« À quoi ça sert d’avoir des vêtements, si on peut rien faire dedans ! » Le célèbre slogan de la marque Petit Bateau sera-t-il traduit en anglais ? Le spécialiste tricolore de l’habillement pour enfants va passer sous pavillon américain. Le groupe Rocher, propriétaire notamment de la marque de cosmétiques Yves Rocher, a annoncé jeudi 5 septembre la cession de l’entreprise de vêtements, fondée en 1920 à Troyes, à l’américain Regent. Basé à Beverly Hills en Californie, le holding d’investissements a également racheté DIM en 2021, emblématique marque française de sous-vêtements, déjà passée aux mains de différentes multinationales américaines depuis une trentaine d’années.
« Ce projet de cession s’appuie sur l’ambition d’insuffler une nouvelle dynamique de croissance pour Petit Bateau, portée par les moyens et l’expertise de Regent, spécialiste de la relance de maisons patrimoniales », fait valoir le groupe Rocher dans un communiqué. La marque compte actuellement 2 400 salariés, dont 1 400 en France avec une usine et un « site logistique » toujours implantés à Troyes. Selon Alexandre Rubin, directeur général de Petit Bateau, les ventes de la marque ont progressé de « 2,7 % au premier semestre 2025 », portées notamment par le e-commerce.
En janvier dernier, c’est le groupe chinois Youngor qui mettait la main sur la marque de prêt-à-porter de luxe pour enfants Bonpoint, lancée à Paris en 1975. Selon La Lettre, le montant de la vente est estimé à 200 millions d’euros.
Des noms célèbres
Plusieurs autres noms associés à l’enfance devraient prochainement quitter le giron tricolore : les bonbons Carambar, Krema et Michoko. La société française d’investissement Eurazeo a annoncé en juillet la vente de sa filiale « CPK », qui produit ces différentes confiseries ainsi que les fameuses pastilles Vichy, au géant italien Ferrero pour un retour sur bilan d’environ 240 millions d’euros. La transaction doit être finalisée d’ici la fin d’année.
Depuis les années 2000, des noms de grandes marques françaises rentrées dans la culture populaire, souvent indissociables de notre paysage publicitaire, s’égrènent dans les pages économiques des grands quotidiens, au fil des cessions et des rachats d’actifs. Le secteur de l’agro-alimentaire apparait comme l’un des plus touchés.
En 2006, ce sont les boîtes de thon Petit Navire qui ont été rachetées par l’américain MW Brands,, passé à son tour en 2010 sous le contrôle de l’entreprise de pêche thaïlandaise Thai Union Group. Danone s’est séparé en 2007 de sa branche biscuits, qui comptait les marques Belin, Tuc et LU, au profit du géant américain de l’agro-alimentaire Kraft Foods, qui a fusionné en 2015 avec le saucier Heinz.
Du rachat à la disparition
Les communiqués de presse publiés au moment des cessions reprennent souvent le même argumentaire, vantant des transactions supposées relancer une marque en perte de vitesse, assurer la pérennité du produit et exploiter son plein potentiel de développement. Mais au-delà des conséquences qu’ils peuvent avoir sur le maintien de l’emploi, ces changements de pavillon n’atteignent pas toujours les résultats escomptés.
Ainsi, Le Parisien nous apprend que la boîte jaune de Cachou Lajaunie devrait disparaitre des rayons de nos supermarchés, après plus de 140 ans d’existence. La petite pastille carrée à la réglisse, qui a connu plusieurs acheteurs étrangers depuis le début des années 1990, aurait arrêté d’être fabriquée en décembre 2022 par son dernier propriétaire, le groupe italiano-néerlandais Perfetti Van Melle.
Enjeu stratégique
Au-delà des marques d’habillement ou d’alimentation qui parsèment le quotidien des Français, c’est la cession des grands fleurons industriels qui agite régulièrement la classe politique, venant relancer le débat sur l’indépendance stratégique du pays.
Début septembre, c’est le groupe Ségneré, l’un des sous-traitant d’Airbus et de Dassault, qui a été rachetée par Agiliteam, filiale du thaïlandais Jinpao. Si l’entreprise, qui fabrique des pièces métalliques utilisées dans les programmes civils et militaires des deux avionneurs, était en difficulté depuis la crise sanitaire, cette vente se met en porte à faux des discours récemment entendus sur la nécessité de renforcer l’industrie de défense européenne.
« Ce rachat marque une perte grave : un savoir-faire stratégique échappe désormais à la souveraineté nationale et passe sous pavillon étranger », alertent dans un communiqué les députés LFI qui siègent au sein de la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale. « Cette cession révèle une fois encore l’incapacité du gouvernement à protéger les intérêts industriels vitaux du pays », taclent-ils.
Autre polémiques ces derniers mois : le rachat par l’américain CD&R en avril de 50% des parts d’Opella, la filiale de Sanofi qui commercialise la marque de paracétamol Doliprane. Quatre ans après la pandémie de covid-19, et malgré la volonté affichée du gouvernement de déployer une stratégie de « reconquête sanitaire » pour ramener la production de certains médicaments sur le territoire nationale, cette annonce a fait grand bruit. « On nous dit que la fabrication restera en France, mais dans tous les cas, nous allons perdre la main sur cet outil. On peut difficilement imaginer qu’un fonds d’investissement américain se montre attentif à la préservation du système de santé français », avait réagi le sénateur de la Vienne (apparenté LR) Bruno Belin, en pointe sur les questions de santé.
Marqueurs de l’affaiblissement du politique
Le rachat de grands noms de l’industrie tricolore est souvent invoqué pour illustrer l’impuissance des dirigeants politiques face aux aléas de la vie économique. En 2006, le sidérurgiste Arcelor tombe dans l’escarcelle de l’indien Mittal, devenu le symbole d’une désindustrialisation sans retour en arrière possible. Deux ans seulement après ce rachat, le site de Gandrange cesse de tourner malgré l’intervention du président de la République Nicolas Sarkozy.
En 2013, le dossier retombe dans les mains de son successeur à l’Elysée, François Hollande, avec l’aciérie de Florange, à son tour menacée de fermeture. En dépit des engagements pris pendant la campagne présidentielle de 2012, et l’hypothèse d’une nationalisation temporaire, les hauts-fourneaux ont été mis à l’arrêt et les effectifs réduits d’un tiers.
Autre nom, cette fois associé au bilan industriel d’Emmanuel Macron par ses opposants : celui d’Alstom, avec la vente en 2014 de la branche énergie de l’équipementier à l’américain General Electric. À l’époque, le chef de l’Etat était encore ministre de l’Economie. Ce dossier a poussé l’Assemblée nationale à ouvrir une commission d’enquête parlementaire sur la politique industrielle de la France. L’épilogue est arrivé en 2022, lorsque le locataire de l’Elysée annonce finalement le rachat par EDF de la branche nucléaire du conglomérat américain, maillon essentiel de la relance de la filière nucléaire française.