Sans surprise, le Sénat a rejeté ce lundi 12 juin une proposition de loi visant à instaurer une taxation d’au moins 2 % sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros. Ce dispositif, appelé « taxe Zucman », du nom de l’économiste qui l’a inspiré, a été voté à l’Assemblée nationale le 20 février, mais son adoption par les sénateurs semblait assez peu probable. La proposition de loi, issue des rangs écologistes, avait déjà été retoquée par la commission des finances, la Chambre haute étant dominée par une majorité de droite et du centre largement opposée à une telle mesure. Dans l’hémicycle, elle a finalement été rejetée en fin d’après-midi avec 188 voix contre et 129 pour.
Les soutiens du texte, essentiellement à gauche, estiment que cette taxe pourrait rapporter jusqu’à 20 milliards d’euros, quand le gouvernement recherche 40 milliards d’économies dans le prochain budget. Inversement, ses détracteurs, parmi lesquels l’exécutif, brandissent le risque d’exil fiscal et l’impact d’un tel dispositif sur l’investissement et l’emploi.
« Confiscatoire et inefficace »
« Nous n’avons pas pour projet de créer de nouveaux impôts, la stabilité fiscale est primordiale pour favoriser l’écosystème qui permet aux investisseurs, aux entrepreneurs et aux talents de créer de l’emploi et de la richesse en France », a expliqué Amélie de Montchalin, la ministre chargée des Comptes publics, en ouverture des débats. « Une telle contribution serait à la fois confiscatoire et inefficace », a-t-elle estimé sous les sifflets de la gauche.
Le rapporteur Les Indépendants de ce texte, Emmanuel Capus, lui a embrayé le pas. « Cet impôt présente beaucoup trop de faiblesses d’ordre constitutionnelles, opérationnelles ou économiques pour être adopté », a-t-il expliqué, rappelant qu’en l’absence de plafond, cette taxe risquait d’être considérée comme confiscatoire par le Conseil constitutionnel. « Confiscatoire, car l’on ne peut pas raisonnablement soutenir cet impôt qui promet cinq fois plus de rendement que l’impôt sur la fortune (ISF), concentré sur 1 800 personnes, là où l’ISF frappait 350 000 contribuables ».
Limiter les effets de l’optimisation fiscale
L’un des objectifs de la proposition de loi, portée par les députées Éva Sas et Clémentine Autain, est de mettre fin aux effets d’évitement qui frappent les plus hautes tranches d’imposition, dans la mesure où certaines grandes fortunes organisent leurs revenus pour échapper aux pressions fiscales. À cette fin, le texte propose d’agréger à la fois le patrimoine privé et le patrimoine professionnel pour construire un impôt plancher des « ultra-riches », soit un peu moins de 2 000 personnes en France selon les critères retenus. Face au risque d’exil fiscal, le texte prévoit notamment que cet impôt soit dû pendant cinq ans après un départ à l’étranger.
« Taxer, taxer, taxer toujours plus, partout et tout le temps. Taxer le revenu, la production, la consommation, les donations et maintenant le capital. Cette obsession pour la taxation, sans stratégie établie ni objectif précis autre que la taxe elle-même, révèle des courants de pensée en manque d’idées et de stratégie pour nos enfants », a cinglé le sénateur Les Indépendants Marc Laménie.
« À force de protéger l’exception, vous êtes en train de normaliser l’injustice »
« Sommes-nous devenus une ploutocratie ? », a interpellé l’écologiste Yannick Jadot. « Dans quel régime politique vivons-nous pour que vous défendiez avec ferveur 1 800 foyers fiscaux qui ont plus de 100 millions d’euros de fortune et qui payent moitié moins d’impôts que les autres Français. L’égalité fiscale, ça n’est pas rien dans notre histoire politique. »
De nombreux élus de gauche ont pris la parole pour cibler l’accroissement important du patrimoine des plus fortunés ces dernières années. « En 1985, les 1 % les plus riches de ce pays détenaient 16 % de la richesse nationale, aujourd’hui ils en détiennent un quart. La confiscation est dans l’autre sens ! », a souligné le socialiste Alexandre Ouizille. « À force de protéger l’exception, vous êtes en train de normaliser l’injustice », a tancé le communiste Pascal Savoldelli à l’attention du bloc gouvernemental.
« Il y a une pointe nauséabonde et tout à fait populiste de faire croire aux gens que la majorité sénatoriale s’opposerait au texte pour protéger les plus riches, alors que c’est exactement l’inverse. Nous voulons protéger l’emploi et l’investissement dans nos territoires », a voulu recadrer le rapporteur Emmanuel Capus. « Dire que l’on va résoudre les problèmes des plus pauvres en taxant les plus riches, c’est monter les Français les uns contre les autres. »
En dépit de fortes divergences méthodologiques, la quasi-intégralité des intervenants, ce jeudi, s’est entendue sur la nécessité de renforcer l’égalité devant l’impôt. La ministre a reconnu qu’un travail devait être engagé « sur les situations marginales de suroptimisation qui peuvent nuire à l’efficacité de l’impôt ». « Il revient de nous assurer que les contribuables qui utilisent des mécanismes légaux pour contourner l’impôt ne puissent plus le faire », a-t-elle déclaré. L’exécutif pourrait, à ce sujet, formuler des propositions dans le prochain budget.