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Quand la France gèle ses dépenses…l’Allemagne sort le « bazooka » financier

A l’inverse du voisin français qui prépare des coupes budgétaires importantes, l’Allemagne déploie cette année un plan massif de 850 milliards d’euros et desserre son frein constitutionnel à l’endettement. Retour sur ce virage à 180 degrés opéré par la droite conservatrice allemande.
Alexandre Poussart

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Quand François Bayrou annonce une année blanche, Friedrich Merz sort le « bazooka ». Le 19 mars dernier, le leader de la CDU (centre-droit), à peine sorti vainqueur des élections législatives fin février dernier (devant l’extrême droite de l’AFD et les sociaux-démocrates du SPD) et avant de devenir chancelier, a fait adopter par le Parlement allemand une réforme permettant de desserrer le frein constitutionnel à l’endettement, si caractéristique de l’orthodoxie budgétaire allemande et qui s’ajoute à un plan d’investissements massif de 850 milliards d’euros d’ici à 2029. Un plan qu’il a qualifié de « bazooka » financier.

 

Berlin lève le frein à l’endettement pour les dépenses militaires

 

« C’est un changement de doctrine », explique Ronan Le Gleut, sénateur LR des Français établis hors de France, fin connaisseur du voisin d’outre-Rhin. « Ce frein à la dette empêchait l’Etat fédéral allemand de présenter un budget avec un déficit supérieur à 0,35 % de la richesse nationale produite. Avec cette réforme, les dépenses militaires pourront déroger à cette limite de déficit. L’Allemagne peut se permettre d’augmenter massivement ses dépenses, car sa dette s’élève à 62 % de son PIB, contrairement à la France dont la dette atteint 113 % de sa richesse produite. Les deux pays sont dans des situations financières très différentes. »

 

IFG Allemagne et France

 

Du côté de la gauche allemande, cette accélération de l’endettement est vue comme un retournement de veste de la part de Friedrich Merz. « Pendant toute la campagne des élections législatives, la CDU a assuré qu’elle ne toucherait pas au frein de la dette », rappelle Daniel Freund, eurodéputé allemand écologiste. « La coalition de gauche sortante (le SPD, les Verts et les Libéraux du FDP), emmenée par Olaf Scholz, est même tombée pour ces questions de dépenses publiques. La droite allemande l’avait empêchée de réaffecter à la transition écologique 60 milliards d’euros prévus pour la crise Covid, en portant le conflit devant la Cour constitutionnelle allemande. Mais juste après sa victoire aux élections, le conservateur Friedrich Merz desserre le frein à l’endettement, sans même attendre que le nouveau Bundestag soit formé et qu’il soit élu chancelier… »

Un bazooka de dépenses publiques adopté au moment opportun par Friedrich Merz, puisque sa coalition de gouvernement conclue entre la CDU et le SPD dispose d’une majorité plus restreinte dans le nouveau Bundestag que dans l’ancien. Conséquence, Friedrich Merz a dû attendre le second tour avant d’être chancelier par le Bundestag, une première dans l’histoire de la République fédérale d’Allemagne.

 

Un plan d’investissements massifs

 

Alors que le gouvernement français de François Bayrou cherche à économiser 40 milliards d’euros par an, celui de Friedrich Merz pourra se targuer d’injecter chaque année dans l’économie 120 milliards d’euros d’ici 2029. Des investissements qui porteront sur les infrastructures ferroviaires, le logement, les hôpitaux, l’énergie et la défense, dans le cadre du réarmement de l’Europe. « Ces investissements dans les infrastructures étaient plus que nécessaires », estime Daniel Freund, « quand on voit les retards de train qui s’accumulent avec la compagnie nationale de la Deutsche Bahn, ou le pont de Dresde qui s’est effondré l’an dernier. Mais attention, on observe que certaines lignes budgétaires sont en train de bouger et ne financeront pas des investissements mais des baisses d’impôts et des cadeaux à l’électorat conservateur », observe l’élu d’opposition.

« Ces investissements vont permettre à l’Allemagne de sortir de la récession qu’elle connaît depuis trois ans, à cause du prix de l’énergie qui a frappé de plein fouet son tissu industriel important et notamment l’automobile et la chimie », se réjouit Ronan Le Gleut. « Ce n’était bon pour personne en Europe que l’Allemagne soit en récession, car Berlin est le moteur économique de l’Europe. Les entreprises allemandes sont les premiers clients des entreprises françaises. »

 

L’Allemagne beaucoup moins souple avec le budget de l’Union européenne

 

Si ces dépenses massives de l’Allemagne vont profiter à l’économie européenne, Berlin ne défend pas pour autant le même type de relance à l’échelle de l’UE. Le gouvernement fédéral s’est même opposé catégoriquement au budget pluriannuel de l’Union européenne (2028-2034) présenté par la Commission européenne à la mi-juillet. Ce budget européen en hausse s’élève à 2000 milliards d’euros avec des moyens supplémentaires pour la défense et la compétitivité des entreprises. Un cadre financier qualifié de « projet ambitieux » par Paris mais jugé « inacceptable » par le porte-parole du gouvernement allemand, « à l’heure où tous les Etats-membres font des efforts considérables pour consolider leurs budgets nationaux. » Le ton est donné alors que s’ouvrent 2 ans de négociations sur ce budget entre les 27 pays de l’UE et le Parlement européen. « Ce n’est que le début des discussions », tempère Ronan Le Gleut. « La coalition au pouvoir en Allemagne est pro-européenne, elle ne défend pas une baisse du budget de l’UE, comme le fait l’extrême droite, mais une hausse dans des proportions raisonnables. »

« C’est très étrange que Friedrich Merz ne soutienne pas le budget européen porté par Ursula von der Leyen, qui est du même parti que lui, et que ce cadre financier est défendu par la droite au Parlement européen », analyse Daniel Freund. « Cette réaction du gouvernement allemand m’a mis en colère. C’est comme si le gouvernement qui propose le plus grand déficit de l’histoire de la République fédérale d’Allemagne disait « On n’a pas d’argent pour l’Europe. »

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