Il l’agitait comme une menace depuis plusieurs semaines. Le président américain Donald Trump a sorti les muscles hier, lors d’une réunion à la Maison Blanche, en annonçant mettre ses menaces à exécution. « Nous avons pris la décision, et nous l’annoncerons prochainement, ce sera 25 % », a-t-il déclaré devant ses conseillers.
Après le Canada et le Mexique, dont les mesures de surtaxes doivent prendre effet début avril, c’est l’Union européenne qui fait les frais de la guerre commerciale menée par le nouveau président américain. Les raisons d’une telle attaque ? Le président accuse le Vieux continent de ne plus « accepter les voitures ou les produits agricoles » américains. Il pointe également un déficit commercial de « 300 milliards de dollars » entre son pays et l’Europe. Dans un long communiqué, la Commission européenne évalue le déficit à environ 150 milliards d’euros (157 milliards de dollars). En réponse, elle a promis de réagir « fermement et immédiatement » à l’annonce de ces nouvelles taxes douanières. « L’UE protégera toujours les entreprises, les travailleurs et les consommateurs européens contre les droits de douane injustifiés », assure-t-elle.
Donald Trump : « Nous sommes la corne d’abondance »
Cependant, le président américain se montre confiant : « Ils peuvent essayer de le faire, mais les effets ne seront jamais les mêmes, parce que nous pouvons partir. Nous sommes la corne d’abondance, ce que tout le monde veut, et ils peuvent tenter des représailles, mais ça ne marchera pas. Il suffit que nous n’achetions plus rien, et si c’est ce qui se produit, nous gagnons ».
Lors de la guerre commerciale de 2019, « les mesures ont beaucoup pesé sur l’industrie américaine ».
Pour Léo Charles, maître de conférences en Sciences économiques à l’Université Rennes 2, Donald Trump aurait dû réfléchir à deux fois avant de se lancer dans une telle offensive : « Comme lors de la précédente guerre commerciale, l’UE va sûrement viser certains produits américains. La seule réaction de l’Europe ne va pas faire vaciller l’économie américaine, mais si elle s’ajoute aux réactions d’autres pays visés par la surtaxe américaine comme la Chine, cela peut peser drastiquement sur l’économie de l’Oncle Sam ».
L’économiste souligne le danger d’une politique protectionniste sans une véritable stratégie industrielle. « En soi, une hausse des droits de douane ne crée pas d’emploi. Elle permet de protéger une économie, mais celle-ci doit être couplée avec des politiques industrielles ambitieuses. Ici, avec Trump, ce n’est pas le cas. C’est ce que j’appelle la politique néo mercantiliste à savoir un vecteur d’affirmation de la puissance. Trump veut montrer les muscles, mais cela peut être destructif ».
Selon l’économiste, il y a un risque que se « reproduisent » les mêmes conséquences que lors de la précédente guerre commerciale entre les Etats-Unis et l’Union européenne, initiée au cours du précédent mandat de Donald Trump. « La dernière guerre commerciale n’a pas tellement réglé son déficit commercial. Il n’y a pas eu plus d’emplois, la consommation américaine a même diminué. In fine, les mesures ont beaucoup pesé sur l’industrie américaine », analyse-t-il.
« Trump cherche à jouer sur le manque de solidarité en Europe »
Curieux hasard ou provocation ? L’annonce est faite deux jours seulement après la visite d’Emmanuel Macron à Washington dans le cadre de discussions sur le conflit en Ukraine. Au cours des échanges, le président français a rappelé les accointances entre les économies américaines et européennes. « Je veux ici dire combien les économies américaines et européennes sont liées. Ce sont les économies les plus imbriquées au monde. La solution, c’est de nous réengager sincèrement vers une concurrence qui soit équitable et la volonté d’avoir des échanges plus fluides et encore davantage d’investissements ». Il va sans dire que le président français n’a pas réussi à convaincre son homologue américain lors de cet échange.
Pour la sénatrice Karine Daniel qui a interpellé le gouvernement sur les menaces de guerre commerciale entre les Etats-Unis et l’Union européenne, l’annonce du président américain montre le « décalage » et le « caractère décousu » des relations entre l’Europe et les Etats-Unis. « Cette visite d’Emmanuel Macron apparaissait comme solitaire. Nous aurions préféré que ce soit l’Europe qui parle directement à Trump, regrette-t-elle. Là, on rentre dans le jeu du président américain qui gagne à avoir une Europe faible et à entretenir des relations bilatérales ».
Une analyse partagée par Léo Charles : « Si Trump opère comme la dernière fois, il va viser des produits spécifiques qui impactent seulement quelques pays. Il cherche à jouer sur le manque de solidarité en Europe. Certes, les risques sont très localisés, mais il y a un risque de voir l’Europe imploser par manque de réaction commune ».
Au cours de la précédente guerre commerciale, la surtaxe de 25 % sur les vins et spiritueux en France avait conduit à un recul de 40 % des exportations vers les Etats-Unis, soit une perte de près de 500 millions d’euros. Le secteur pharmaceutique et celui de l’aéronautique s’inquiètent également du risque financier des surtaxes.
« L’UE a été conçue pour entuber les Etats-Unis »
Le président américain a également partagé sa vision du Vieux continent, dont le projet originel allait selon lui à l’encontre de son pays. Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a vivement réagi sur X : « L’UE n’a pas été créée pour tromper qui que ce soit. Bien au contraire. Elle a été créée pour maintenir la paix, pour renforcer le respect entre nos nations, pour créer un commerce libre et équitable et pour renforcer notre amitié transatlantique. C’est aussi simple que cela ».
Dans ce contexte de tension entre les Etats-Unis et l’Europe, Léo Charles insiste sur la nécessité pour le Vieux Continent de planifier une nouvelle stratégie commerciale et de ne pas se reposer sur une croissance basée uniquement sur l’exportation. « La mondialisation arrive en fin de cycle. L’UE doit changer son idéologie et son modèle de croissance en favorisant une industrie plus forte ». Pour la sénatrice Karine Daniel, il s’agit dès lors de ne plus faire preuve de « naïveté » sur la scène internationale. « On doit se renforcer », conclut-elle.