Pénurie de médicaments : « Il faut que l’on arrive à forcer les industriels à faire de la production en France »

Roland Lescure, le ministre délégué chargé de l’Industrie, était auditionné par la commission d’enquête sur les pénuries de médicaments, ce jeudi 25 mai au Sénat. Devant les élus, il a reconnu que la France, très attractive en matière de recherche et développement, avait davantage de difficultés à convaincre les industriels à installer leur production sur le territoire national.
Romain David

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Les conclusions de la commission d’enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments sont attendues d’ici la fin du mois de juillet. Mais déjà, l’hypothèse d’un rapatriement de l’ensemble des chaînes de production sur le sol français apparaît comme la moins tangible des solutions pour lutter contre des ruptures d’approvisionnement croissantes. Depuis le mois de février, les auditions de ministres, représentants des laboratoires et d’organismes publics se succèdent, et la liste des obstacles s’allonge : savoir-faire, coût de la main-d’œuvre, normes sociales et environnementales… « Nous sommes face au défi de l’accroissement des capacités de l’industrie pharmaceutique en France, qui cache aussi un sujet sur la chaîne des valeurs et la fixation des prix. Si c’était simple, nous l’aurions déjà fait », a admis Roland Lescure, le ministre délégué chargé de l’Industrie, ce jeudi 25 mai, lors de son audition par les élus.

« Depuis une trentaine d’années, il y a eu une politique de délocalisation de l’industrie pharmaceutique qui s’est opérée, et pas seulement en France, pour maximiser le taux des profits et, peut-être, avoir des exigences moins importantes en termes environnementaux et sociaux », a relevé la rapporteure communiste Laurence Cohen. Une tendance que cherche désormais à inverser le gouvernement, à plus forte raison depuis la crise sanitaire qui a mis en lumière les fortes dépendances de la France vis-à-vis de certains exportateurs. Ainsi, le renforcement de la souveraineté française dans la production de médicaments est l’un des axes du plan d’investissement « France 2030 » mis en place à l’automne 2021.

« Essayez nos ouvriers, vous les adopterez »

« Mon objectif stratégique est de s’assurer que l’on ait un solde positif, que l’on ouvre plus d’usines en France que l’on en ferme », a expliqué le ministre, alors que le dynamisme de la recherche en France tranche avec la fragilité du tissu industriel. En 2022, le nombre de faillites d’entreprises a bondi de 48,6 %, pour atteindre 42 000 défaillances contre 28 000 en 2021, selon les données du cabinet Altares. Ce chiffre reste toutefois inférieur de 20 % à celui du niveau d’avant covid-19.

« Depuis un an je reçois régulièrement des industriels de santé qui veulent s’installer en France, mais plus pour la recherche que pour la production. C’est vraiment un défi, aujourd’hui, de les convaincre. J’aime leur dire : essayer nos chercheurs c’est les adopter, mais essayez aussi nos ouvriers, vous les adopterez également parce qu’ils sont excellents », explique Roland Lescure. « Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, du fait du crédit d’impôt recherche (CIR), ils viennent pour la recherche. Il faut qu’on arrive à les forcer à faire de la production ». Mis en place au début des années 1980, le CIR permet à une entreprise de bénéficier d’une réduction sur ses impôts calculée en fonction des sommes investies dans la recherche et le développement, hors subventions publiques.

Les baisses d’impôts comme levier d’attractivité

Pourtant, certaines voix s’élèvent pour durcir ses conditions d’application, en y intégrant notamment des critères écologiques ou en poussant les bénéficiaires à prendre davantage d’engagements en ce qui concerne la production. « On a gardé la recherche pour laisser partir les usines. Est-ce que l’on est prêt à faire un équivalent au CIR pour faire revenir les usines ou peut-on le conditionner à des engagements sur l’outil industriel ? », a ainsi interrogé la sénatrice centriste Sonia de la Provôté qui préside la commission d’enquête.

« La compétitivité de la recherche et de l’innovation française dans le monde, aujourd’hui, est exceptionnelle et c’est au CIR qu’on le doit », a salué Roland Lescure. « J’entends que certains estiment qu’il est insuffisamment conditionné à d’autres critères, mais je serai extrêmement réservé sur notre capacité à multiplier et concentrer les objectifs sur un seul instrument », a-t-il averti.

Il assure toutefois que le projet de loi industrie verte, actuellement examiné en commission par le Sénat, porte des mesures en faveur de la réindustrialisation. Il évoque également les baisses d’impôt mises en œuvre sous Emmanuel Macron, et plus particulièrement la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) engagée sur deux ans. « Cette suppression vise essentiellement à cela : rendre les territoires de France plus attractifs aux usines. Et franchement, cela marche. Nous n’avons jamais autant créé d’usines en France que ces deux dernières années », assure Roland Lescure. « On a détruit 600 usines dans les dix ans qui ont précédé 2017, mais on en a créé 300 depuis 2017. Il faut continuer pour avoir la recherche et les usines, c’est-à-dire le beurre et l’argent du beurre. »

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