Suspension de la réforme des retraites : l’estimation du coût encore incertaine selon Amélie de Montchalin

Auditionnée au Sénat, la ministre de l'Action et des Comptes publics a donné quelques détails ce 23 octobre sur les conséquences de l’interruption de la réforme des retraites de 2023, proposée par le gouvernement.
Guillaume Jacquot

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Le gouvernement s’engage officiellement vers une suspension temporaire de la réforme des retraites de 2023. Il a adopté en Conseil des ministres, ce 23 octobre, une lettre rectificative au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui propose un décalage dans le temps de la réforme Borne. Il suspend jusqu’à janvier 2028 le relèvement progressif vers l’âge légal de départ à 64 ans, ainsi que l’accélération du relèvement du nombre de trimestres à cotiser pour partir à taux plein (réforme Touraine).

La lettre traduit l’engagement pris par Sébastien Lecornu d’assurer ce débat lors des discussions budgétaires des prochaines semaines. Auditionnée juste après le Conseil des ministres, la ministre de l’Action et des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a confirmé, devant la commission des Affaires sociales du Sénat, que cette suspension pour les deux prochaines années coûterait 100 millions d’euros en 2026 et 1,4 milliard d’euros en 2027. Il s’agit du coût supporté par la seule branche vieillesse de la Sécu.

« Le coût pour la collectivité pourrait être un peu plus élevé »

La proposition du gouvernement se fait à budget inchangé. Elle sera compensée par une hausse de la contribution sur les complémentaires santé (de 2,05 % à 2,25 % en 2026), et surtout, par une revalorisation encore plus faible des pensions de retraite. La sous-indexation par rapport à l’inflation sera de 0,9 point en 2027, au lieu de 0,4 point prévu initialement.

La ministre de l’Action et des Comptes publics a toutefois souligné que des « éléments, évidemment d’incertitude » pouvaient influer sur le chiffrage du coût de la suspension temporaire. « Le coût pour la collectivité pourrait être un peu plus élevé, puisque les chiffrages d’aujourd’hui sont faits sur des effets comportementaux inchangés », a expliqué la ministre. Tout dépend du choix que feront les salariés de la génération 1964, concernés par le décalage proposé par le gouvernement. Partiront-ils en retraite un trimestre plus tôt à la retraite, si la proposition figurait dans la loi promulguée, ou resteront-ils en activité trois mois de plus, ce qui provoquera une petite bonification de leur retraite ? Toute la question est là.

« On ne suspend pas pour suspendre. On voit bien que le sujet, il est plus profond »

S’agissant des moyens de compenser financièrement le décalage de la réforme de 2023, via des prélèvements supplémentaires sur les mutuelles et une plus faible revalorisation des pensions, Amélie de Montchalin a assuré qu’il ne s’agissait que d’une « proposition ». « Tout cela fera l’objet de débats », a-t-elle prévenu.

La rapporteure de la branche vieillesse de la Sécurité sociale, Pascale Gruny (LR), a rappelé les prévisions de déficit du régime, communiquées par la Cour des comptes en février : 15 milliards d’euros en 2035, et 30 milliards en 2045. Deux estimations qui ne prennent pas en compte la proposition de suspension pendant deux ans de la réforme Borne. « Donc, quid de la solidarité intergénérationnelle et du maintien de notre système par répartition ? » s’est interrogée la sénatrice de l’Aisne. La ministre a répondu que l’enjeu était « d’aménager un système qui ne soit pas dans le déni démographique et qui propose des solutions ». « On ne suspend pas pour suspendre. On voit bien que le sujet est plus profond : quel est notre sujet démographique, quel est notre sujet de croissance économique, quel est notre sujet d’emploi des seniors, quels sont nos sujets de conditions de travail », a-t-elle développé.

42 euros de plus pour les Français en moyenne, avec le relèvement des franchises médicales

Mais le gros point névralgique de ce PLFSS reste la santé, principale cause du déficit des comptes sociaux, que le gouvernement veut ramener à 17,5 milliards d’euros l’an prochain. L’une des mesures importantes prévues pour parvenir à contenir la progression des dépenses est un nouveau relèvement des franchises médicales, sur des consultations et médicaments. Ce doublement de ce « forfait de responsabilité », selon la ministre, représentera en moyenne « 42 euros de plus pour les Français de participation au reste à payer pour leur santé ». Pour les personnes considérées en ALD (affection de longue durée), qui ont besoin de davantage de soins réguliers, « on est plutôt autour de 70 euros dans l’année », a-t-elle ajouté. La ministre a rappelé que 18 millions de Français resteraient « complètement exonérés » de ces forfaits (mineurs, femmes enceintes, bénéficiaires de la contribution santé solidaire, bénéficiaires des minima sociaux).

Selon les estimations de Bercy, cette mesure permettra de limiter la progression de l’Ondam (objectif national des dépenses de l’Assurance maladie) à 1,6 %, plutôt qu’à 2,3 %, de quoi réussir à stabiliser la dépense de santé dans la richesse nationale. « Est-ce toujours un mécanisme de responsabilisation des assurés ? Ou bien ne serait-elle pas en train de devenir un levier de rendement bien utile pour le gouvernement ? » s’est demandé la sénatrice LR Corinne Imbert, rapporteure de la branche maladie.

La gauche est vent debout contre ce projet de doublement des franchises. « Ce PLFSS, nous estimons qu’il est absolument insupportable parce qu’il met vraiment en péril le principe que chacun contribue dans ses moyens », a dénoncé Annie Le Houérou. Sa collègue Corinne Féret a pointé une « véritable remise en cause des principes fondamentaux de notre modèle social ».

Amélie de Montchalin a rétorqué que « le tout gratuit » était « une illusion, voire un danger pour notre système » et qu’un « meilleur accès à la santé » devrait être garanti en parallèle de ces mesures.

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