Suppression de la CVAE : le Sénat vote son report, l’opposition dénonce « un symbole » de la politique d’Emmanuel Macron

Si la majorité sénatoriale a bien adopté, dans le cadre du budget, le report de 2027 à 2030 de la suppression de la CVAE, un impôt acquitté par les entreprises, c’est bien le bilan, très critique, de la politique fiscale d’Emmanuel Macron qui a été pointé du doigt par les oppositions. Elles l’accusent d’avoir creusé la dette en supprimant des impôts sans les financer.
François Vignal

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C’est l’une des mesures du projet de loi de finances 2025 qui permet de faire des économies : le report de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), de 2027 à 2030. Il a été adopté sans modification, dans la nuit de jeudi à vendredi, par le Sénat, où la majorité sénatoriale LR-UC soutient le gouvernement Barnier. Mais durant ce long débat nocturne, c’est le bilan – et le procès – de la politique fiscale d’Emmanuel Macron, prolongée ici par le gouvernement actuel, qui a été mené.

D’abord « divisé par deux », en 2021, comme l’a rappelé l’écologiste Ghislaine Senée, la CVAE, un impôt dont bénéficiaient les collectivités, a vu sa suppression annoncée d’abord en 2023. « Puis, en 2024, on dit qu’on va échelonner jusqu’en 2027. Et là, jusqu’en 2030 », résume la sénatrice des Yvelines. Pour compenser, les collectivités reçoivent une fraction de la TVA.

« Ce que je reproche à ce système, c’est qu’il est uniquement financé par la dette », dénonce le socialiste Claude Raynal

En tête des frondeurs anti-CVAE : Claude Raynal, président PS de la commission des finances. « Ça fait un moment que j’y suis opposé », commence-t-il d’emblée. « Il y a eu une première action de 10 milliards d’euros et ensuite la suppression de la CVAE en plusieurs phases. Ce que je reproche à ce système, c’est qu’il est uniquement financé par la dette », pointe du doigt le président de la commission des finances, qui « propose qu’on revienne en arrière, car ça n’a donné aucun résultat ». Il ajoute : « Ça ne sert à rien ».

Le socialiste veut rétablir la CVAE et la verser à nouveau aux collectivités, de quoi « récupérer à peu près 6 milliards d’euros en 3 ans ». D’autres amendements, comme celui du sénateur écologiste Grégory Blanc, proposent de « réaffecter 50 % du produit actuel de la CVAE aux collectivités, de façon à recréer un lien entre la fiscalité économique et les territoires ».

« Nous avons en France des impôts de production sans aucune mesure avec nos partenaires », souligne le ministre Antoine Armand

Des tentatives pas vraiment du goût du rapporteur général, le sénateur LR Jean-François Husson, qui a exprimé un avis défavorable. Il commence par souligner que « le dispositif du PLF est un dispositif de ralentissement et de progressivité de la sortie ». Ensuite, « ce qu’il manque, y compris dans la démarche du président Raynal, c’est le travail structurel pour évaluer et abaisser la dépense publique ». Il ajoute : « Je ne vois pas le retour d’une fiscalité alors qu’on n’a pas entamé les baisses de dépenses ».

En bon macroniste, le ministre de l’Economie, Antoine Armand, s’est évertué à défendre l’intérêt d’une baisse des impôts de production, le mantra des deux quinquennats d’Emmanuel Macron. « Nous avons en France des impôts de production sans aucune mesure avec nos partenaires. […] Il vaut mieux avoir un impôt sur le bénéfice, […] plutôt qu’un impôt sur les emplois », soutient le locataire de Bercy.

Il explique cependant pourquoi le gouvernement lève le pied sur le rythme de suppression. « Nous ne considérons pas que la CVAE est devenue un bon impôt, car c’est toujours un impôt de production », mais « nous considérons qu’il n’est pas possible de baisser un impôt dans les prochaines années, qui sont des années de redressement des comptes publics, et dans un moment où nous demandons des contributions exceptionnelles ».

« Il y a une volonté de ne pas remettre en cause ce qui a été fait lors du dernier mandat. Mais vous l’avez fait sur les grandes entreprises », avec la surtaxe sur l’impôt sur les sociétés, rétorque Claude Raynal. « Vous allez encore une fois nous faire une baisse d’impôts non financée », dénonce à son tour le sénateur communiste Pascal Savoldelli.

« Pour faire de la godille, il faut avoir un cap. Et vous ne voulez pas avouer que c’est un échec »

Le ministre subit ensuite une attaque (coordonnée ?) des Bretons présents dans l’hémicycle, qui filent volontiers la métaphore. D’abord le sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine, Daniel Salmon, qui se fait ironique. « La godille, c’est avant tout une technique de propulsion avec une seule rame, qui est très présente dans ma région, la Bretagne. Mais pour faire de la godille, il faut avoir un cap. Et vous ne voulez pas avouer que c’est un échec, comme a dit le président Raynal. A part si le but était de creuser la dette, on voit que la politique menée n’a pas abouti », pointe l’écologiste. « Il faut reconnaître ses erreurs. Puis ça évite de ramer… », lâche, sourire en coin, Daniel Salmon.

Il est suivi quelques minutes plus tard par Philippe Grosvalet, sénateur RDSE de Loire-Atlantique. « Les championnats du monde de godille auront lieu les 14 et 15 septembre sur une île chère au président Larcher, dans le Finistère. Et je vous invite, Monsieur le ministre, à vous y rendre. Vous verrez qu’il ne suffit pas de mettre un coup d’aviron à droite et un autre à gauche pour aller tout droit. Mais la seule manœuvre qui n’est pas possible à la godille, c’est la marche arrière », raille le sénateur (ex-PS).

Nathalie Goulet, sénatrice UDI, parti pourtant membre de la majorité gouvernementale, s’y met à son tour. Soulignant que son groupe Union centriste s’était « dans sa totalité opposé à la suppression de la CVAE, au motif qu’elle n’était pas financée », elle estime que « l’amendement de Claude Raynal est un moindre mal ».

« Rétablir la CVAE, c’est tout simplement augmenter le coût du travail, car vous taxez davantage les salaires », défend le ministre

« On est un sur le bilan. C’est 450 milliards de recettes fiscales en moins. C’est une concentration des richesses comme il n’y a jamais eu. La politique de ruissellement, qui devait inonder l’économie, n’est pas à la hauteur », embraye le socialiste Thierry Cozic, qui met en perspective les 43,3 % de taux de prélèvement en France. Des impôts qui permettent, avec la Sécurité sociale, « d’être soigné gratuitement. Si on veut faire des comparaisons, il faut tous les éléments. La protection sociale, on finit toujours par la payer, que ce soit dans un cadre socialisé ou privé. La dépense sociale privée est en France de 3,6 %. Elle est de 11 % aux Pays-Bas et de 12 % aux Etats-Unis ».

Le ministre, sur son banc, ne dévie pas de sa ligne et répond calmement. « Rétablir la CVAE, c’est tout simplement augmenter le coût du travail, car vous taxez davantage les salaires, dans une période difficile pour l’emploi, […] et à la fin, vous désincitez à l’embauche », met en garde le ministre (voir le début de la vidéo). Antoine Armand ajoute : « Ce qui est inscrit, c’est que la CVAE soit supprimée d’ici 2030 entièrement. Mais nous le décalons car nous avons une contrainte de redressement des finances publiques ».

« Là, on touche au sublime »

Il est 22h59, et la réponse du ministre inspire au sénateur écologiste Thomas Dossus une dernière salve. « Là, on touche au sublime. En tout cas, à la synthèse de ce pour quoi on est là, avec ce déficit excessif ou des recherches d’économies. On fait les choses à l’envers. Pourquoi vous n’avez pas fait ça avant ? Avant de supprimer la CVAE, il fallait trouver les économies, pour pouvoir se le permettre », lance le sénateur du Rhône (voir la fin de la vidéo).

« L’ensemble de votre politique fiscale, depuis sept ans, nous coûte 50 à 60 milliards d’euros tous les ans. […] On finance une politique fiscale par la dette », dénonce Thomas Dossus, qui conclut : « On voit bien que ce morceau de CVAE, c’est le symbole de cette politique du gouvernement qui a creusé la dette ».

« On va devoir faire du 50 amendements/heure »

Malgré un débat nourri et en dépit de la multiplication des coups, les opposants à la suppression de la CVAE n’ont pas eu gain de cause. L’article 15 sur la mesure est adopté, après une heure d’échanges. C’est le moment que Claude Raynal choisit pour reprendre la parole avec sa casquette de président de la commission des finances pour faire la police. Pas pour excès de vitesse. C’est plutôt l’inverse.

« On va rentrer dans la phase un peu compliquée ». Il parle du nombre d’amendements, plus de 1.100, qui restent à examiner avant dimanche soir, date limite pour adopter la partie recette du budget dans les délais. « Au rythme où nous en sommes, on termine dimanche, à 20 heures », explique le socialiste, « mais ce serait bien d’être à dimanche, 18 heures ». « Ça veut dire qu’on va devoir faire du 50 à l’heure, si on veut s’approcher de la vérité, sur tous les sujets qui ne sont pas fondamentaux », prévient Claude Raynal, pour garder un peu de temps sur « les collectivités » notamment. Comprendre, 50 amendements examinés par heure durant les trois prochains jours. Soit un rythme extrêmement soutenu d’examen. « Je vais vous proposer un petit jeu », continue le sénateur de la Haute-Garonne, « on va se mettre à 50 amendements/heure, et on va voir si on y arrive ». Verdict, à 00h30, à l’heure de suspendre la séance : « 55 amendements/heure. Je vous remercie d’avoir joué le jeu ». Applaudissement dans la salle en mode team building. On ne parlera plus de train de sénateur.

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