« La délocalisation, pour moi, n’est pas un sujet. » Auditionné au Sénat ce 13 mai par la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques versées aux grandes entreprises, François-Henri Pinault, patron du groupe de produits de luxe Kering (qui regroupe notamment Gucci, Yves Saint Laurent, Balenciaga ou encore Boucheron) a estimé que les tensions actuelles sur les tarifs douaniers imposés par la Maison Blanche ne remettaient pas en cause la localisation de ses activités.
Le PDG a été poussé par le sénateur Fabien Gay (communiste) à réagir aux appels répétés d’Emmanuel Macron envers les chefs d’entreprise du pays à « suspendre » temporairement leurs investissements outre-Atlantique. La communication de l’Élysée s’est faite alors que Donald Trump incite, à travers sa politique commerciale agressive, plusieurs exportateurs à s’implanter directement sur le sol américain. « Pour moi, cette problématique n’est pas franchement une réalité pour l’industrie du luxe », a estimé François-Henri Pinault.
« On vend de la culture française, on vend de la culture italienne. Cela n’aurait pas de sens pour moi d’avoir des sacs Gucci italiens fabriqués au Texas. Cela n’a pas de sens pour mes clients », a-t-il déclaré, dans ce qui semble être une allusion à son grand concurrent LVMH. L’État américain n’a sans doute pas été cité au hasard. Il y a six ans, son propriétaire Bernard Arnault inaugurait, aux côtés de Donald Trump, une usine de sacs Louis Vuitton dans le deuxième État américain le plus peuplé.
« On est plutôt en train de rationaliser notre réseau de distribution »
Attaché à une production européenne, François-Henri Pinault a par ailleurs signifié que le groupe n’était pas vraiment en situation d’investir actuellement aux États-Unis. Rien qu’au cours du premier trimestre, l’activité de Kering a chuté de 14 %, après une année 2024 déjà difficile. Les ventes de sa principale marque, Gucci, se sont effondrées à elles seules de près d’un quart. « Ce qu’on fait à l’étranger, ce sont des ouvertures de magasins. Compte tenu de l’environnement économique aujourd’hui, on est plutôt en train de rationaliser notre réseau de distribution que de l’étendre », a-t-il répondu aux sénateurs. « On n’est pas face à des problématiques d’investissement, ni aux États-Unis, ni en Chine ».
Le patron de Kering estime par ailleurs qu’une « partie » de la hausse des droits de douane peut être répercutée sur les tarifs de vente de ses produits, qui visent une clientèle a priori moins sensible aux variations de prix. En revanche, François-Henri Pinault a fait part de ses inquiétudes sur les conséquences de cette guerre commerciale sur le niveau de la consommation aux États-Unis, un marché qui représente 25 % des ventes pour Kering. Or cette consommation est intimement liée à la sensation de richesse de la population et donc aux cours de Bourse, qui ont connu un sérieux trou d’air le mois dernier. « Nous avions des signaux très positifs de consommation aux États-Unis sur les produits de luxe à la fin du quatrième trimestre 2024. L’élection de Donald Trump a eu manifestement un effet positif sur le moral des ménages […] Cela s’est retourné complètement en deux mois. Dans toutes les classes sociales, on a une chute de la consommation aux États-Unis qui est assez importante », a-t-il relaté.
« Est-ce qu’on n’est pas face à un saupoudrage des aides, qui nuit à l’efficacité générale de ces aides ? »
Sur la question spécifique des aides publiques, au cœur de l’audition, Kering a indiqué avoir perçu en 2023 (année de référence des travaux de la commission d’enquête) 4 millions d’euros, dont trois quarts relatifs à l’accompagnement de l’État pour ses activités de mécénat. Le groupe, qui compte 4 731 salariés sur le sol français a par ailleurs bénéficié d’allègements généraux de cotisations sociales pour un peu plus de 900 000 euros. Ces soutiens publics restent modestes, au regard de sa contribution fiscale, puisque Kering s’est acquitté de 258 millions d’euros de prélèvements et contributions en 2023.
« Le secteur du luxe n’est pas le secteur le plus prioritaire, en termes de problématiques de compétitivité. Ce n’est pas le sujet qui se pose à nous », a même reconnu François-Henri Pinault. Comme de nombreux autres dirigeants qui l’ont précédé, l’homme d’affaires a surtout émaillé son exposé de recommandations pour faire évoluer le système des aides publiques. En particulier pour simplifier leur nombre, évalué à près de 2 200 par la commission. « La question qu’on peut se poser légitimement c’est, est-ce qu’on n’est pas face à un saupoudrage des aides, qui nuit à l’efficacité générale de ces aides ? »
François-Henri Pinault plaide ainsi pour « moins d’aides générales », et « avoir des aides beaucoup plus ciblées », avec des logiques de « priorisation » et de « sectorisation ». La mise en place d’un guichet unique serait en parallèle une « évidence », à ses yeux.
Autre principe attaché au rapporteur de la commission : la transparence autour des aides. « C’est un principe que je souhaite, que je perçois comme absolument souhaitable. Je ne vois pas comment on pourrait ne pas se sentir redevable des aides qui sont fournies par l’Etat et de leur bonne utilisation », a-t-il développé. Mais ce travail doit s’accompagner, selon lui, d’une « pédagogie » et d’un certain nombre de rappels. « Les aides publiques ne sont pas une spécificité française », a rappelé l’industriel qui connaît par exemple bien le cadre italien.
Au sujet des éventuelles conditionnalités afférentes aux aides, il a précisé qu’il ne pouvait « pas y avoir d’obligation de résultat ». « C’est trop compliqué à mettre en place. En revanche, il doit y avoir une obligation de moyens. » Le PDG a enfin appelé à assurer « une sorte de prévisibilité et de stabilité ».