Autoroute ristourne sur le prix du peages

Taxation des sociétés d’autoroute : les sénateurs craignent des « mesurettes »

Selon les informations des Echos, face à la rentabilité importante des concessions d’autoroutes le gouvernement privilégierait une taxation supplémentaire des concessionnaires, représentant quelques centaines de millions d’euros par an. Insuffisant pour les sénateurs, qui demandent une renégociation des contrats à droite, et une renationalisation à gauche.
Louis Mollier-Sabet

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C’était il y a 18 ans. Bruno Le Maire était à l’époque conseiller de Dominique de Villepin à Matignon. Dorénavant locataire de Bercy, le ministre de l’Economie ne s’est jamais montré très enthousiaste à l’idée de remettre sur la table les contrats de concessions négociés – et renégociés depuis, notamment en 2014 par Ségolène Royal et son cabinet, dirigé à l’époque par Élisabeth Borne. Les concessions autoroutières sont un serpent de mer qui poursuit les gouvernements successifs depuis 20 ans, et pour cause. La négociation de ces contrats est un sujet à la fois extrêmement technique sur le plan juridique, et extrêmement sensible au niveau politique.

« La hausse des péages passe mal dans l’opinion et ça se comprend »

La concomitance de l’augmentation continuelle des tarifs et des profits faits par les concessionnaires, Vinci et Eiffage notamment, représente en effet un cocktail explosif, explique Éric Bocquet, sénateur communiste membre de la commission d’enquête sénatoriale sur les concessions autoroutières, qui avait rendu son rapport en 2020 : « Nous avions clairement pointé les déséquilibres dans les contrats de concession qui désavantageaient l’Etat. Le rapport évoquait aussi des perspectives de rentabilité prometteuses, avec plus de 40 milliards de dividendes pour les concessionnaires après 2022, dont 32 pour Vinci et Eiffage. Les chiffres d’aujourd’hui le confirment. Dans ce contexte, la hausse des péages au 1er février de 4,75 % passe mal dans l’opinion et ça se comprend. »

Après un rapport de l’Autorité de régulation des transports (ART) en janvier dernier, et un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) en février, pontant tous deux une rentabilité importante des concessionnaires et la nécessité de rééquilibrer les contrats en faveur de l’Etat, le gouvernement a donc fini par promettre aux parlementaires de « se pencher » sur la question. Interpellé en février dernier par Vincent Delahaye, rapporteur centriste de la commission d’enquête sur le sujet, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique avait ainsi proposé aux sénateurs de « préparer la sortie des concessions actuelles. » C’est plutôt au Conseil d’Etat que le gouvernement a demandé des solutions, avec deux pistes sur la table : une taxation supplémentaire des concessionnaires, ou un raccourcissement de la durée des concessions.

« On leur donne 8 milliards, on en récupère deux, c’est presque gentil »

D’après les informations des Echos, le Conseil d’Etat penche plutôt pour un accroissement de la taxation sur les concessionnaires, à condition qu’elle touche les autres concessions d’Etat. Toujours d’après les Echos, c’est la baisse de l’Impôt sur les Sociétés entre 2018 et 2022 qui donnerait une solidité juridique à cette taxation supplémentaire. Avec près de 8 milliards d’euros économisés pour les concessionnaires depuis 2018, cette contribution supplémentaire de 2 à 3 milliards d’euros d’ici à 2030, soit quelques centaines de millions d’euros par an, qui toucherait principalement les concessionnaires autoroutiers serait « proportionnée », d’après la haute juridiction administrative.

Une argumentation qui ne satisfait pas Vincent Delahaye : « C’est toujours quelque chose, mais c’est absolument insuffisant au regard des enjeux. On leur donne 8 milliards, on en récupère deux, c’est presque gentil. Le problème est beaucoup plus structurel, les contrats de concessions sont mauvais, il faut les dénoncer. » Le rapporteur de la commission d’enquête sur les concessions autoroutières reste ainsi partisan de la deuxième solution, la réduction de la durée des contrats : « On peut dénoncer ces contrats de concessions, il faut simplement de la volonté et du courage politique. J’attends la réponse du Conseil d’Etat sur ce sujet, la réponse devrait être formulée au gouvernement courant juin, c’est à lui de la rendre publique. »

Renégociation des contrats ou renationalisation ?

Le sénateur centriste a ainsi peur que des « mesurettes » servent à communiquer sans « régler le problème », et conduisent finalement à abandonner toute perspective de renégociation des contrats, qui arrivent à échéance entre 2031 et 2036. À cet égard, Éric Bocquet aussi appelle à « ne pas être dans la demi-mesure », face à un problème « connu depuis que les autoroutes ont été privatisées. » Lui aussi estime qu’une éventuelle contribution exceptionnelle récoltant 3 milliards sur six ans serait « loin du compte. »

« De la privatisation à 2019, on est à 24 milliards de dividendes distribués sur la période, il y a de quoi faire », poursuit-il. En revanche, contrairement à son collègue centriste, le sénateur communiste plaide pour une renationalisation : « Elle aurait un coût aujourd’hui, mais serait largement amortie dès que l’on aurait la main sur la gestion des autoroutes. Il y a une bataille politique à mener, le gouvernement est sensible aux arguments des grands groupes et avance prudemment, mais il faut mettre fin à ce pillage du pouvoir d’achat des Français par les sociétés autoroutières. » D’après lui, « pas besoin de demander au Conseil d’Etat, il suffit de s’inspirer des différents rapports et travaux parlementaires. »

En tout cas, l’exécutif devrait mettre une proposition sur pied d’ici l’automne, et la discussion du projet de loi de finances 2024. Nul doute que ce sera l’un des points chauds du prochain budget.

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