Les 27 décidés à cibler les produits chinois à bas coût. Les ministres des États de l’Union européenne ont approuvé, jeudi 13 novembre, la fin de l’exonération douanière concernant les petits colis à destination des territoires de ses pays membres. Aujourd’hui, les produits inférieurs à 150 euros peuvent être envoyés en Europe depuis l’étranger, sans que leurs expéditeurs aient à s’acquitter de tarifs d’entrée sur le marché – contrairement aux règles concernant les autres marchandises. Un système qui profite donc à certaines firmes asiatiques du e-commerce à bas coût, comme Temu ou Shein. Et ce, estiment les acteurs du secteur, au détriment des entreprises européennes.
Un système transitoire à mettre en place
Si la suppression de cette exception douanière a donc finalement été actée, la question du délai de son application reste à définir. Initialement, la mesure, proposée par la Commission en février, devait être mise en œuvre à partir de mi-2028, dans la lignée de la réforme de l’union douanière prévue par Bruxelles. Bien trop tard selon plusieurs pays, dont la France. L’exécutif européen a finalement lui-même souhaité accélérer le calendrier, espérant désormais son entrée en vigueur pour le premier trimestre 2026. Une prochaine réunion des ministres des Finances européens, le 12 décembre, devra permettre de définir le dispositif transitoire permettant ce changement.
Le ministre de l’Économie, Roland Lescure, s’est réjoui de cette nouvelle étape pour taxer ce type d’envoi. « La France a pris l’initiative de réagir au phénomène des petits colis. Cela a payé aujourd’hui », a-t-il indiqué auprès de l’AFP. « C’est une étape clef pour la protection des consommateurs européens et du marché intérieur en luttant plus efficacement contre les produits dangereux et non conformes à nos règlementations européennes. Nous avons franchi un grand pas pour la souveraineté économique de l’Union européenne. »
Une taxe de deux euros prévue dans le projet de loi de finances
Dans le même temps, une autre taxe, cette fois sur le plan national, a été inscrite par le gouvernement dans l’article 22 du projet de loi de finances pour 2026, actuellement débattu à l’Assemblée nationale. Cette disposition n’a toutefois pas encore pu être examinée par les députés. Elle prévoit un prélèvement de deux euros pour tout article contenu « dans un envoi de faible valeur ».
Au niveau européen, en plus des droits de douane, une telle redevance est aussi envisagée. Les sommes récoltées seraient utilisées afin de financer les contrôles des marchandises arrivant dans l’UE. Ainsi, au printemps dernier, la Commission avait recommandé la mise en place d’une taxe de deux euros par paquet au titre de frais de traitement – sans que ce montant soit définitivement tranché.
En avril, une proposition similaire avait été évoquée dès avril par la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin. La responsable avait plaidé pour l’imposition d’« un petit montant forfaitaire sur les colis » venus d’Asie, élevés de « quelques euros » par colis ou de « quelques dizaines de centimes par article ». À l’époque, sa démarche avait suscité le scepticisme de certains représentants patronaux.
Lors d’une table ronde organisée par la délégation aux entreprises au Sénat, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), Amir Reza-Tofighi, avait jugé l’idée « complètement à côté de la plaque ». « Il nous faut deux ans pour faire supprimer l’exemption douanière et [aujourd’hui] on met des frais de quelques euros », avait-il exposé. « Dans deux ou trois ans, on va faire une commission d’enquête pour savoir pourquoi on a tué notre commerce en France, si on n’est pas capable de prendre des décisions rapides et impactantes. »
L’essor du nombre de produits chinois low cost pénétrant sur le marché européen s’est confirmé en 2024. 4,6 milliards d’envois d’une valeur inférieure à 150 euros ont été recensés sur le continent l’an dernier, majoritairement en provenance de Chine. « Le nombre de colis arrivant sur le territoire français a doublé entre 2023 et 2024. On est passé de 400 millions à 800 millions de colis. C’est une véritable submersion et l’inquiétude est légitime », précisait en mai dernier l’ex-ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, dans Ouest-France.
Multiplication des polémiques liées à Shein
La problématique s’est accentuée après l’annonce, le 1ᵉʳ octobre, de l’ouverture d’espaces de ventes de la marque Shein au sein de boutiques détenues par la Société des Grands magasins (SGM). L’entreprise française possède notamment le BHV-Marais à Paris. Depuis début novembre, des produits du géant chinois sont donc disponibles physiquement dans ce lieu – une première mondiale. Mais l’inauguration de l’étage dédié à Shein a été entaché par un retentissant scandale, avec la découverte de la vente en ligne de poupées sexuelles pédopornographiques sur le site web de la firme basée à Singapour, ainsi que d’armes de catégorie A. Des articles illicites, depuis retirés de la vente en France par la plateforme.
Très critiquée pour son choix de développer une collaboration avec Shein, la SGM défend bec et ongle son partenariat. « L’idée pour nous, c’est vraiment de faire revivre le commerce », justifiait mi-octobre son président, Frédéric Merlin. L’entreprise compte aussi installer cinq autres espaces de vente Shein dans plusieurs boutiques en région. Mais les ouvertures prévues à Dijon, Limoges, Angers, Grenoble ou encore Reims, d’abord planifiées de mi-novembre à début décembre, risquent d’être « sans doute décal[ées] de quelques jours ou de quelques semaines », a indiqué le patron sur BFMTV ce jeudi.
La raison ? « Les magasins Shein en province sont sans doute trop petits et donc nous avons peur de frustrer le client parce que nous voulons absolument apprendre de nos démarrages au BHV et pouvoir essayer de faire mieux pour satisfaire encore mieux nos clients », justifie Frédéric Merlin. « On travaille avec Shein à des commandes plus adaptées, on travaille avec Shein à des espaces sans doute un peu plus importants. »
Au-delà de cet épisode, la SGM a connu de nombreuses polémiques depuis l’annonce de son accord avec Shein, entre appel à la grève et partenariats avortés. Le dernier en date : l’annonce, ce jeudi, du départ du BHV-Marais de plusieurs marques, comme Dior ou Guerlain. C’est aussi le cas le groupe SMCP (Sandro Maje Claudie Perlot), pour qui « l’élément déclencheur » de cette décision est lié à des « retards de paiement répétés », a affirmé une source proche du dossier à l’AFP. Mais cette dernière reconnaît également que « l’arrivée de Shein joue » dans ce choix.