« Le projet fou de Bercy », peut-on lire en gros caractères sur la manchette de l’Opinion. Le quotidien révèle dans son édition du 10 janvier la réflexion esquissée par le ministre de l’Economie et la ministre des Comptes publics devant les socialistes, partisans d’une justice fiscale. La mesure pourrait contribuer, avec d’autres concessions, à s’assurer un accord de non-censure avec une partie de la gauche. Lors d’une des consultations politiques sur la réorientation du projet de loi de finances, la ministre en charge du budget Amélie de Montchalin a évoqué la piste d’une taxation sur le patrimoine, en lieu et place de la contribution différentielle sur les revenus.
Une contribution différentielle temporaire sur les revenus dans le texte initial du budget
Le projet de loi de finances, dans sa version actuelle, prévoit une contribution « temporaire et exceptionnelle » des foyers fiscaux aux revenus les plus élevés (250 000 euros annuels pour un célibataire). Prévue pour durer trois ans, cette contribution viserait à s’assurer un taux minimum d’imposition de ces foyers d’au moins 20 %. Le rendement de cette mesure, censée compenser le manque à gagner généré par certains montages fiscaux très utilisés par les contribuables les plus fortunés, devait atteindre 2 milliards d’euros par an. Or, cette disposition ne devrait pas pouvoir voir le jour avec les prolongations des discussions parlementaires en janvier, en raison du principe de non-rétroactivité en matière fiscale.
Bercy met désormais plutôt à l’étude la solution d’une taxation du patrimoine de ces plus gros contribuables. Le député communiste Nicolas Sansu, cité par le quotidien L’Opinion, parle de « taxe Zucman, au format miniature ». Le nom fait ici référence à une proposition de l’économiste français Gabriel Zucman, qui a imaginé un impôt mondial sur les milliardaires. Il consisterait à taxer à hauteur de 2 % la fraction du patrimoine supérieure à un milliard d’euros. La gauche à l’Assemblée nationale était parvenue à insérer une taxe au mécanisme similaire, le 25 octobre dernier, mais la disposition a été emportée comme l’ensemble de leurs modifications, avec le rejet de la partie recettes du budget.
« C’est plutôt un système anti-optimisation », analyse le président de la commission des finances du Sénat
Partie prenante des négociations, le président de la commission des finances du Sénat, le socialiste Claude Raynal, tempère toutefois cette façon de présenter les choses. « Techniquement, on n’en a pas totalement le contour. On est sur quelques principes. Je dirais que c’est plutôt un système anti-optimisation fiscale qui nous est présenté », précise le sénateur de Haute-Garonne.
Le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, abonde et prend lui aussi ses distances avec le qualificatif de taxe Zucman. « C’est une surinterprétation. On n’est pas rentré dans le détail comme ça », corrige le sénateur du Nord.
L’un, comme l’autre, confirme en revanche que le gouvernement planche bien sur un nouveau dispositif fiscal, ce qui demande du temps, étant donné la technicité du sujet. La disposition doit être conforme au droit fiscal de l’Union européenne. Second impératif, elle doit également pouvoir s’insérer dans le texte en débat au Sénat. Or, le volet recettes a déjà fait l’objet d’un vote au Sénat. La question de la taxation des plus hauts revenus ne pourra donc faire son retour qu’au moment de la commission mixte paritaire, à condition que la disposition soit suffisamment proche de la première contribution. La règle de l’entonnoir resserre le champ le champ du possible pour les modifications, quand la navette parlementaire progresse. La nouvelle contribution devra donc avoir un « lien direct » avec l’ancienne, sans quoi un passage par un autre projet de loi sera nécessaire.
« Le dispositif était en cours d’analyse et en cours de réflexion, ramenée vers le Premier ministre pour savoir s’il allait dans cette voie-là », souligne également Claude Raynal. La réponse n’est pas attendue avant mardi. « Aujourd’hui, nous n’avons pas encore d’arbitrages. Nous sommes dans le temps de la discussion. Les grandes orientations seront données par le Premier ministre lors de la déclaration de politique générale », a annoncé ce vendredi Sophie Primas, la porte-parole du gouvernement.
« Le problème, ce sont les négociations sur les retraites », rétorque François Patriat
L’idée d’une contribution assise sur le patrimoine semble à première vue être relativement bien accueillie dans le bloc central, qui a pourtant fait de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), en le remplaçant par un impôt sur la seule « fortune immobilière », l’une de ses réformes fiscales majeures de 2017. « Déjà dans les discussions avec Michel Barnier, on avait dit qu’on était ouvert à des mesures de justice fiscale […] On est prêts au compromis, on est prêts à des mesures fiscales. Je dis juste, n’abandonnons non plus les économies », prévenait ce matin sur TF1 le député Renaissance, et ancien ministre du Budget, Thomas Cazenave.
« Ce n’est pas un vrai problème, c’était acquis avec Michel Barnier », nous assure aussi François Patriat, le patron des sénateurs macronistes. « Le problème, ce sont les négociations sur les retraites », ajoute-t-il.
La droite très prudente après l’annonce de cette nouvelle proposition fiscale
À droite, plusieurs parlementaires demandent à voir le dispositif une fois bouclé, avant de juger. Mais certains restent sur leurs gardes. « Si c’est une surtaxe, pour une année, pour les patrimoines de plus de 100 millions d’euros, je veux bien regarder. Si c’est au-delà d’un million euros, ça commence à bien faire », répond un membre de la droite sénatoriale. Olivier Paccaud (apparenté LR) appelle à faire preuve de prudence, tout en assurant n’avoir « aucun tabou » sur l’équité fiscale. « S’il s’agit d’empêcher l’optimisation, pourquoi pas. Mais nous savons depuis longtemps les vices de la surfiscalisation du patrimoine. Il s’agit toujours de mesures politiquement très symboliques mais dont l’efficacité économique est très relative. Cela peut avoir des conséquences franchement négatives lorsque cela aboutit à faire fuir certains contribuables aux riches patrimoines. »
« En fait, c’est un retour de l’ISF », s’interroge le sénateur LR, Dominique de Legge. Le sénateur d’Ille-et-Vilaine plaide plutôt pour une taxation de la « fortune improductive ». Depuis l’an dernier, la majorité sénatoriale a dans son viseur les yachts ou encore les cryptomonnaies, une « fortune improductive » qu’elle veut mettre à contribution.