elle-même connaît des troubles. Pour autant, nous sommes encore loin des patrons-politiques à la Elon Musk, éphémère partenaire de route de Donald Trump. L’avenir nous dira si la mobilisation promise par Patrick Martin dépassera le stade de menace.