Participations financières de l’Etat : que pourraient impliquer les cessions proposées par François Bayrou ?
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Participations financières de l’Etat : que pourraient impliquer les cessions proposées par François Bayrou ?

Dans sa conférence budgétaire, François Bayrou pose sur la table la question de l’avenir des parts détenues par l’Etat dans de grandes entreprises. Le mouvement pourrait être limité, de l’avis de certains parlementaires, et le risque est pour l’Etat de voir son influence diminuée.
Guillaume Jacquot

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Pour dégager des marges de manœuvre budgétaires, le gouvernement pourrait-il être tenté de vendre une partie des « bijoux de famille » de l’État, autrement dit une fraction des participations qu’il détient dans des entreprises ? François Bayrou a évoqué cette possibilité, lors de la présentation de sa feuille de route budgétaire le 15 juillet.

« L’État détient aussi des participations dans de grandes entreprises. Plusieurs sont essentielles, elles doivent être protégées pour jouer leur rôle stratégique mais dans certaines de ces entreprises, la participation de l’Etat pourrait être diminuée sans réduire son influence », expliquait le Premier ministre, alors qu’il détaillait les différents leviers pour redresser les comptes publics à moyen terme.

Le chef du gouvernement n’a pas donné davantage de détails, ni sur l’ampleur des cessions qui pourraient être inscrites dans le futur projet de loi de finances, ni sur le type de participations concernées. Les arbitrages doivent se nourrir des échanges que le ministère de l’Économie et des Finances doit engager avec les groupes parlementaires jusqu’au mois de septembre. Le produit ne devrait pas servir à alimenter les 10 milliards d’euros d’efforts budgétaires annoncés sur le périmètre de l’État, sur un total de près de 44 milliards sur l’ensemble de la dépense publique. François Bayrou a précisé que « le patrimoine ainsi dégagé » devra « être mis en œuvre, par exemple, pour aider à de grands programmes de recherche ». Le sénateur centriste Vincent Capo-Canellas rappelle en outre que le produit des cessions ne pourra pas entrer dans le calcul de la dette, selon les règles européennes.

Une année 2024 marquée par des renforcements de la présence de l’État et la préparation de nouvelles participations

Si cette proposition de cessions était retenue dans la version adoptée du budget 2026, elle constituerait un mouvement inverse par rapport à une tendance récente, mais serait néanmoins somme toute classique des dernières législatures. « Se désengager de participations, pour dégager des ressources, tout en préserver une influence dans les entreprises dont il se désengage, c’est une tendance forte de l’Etat actionnaire en France depuis une quinzaine d’années », considère Anémone Cartier-Bresson, professeure de droit public à l’Université Paris-Cité, spécialisée dans les entreprises et participations publiques.

Les cessions d’actifs se sont raréfiées dans les dernières lois de finances. Peu d’opérations importantes ont été menées, si ce n’est la cession d’un peu plus de la moitié du capital de la Française des Jeux en 2019. Dans le contexte de l’invasion russe en Ukraine, et de la sécurisation d’approvisionnement de certains matériaux et de la volonté de réindustrialiser l’économie française, l’État a opéré plusieurs investissements l’an dernier.

On relève ainsi des augmentations de capital dans Orano (ex-Areva) — à hauteur de 300 millions d’euros pour porter la part de l’État à 90,33 % — ou encore dans la Société pour le logement intermédiaire, à hauteur de 200 millions d’euros. La puissance publique a également souscrit à des titres de la société Le Nickel, filiale d’Eramet, pour un montant de 330 millions d’euros. Il faut aussi ajouter une dotation en fonds propres de 56 millions d’euros pour le port de Dunkerque.

L’année dernière a également été marquée par une série d’annonces, en vue d’acquérir de nouveaux contrôles dans des entreprises jugées stratégiques. L’État a ainsi formulé une promesse, auprès de Nokia, de rachat de 80 % du capital d’Alcatel Submarine Networks, leader de la fabrication, de la pose et de la maintenance de câbles sous-marins. Autre annonce, et non des moindres : une négociation en vue d’acquérir 100 % des activités sensibles de l’entreprise Atos, pour un montant estimé entre 700 millions et un milliard d’euros. L’État a par ailleurs souscrit à l’augmentation de capital de John Cockerill Defense (anciennement Renault Defense Trucks), à hauteur de 10 % pour un montant estimé à 81 millions d’euros.

« Les marges de manœuvre sont assez réduites », estime la rapporteure LR Martine Berthet

Globalement, le portefeuille de l’État est en bonne santé. L’an dernier, la France était actionnaire direct de 85 entreprises, dont 10 sont cotées en Bourse, pour une valorisation totale de près de 179,5 milliards d’euros. On retrouve plusieurs secteurs, dont l’énergie (Areva, EDF, Engie), l’industrie et la défense (Airbus, Safran, Thalès, Chantiers de l’Atlantique, Renault), les services et les télécommunications (Orange, La Poste, ou encore France Télévisions), ainsi que le secteur des transports et des infrastructures (RATP, SNCF, Aéroports de Paris, Air France, plusieurs ports du pays).

Le portefeuille coté sur les marchés, qui était valorisé un peu plus de 50 milliards d’euros en date du 30 juin 2024, se concentre en particulier sur l’aéronautique et la défense : Airbus, Safran et Thalès pèsent 57,4 % de l’ensemble. L’énergie est également bien représentée avec 16,7 %. Le reste se partage entre les transports aériens (12,5 %), les télécommunications (6,6 %). L’automobile avec Renault ne pèse que 4,2 % et la Française des Jeux 2,5 %.

Spécialiste du sujet au sein de la commission des affaires économiques, en tant que rapporteure de ces crédits dans la loi de finances, Martine Berthet (LR) appelle à être « très prudent » quant à la proposition formulée par le Premier ministre et à « regarder au cas par cas ». Pas de refus de principe, mais un certain nombre de réserves. « S’il doit y avoir des cessions, il faut qu’elles se fassent en conformité avec cette doctrine, qui venait tout juste d’être réactualisée par rapport à la souveraineté et aux aspects stratégiques. Il ne faut pas faire marche arrière », recommande la sénatrice de Savoie.

« C’est à la fois classique et plutôt de bon aloi de se poser la question de ces participations, mais il faut aborder le sujet avec beaucoup de prudence. Il me semble que ce n’est pas si c’est simple que cela à faire, cela dépend des cours de Bourse et en général pour mener ce type d’opération, il faut avoir un gouvernement avec une certaine assurance de durer, ce ne sont pas des opérations à faire sous la pression », soulève également le sénateur (Union centriste) Vincent Capo-Canellas. « Il faut le faire méthodiquement, et ne pas en attendre des merveilles. »

Martine Berthet considère en outre que les « marges de manœuvre sont assez réduites », étant donné le cap affiché en Europe en faveur d’une stratégie d’autonomie stratégique et énergétique, mais également du soutien affiché à des entreprises en difficulté. On pense notamment à Renault. « Il ne s’agit pas de se désengager tout de suite », rappelle-t-elle. Même prudence sur le secteur des transports. « Il faut faire attention, on se souvient de l’erreur de céder toutes les parts des autoroutes. »

Un autre enjeu important se pose, dès lors qu’il est question de participations financières : l’État en tire des revenus. L’an dernier, l’Agence des participations de l’État a ainsi encaissé près de 2,3 milliards d’euros de dividendes, au titre des actions détenues dans le portefeuille. Avec 4,6 %, le taux de rendement, en juin 2023 et juin 2024, a fait même mieux que la moyenne du CAC 40, qui était de 4,2 % à la même époque. « Il faut regarder la perte de recettes sur le moyen terme », observe Martine Berthet.

Des outils pour que l’Etat se maintienne à une place à part dans l’actionnariat d’une société

La proposition du Premier ministre pose également la question du pouvoir que l’État pourra conserver au sein des entreprises dont il revend une partie de ses parts. « Juridiquement, il existe de nombreuses possibilités de conserver une influence, mais elles ne sont pas sans limites, ni sans risques. Il est donc factice d’indiquer que l’influence de l’Etat reste la même. L’on ne peut se désengager massivement tout en pensant conserver une influence très significative. Certains déboires de l’Etat actionnaire minoritaire ont montré qu’il ne pouvait plus exercer la même influence que lorsqu’il était majoritaire », analyse Anémone Cartier-Bresson, de l’Université Paris-Cité, auteure d’une thèse sur l’Etat actionnaire.

L’État dispose de plusieurs options, pour maintenir ou s’assurer un maximum de pouvoir avec un minimum de capital. Cela s’observe par exemple dans les secteurs sensibles. L’un des mécanismes les plus spectaculaires est l’action spécifique (golden share), qui permet à l’État actionnaire de conserver des pouvoirs très importants : droit de regard sur l’évolution du capital, opposition à des entrées dans le capital, droit de regard sur des cessions d’activités ou de filiales. Le gouvernement peut aussi nommer un représentant dans ces entreprises où il est présent, notamment des administrateurs, une sorte de « contrôle de tutelle », selon Anémone Cartier-Bresson.

Ces éléments peuvent se cumuler avec d’autres prérogatives de droits communs, liste l’universitaire. C’est le cas du pacte d’actionnaire, une sorte de contrat dans lequel l’Etat et ses partenaires conviennent d’interdire la cession de certaines missions. Les droits de vote double sont également un autre levier pour accroître le poids d’un actionnaire minoritaire. Mais cette panoplie d’outils n’est pas sans conséquences indésirables. « Les limites de ces pouvoirs exorbitants, outre des contraintes juridiques, c’est qu’ils peuvent contribuer à un manque d’attractivité pour les investisseurs, d’autant plus qu’elles se combinent parfois avec des prérogatives de droit commun très significatives », souligne Anémone Cartier-Bresson.

Malgré ces différents outils, l’État a parfois subi quelques revers. En 2020, Le conseil d’administration de l’énergéticien Engie a par exemple accepté de céder sa part de 29,9 % dans Suez à Veolia. L’État, alors actionnaire à hauteur de 23,64 % d’Engie, n’a pas réussi à se faire entendre. Autre défaite : l’ouverture d’usines Renault en Turquie.

Un débat déjà porté l’an dernier par des députés Renaissance

Quoi qu’il en soit, le débat autour de cessions de participations de l’État n’est pas nouveau. A l’automne dernier, au moment de la discussion sur le projet de loi de finances 2025, plusieurs députés Renaissance (Ensemble pour la République) dont Olivia Grégoire, Gérald Darmanin, Mathieu Lefèvre, préconisaient de vendre certaines des participations de l’État dans des entreprises cotées. L’idée était de trouver une alternative aux augmentations significatives des prélèvements sur les entreprises, qui se chiffraient à plus de 12 milliards d’euros.

La proposition n’a pas prospéré dans la discussion budgétaire chaotique de l’hiver. Au Sénat, aucun amendement n’a été déposé dans ce sens. Au contraire, ce sont des propositions allant dans le sens d’un renforcement de la place de l’Etat qui ont été soutenues par la gauche, comme une prise de participation dans TotalEnergies (proposition du groupe écologique et du groupe communiste), ou une nationalisation d’Atos (proposée par le PS par exemple). Ces amendements n’ont pas été retenus.

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