La commission d’enquête du Sénat sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises se dirige petit à petit vers la fin de ses auditions. Après avoir enchaîné des séances de questions-réponses avec de grands dirigeants de secteurs variés – cycle qui devrait se poursuivre jusqu’à la mi-mai – le rapporteur Fabien Gay (communiste) et le président Olivier Rietmann (LR) ont commencé cette semaine à entendre d’anciens responsables de l’exécutif et d’actuels membres du gouvernement. Une façon de sonder le terrain dans l’équipe de François Bayrou, et de connaître leurs intentions en matière de soutien aux grandes entreprises, dans une période marquée par la quête de 40 milliards d’euros d’effort budgétaire.
Pour ce qui relève du portefeuille de Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, les sommes en jeu sont loin d’être anodines. La France a par exemple dépensé 3,8 milliards d’euros l’an dernier pour les aides à l’embauche, et 290 millions d’euros en 2023 d’indemnités au titre de l’activité partielle. Mais c’est surtout sur le plan des exonérations de cotisations que les montants sont les plus massifs : sur 300 milliards d’euros de cotisations sociales, les entreprises ont bénéficié en 2023 de 75 milliards d’euros de réduction et d’allègements.
La ministre temporise sur l’avenir des exonérations de cotisations patronales au-delà de 1,6 Smic
Rappelant que la France avait « le coût du travail le plus élevé » d’Europe, la ministre a considéré lors de son audition ce 5 mai devant la commission d’enquête que ces exonérations avaient « pour objectif d’alléger le coût du travail pour favoriser l’emploi » et que leurs effets sur la création ou le maintien d’emploi était notamment visible sur les salaires proches du Smic. Au début de l’année, dans le budget de la Sécurité sociale, le Parlement a légèrement réduit le plafond d’éligibilité pour les réductions de cotisations patronales à l’Assurance maladie et aux allocations familiales, pour une économie de 1,6 milliard d’euros. « Cela permet de freiner la dynamique des allègements généraux de cotisations », a insisté Catherine Vautrin.
La réforme doit se poursuivre en 2026, avec l’instauration d’un dispositif unique de réduction dégressive à la place des réductions fixes actuelles, qui s’arrêtent aux rémunérations équivalentes à 2,25 Smic (pour les cotisations maladies) et 3,3 Smic (pour les cotisations à la branche famille).
Le rapporteur Fabien Gay a notamment cherché à savoir comment se positionnait le gouvernement sur les exonérations applicables aux salaires supérieures à 1,6 Smic, et dont le coût s’élève à 20 milliards d’euros. « L’ensemble des économistes, dans leur diversité, s’accordent à dire que l’effet bénéfique sur l’emploi est quasi-nul », a pointé le sénateur de Seine-Saint-Denis, à la suite d’auditions. Catherine Vautrin n’a pas été en mesure de donner la position du gouvernement sur ce sujet. « Aujourd’hui, il y a une incertitude sur les effets au-dessus de 1,6 Smic. Il faut que l’on travaille sur le sujet, pour mieux argumenter et prendre une décision. Je ne vais pas comme ça répondre oui ou non », a-t-elle développé.
« On doit faire attention aux mesures que nous prenons »
S’agissant des retours sur expérience et des évaluations, la ministre du Travail et des Solidarités a rappelé que la loi en 2022 avait renforcé l’information due au Parlement, notamment à travers les annexes dans les lois d’approbation des comptes de la Sécurité sociale. Elle a assuré que de « nouveaux travaux » continueraient à éclairer les décisions du parlement dans les prochains mois. « Les dispositifs sont plus évalués aujourd’hui qu’ils ne l’étaient hier. Ça ne veut pas dire que l’on n’ait pas besoin de revisiter et d’aller plus loin […] Il est de la responsabilité du gouvernement et du Parlement de prendre acte de ces évaluations pour orienter les dispositifs voire les supprimer lorsque les effets attendus ne sont pas au rendez-vous ». En la matière, elle a notamment cité la suppression, dans le dernier budget, des emplois francs, ces aides à l’emploi dans les quartiers prioritaires de la ville, qui étaient en réalité des effets d’aubaine pour plusieurs entreprises.
« Nous avons la responsabilité de mieux évaluer les dispositifs d’aides aux entreprises dans un contexte budgétaire que je qualifierais d’extrêmement contraint, qui nous oblige à rechercher des économies et à faire des choix », a-t-elle insisté.
Interrogée sur la multiplication d’annonces de plans sociaux ces derniers mois, la ministre a indiqué « comprendre l’incompréhension voire la colère que produisent les suppressions d’emploi au sein d’entreprises qui ont bénéficié d’aides publiques ».
Sur les éventuelles évolutions législatives, en particulier sur la question du remboursement de certaines aides, elle a souhaité faire preuve de prudence, comme sur le sujet des allègements généraux de cotisations. « C’est une question complexe à laquelle on ne peut pas répondre par oui ou par non », a-t-elle indiqué. Et d’ajouter plus tard, au cours des échanges : « On doit aussi faire attention aux mesures que nous prenons […] C’est un équilibre à trouver. »
La position de la ministre n’a pas vraiment réjoui le rapporteur communiste. « Le chantage à l’emploi, à chaque fois c’est la même chose, à chaque fois que l’on a cédé, ça n’a jamais empêché une fermeture », a-t-il rétorqué.
La commission d’enquête va auditionner dans les prochaines heures deux anciens ministres de l’Économie, Arnaud Montebourg (en poste sous le quinquennat de François Hollande) et Bruno Le Maire, qui a accompagné les sept premières années de la présidence d’Emmanuel Macron. L’audition de l’actuel maître de Bercy, Éric Lombard, devrait conclure les auditions le 15 mai.