L’avenir du conclave sur les retraites est sur la sellette. Alors que les négociations entre les partenaires sociaux auraient dû s’achever mardi soir, trois mois et demi après leur lancement par le Premier ministre, une dernière réunion a été annoncée pour le 23 juin, ultime occasion de venir à bout des – nombreux – points de blocage qui empêchent syndicats et patronats de se mettre d’accord sur une même copie. À ce stade, trois organisations de salariés sont encore autour de la table, la CFDT, la CFTC, et la CFE-CGC, face au Medef et à la CPME.
« C’est l’opération de la dernière chance », a lâché devant les journalistes Christelle Thieffinne, représentante CFE-CGC, tandis qu’Yvan Ricordeau, son homologue de la CFDT, a reconnu que la journée de mardi « avait flirté avec l’échec ».
La CFTC a précisé que sa présence pour la réunion du 23 juin n’était pas acquise. Même incertitude du côté du Medef, accusé par les syndicats de camper sur ses positions et de bloquer les discussions, notamment sur la prise en compte de la pénibilité, l’une des principales pierres d’achoppement de ce conclave. « Je suis très réservé, nous n’étions pas demandeurs que cette réforme soit réexaminée. Elle apporte au pays, pas aux entreprises. Certains, à bas bruit, sont en train de la détricoter », a accusé sur France 2 Patrick Martin, le patron du Medef.
« Je vais consulter mes instances, le Medef a fait des avancées remarquables il y a huit jours sur la carrière des femmes, l’usure et l’invalidité. Ces propositions ont été balayées d’un revers de main par les syndicats », a-t-il regretté. « On empile des choses. Pour arriver à quoi ? Qu’à terme 50 % d’une classe d’âge ne parte pas à la retraite à 64 ans, et ceux qui devront aller jusqu’au terme de leur carrière travailleront pour les autres. »
Pas d’accord, pas de texte au Parlement
Le Premier ministre, François Bayrou, s’était engagé à présenter un nouveau projet de loi devant le Parlement en cas d’accord entre les partenaires sociaux. Mais mardi, devant les députés, le chef du gouvernement a précisé que si les discussions n’aboutissaient pas, il n’entendait pas rouvrir ce chantier, si bien que la réforme de 2023, repoussant l’âge légal de départ à 64 ans, continuera de s’appliquer. Des déclarations qui pourraient pousser le patronat, opposé à la remise sur le métier de la réforme Borne, à laisser mourir les négociations.
Patrick Martin estime notamment que les modifications proposées par les syndicats vont « altérer le rendement de la réforme », alors que le Premier ministre a fait du retour à l’équilibre budgétaire un impératif. Malgré la réforme de 2023, la prévision de déficit du système des retraites à l’horizon 2030 resté élevée, à 6,6 milliards d’euros par an. Côté syndicats, la possibilité d’un retour sur l’âge de départ ayant été rapidement enterrée, ce qui a poussé la CGT et FO à claquer la porte, les organisations restantes ont voulu se focaliser sur les situations qui permettraient à certains salariés d’échapper à l’allongement des carrières.
Décote, carrière des femmes, compte pénibilité…
Ainsi, l’âge de départ sans décote, c’est-à-dire avec une retraite à taux plein sans le nombre de trimestres réglementaires, a fait l’objet d’intenses tractations. Actuellement de 67 ans et demi, il pourrait tomber à 66 ans et demi. En revanche, la prise en compte de la pénibilité dans le calcul de l’âge de départ soulève de nombreuses tensions. « En termes de pénibilité, le Medef est sûr de la prévention, pas sur de la réparation, et la prévention ne permet pas de partir plutôt », a déploré Pascale Coton, la vice-présidente de la CFTC. Cette organisation propose l’instauration d’un compte pénibilité, prenant en considération les contraintes physiques de certains métiers, ce qui faciliterait les départs anticipés.
« Les syndicats qui restent dans la discussion veulent obtenir des avancées certaines sur la pénibilité, car depuis 2017 elle n’est plus plus un critère d’importance pour permettre aux gens de partir plus tôt », rappelle la sénatrice PS Monique Lubin, membre du Conseil d’orientation des retraites (COR), auprès de Public Sénat. « En 2023 les parlementaires de gauche ont essayé de la remettre et nous n’avons pas été entendus. On sait que le port de charges lourdes, les vibrations sont des éléments qui altèrent la santé des salariés. »
En ce qui concerne les carrières des femmes, le calcul de leur pension pourrait se faire sur la base des 24 ou 23 meilleures années en fonction du nombre d’enfants – contre les 25 meilleures années actuellement – afin de compenser les interruptions de carrière liées à la maternité.
« Une raison suffisante » pour voter la censure
« Je constate qu’il y a eu des avancés très notables », a salué ce mercredi sur franceinfo Astrid Panosyan-Bouvet, la ministre chargée du Travail et de l’Emploi. Sur les points de blocage, cette responsable gouvernementale estime que « des voies de passage sont possibles ». « Je fais confiance aujourd’hui avec le Premier ministre et le gouvernement dans la capacité des partenaires sociaux à trouver les voies de compromis nécessaires », a-t-elle ajouté.
« Ces négociations n’ont jamais bien fonctionné », constate pour sa part la sénatrice Monique Lubin. « Aujourd’hui, je veux savoir si le Premier ministre va tenir ses engagements car, contrairement à ce qu’il a dit hier à l’Assemblée nationale, son engagement premier était de ramener le dossier devant le Parlement, qu’il y ait un accord ou pas », pointe l’élue. La réouverture du débat sur les retraites est l’un des éléments clefs du pacte de non-censure conclu en début d’année par François Bayrou et les socialistes. Monique Lubin estime que l’absence de débat parlementaire sur ce dossier « serait une raison suffisante » pour voter la censure. « Mais je ne sais pas s’il faut aller jusque-là », ajoute-t-elle.