FRA: COVID – Fermeture Caisse Allocations Familiales des AM

Niveau record de fraudes aux allocations sociales : « Il faut encore rajouter au moins un zéro »

En 2022, selon le rapport de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), les fraudes aux allocations sociales ont atteint 351,4 millions d’euros. Toutefois, la sénatrice Nathalie Goulet estime que la Cnaf se trompe et que les chiffres réels sont « astronomiques ». À gauche, les sénateurs souhaitent recentrer le débat.
Thomas Fraisse

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« C’est un montant record ». La Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) le conçoit. L’an passé, presque 48 700 fraudes ont été recensées pour un total de 351,4 millions d’euros versés à tort, soit une augmentation de 13 % en un an. Un résultat, certes, d’une nouvelle ampleur qui ne serait dû qu’à une amélioration de contrôles, selon la Cnaf. « Les Caf (caisses d’allocations familiales) confirment leur exemplarité en matière de lutte contre la fraude en bande organisée traquée par le Service national de lutte contre la fraude à enjeux (SNLFE) qui boucle avec succès sa première année complète d’exercice », déclare Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf.

Au total, ce sont 700 contrôleurs qui ont été déployés pour effectuer 32,4 millions de contrôles. L’administration se réjouit d’avoir évité le versement de 3 millions d’euros grâce à une détection de fraudes au préalable. Ces contrôles ont même permis de réparer des préjudices à hauteur de 378 millions d’euros en faveur de personnes qui ne touchaient pas assez d’allocations.

Des chiffres qui font débat

Pour Olivier Henno, sénateur du Nord (UC) anciennement en charge des versements du RSA dans son département, la sortie du déni est appréciable : « Le problème ne date pas d’aujourd’hui. On nous traitait de complotistes, à l’époque. Ça fait dix ans qu’on aurait dû lutter contre ces fraudes car c’est tout notre système qui vient à se fragiliser. On pratiquait la politique de l’autruche ».

« C’est une calamitée. Quand on cherche, on trouve », ironise Nathalie Goulet, sénatrice centriste de l’Orne, qui travaille depuis longtemps sur le sujet, notamment avec l’écriture d’un rapport en 2019. La sénatrice préfère raisonner à partir des rapports de la cour des Comptes, de l’inspection générale des finances (IGF) et de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), tous sortis au cours des trente derniers jours. « La caisse n’évoque que la fraude détectée. Ce qui est important c’est celle que l’on ne détecte pas », martèle-t-elle. En élargissant donc le socle statistique des fraudes potentielles, pour la sénatrice, « il faut encore rajouter au moins un zéro aux chiffres de la Cnaf. On atteint des chiffres astronomiques ».

De l’autre côté de l’hémicycle, le sénateur apparenté socialiste de Paris Bernard Jomier n’est pas du même avis. « Je n’ai pas la prétention d’invalider ou de contredire les chiffres de la Cnaf », avance le sénateur. Pour lui, au regard des chiffres de la fraude fiscale, s’élevant entre 80 et 100 milliards d’euros chaque année, et du non-recours aux droits sociaux (presque 4 milliards d’euros si l’on ne compte que le RSA et le minimum vieillesse), la fraude sociale, notamment aux allocations familiales, ne représente qu’une infirme partie des actes frauduleux. « Certes, il faut lutter contre cette fraude mais elle est très minoritaire ».

Le gouvernement cherche la solution

Depuis son rapport en 2019 et d’une proposition de loi en 2021, la sénatrice Nathalie Goulet a largement contribué aux réflexions du gouvernement pour lutter efficacement contre la fraude sociale. Le 31 mai dernier, durant la séance des questions d’actualité au gouvernement au Sénat, Gabriel Attal a même remercié la sénatrice Nathalie Goulet devant l’hémicycle. La veille, s’inspirant des travaux du Sénat, le ministre délégué chargé des Comptes publics a officialisé le « plan de lutte contre la fraude sociale ». En ce qu’il concerne les allocations familiales, le gouvernement prévoit avant tout de multiplier par deux les contrôles et renforcer les sanctions. De plus, à partir de 2025, les CAF devront pré-remplir les formulaires de demandes de RSA ou de primes d’activité. Élisabeth Doineau, sénatrice de Mayenne (UC) et rapporteure du projet de loi finances de la sécurité sociale 2023 (PLFSS), pense qu’il serait même utile de « redéfinir les moyens du plan chaque année lors de l’examen du PLFSS ».

La sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly, souhaite elle, éviter que l’on ne juge les actes frauduleux sous la même enseigne. « Il y a des personnes qui fraudent seulement car ils ont oublié de changer de statut ou d’adresse », prévient-elle. « Dans ce pays, il y a encore une fracture numérique avec des personnes qui se confrontent à l’absence du côté humain. Parmi les mesures, le gouvernement aurait dû se pencher sur la nécessité de remettre de l’humain dans les démarches administratives afin d’éviter les petites fraudes ».

« On a 5 millions de fantômes. C’est là qu’est la fraude ! »

En attendant la mise en place du plan gouvernemental, Nathalie Goulet avance deux nouvelles propositions. D’une part, pour mesurer les fraudes, la sénatrice propose que les caisses d’allocations n’endossent plus le rôle de contrôleur. « L’Inspection générale des finances publiques et l’Inspection générale des affaires sociales sont en capacité de contrôler. Il n’existe nulle part, en droit, le fait que l’organisme qui gère quelque chose soit aussi celui qui contrôle », avance-t-elle. D’autre part, la sénatrice estime qu’il est important de cesser de verser des aides à des personnes qui ont perdu leur titre de séjour : « Les droits aux allocations familiales sont des droits liés à une présence régulière sur un territoire. Quand votre titre de séjour périme, ça ne périme pas vos droits sociaux. L’IGF conclut qu’il y a 73 millions de bénéficiaires pour 68 millions d’habitants. On a 5 millions de fantômes. C’est là qu’est la fraude ! ».

Bernard Jomier désapprouve cette réflexion. Pour le sénateur socialiste, la publication des chiffres de la Cnaf, de la cour des Comptes, de l’IGF ou de l’IGAS serait utilisée pour « d’autres desseins ». « Ils se cachent derrière l’argument de la fraude mais elle n’est pas une forêt, c’est un arbuste. Ils confondent la politique sociale avec la politique migratoire ».

Quant à Olivier Henno il souhaite lancer la réflexion autour de la lutte contre la fraude sociale au cours des débats sur le RSA au sein du projet de loi « plein emploi », aussi appelé France Travail, qui sera présenté en conseil des ministres mercredi. « Je déposerai des amendements pour assurer le contrôle des versements du RSA », détaille Olivier Henno. La loi devrait atterrir au Sénat courant juillet.

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