TotalEnergies : « Dans la transition énergétique, il n’y aura pas de grand soir, faut pas rêver » prévient Patrick Pouyanné

Auditionné pendant plus de deux heures par la commission d’enquête du Sénat sur TotalEnergies, le PDG de l’entreprise a défendu sa stratégie, qui allie pétrole et investissements dans les énergies renouvelables, tentant de convaincre de son sens. Il a répondu sur les liens que TotalEnergies continue d’avoir avec la Russie.
François Vignal

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C’était certainement l’audition la plus attendue de la commission d’enquête du Sénat sur les obligations climatiques de TotalEnergies : le PDG, Patrick Pouyanné, en personne. Pendant plus de deux heures, il a répondu aux questions des sénateurs, à commencer par celles de l’écologiste Yannick Jadot, rapporteur de la commission d’enquête, qui en est à l’initiative.

Le grand patron français a surtout profité de l’audition pour tenter de faire la pédagogie – ou plutôt la communication, en terme plus entrepreneurial – de la stratégie de son groupe, conscient d’un problème dans l’opinion. « J’espère que la commission aidera à régler une partie de cet écart d’image dont je suis bien conscient. On ne fait pas toujours tout bien », conclut-il même son audition, dans un début de contrition.

« TotalEnergies est sur le podium des majors du pétrole les plus expansionnistes, qui investissent le plus dans le pétrole et le gaz », dénonce l’écologiste Yannick Jadot

Ce qui complique la com’de TotalEnergies, c’est le réchauffement climatique. « Le point de départ de notre commission d’enquête, c’est le dérèglement climatique et l’urgence à agir », a rappelé Yannick Jadot. « Le secrétaire général des Nations-Unis le répète matin et soir : l’effondrement climatique a commencé. Il ajoutait que l’addiction de l’humanité au pétrole a ouvert les portes de l’enfer. […] Notre responsabilité, c’est de les fermer », ajoute le sénateur des Ecologistes (ex-EELV) de Paris. L’ancien candidat à la présidentielle souligne que « votre stratégie est en contradiction avec celles de l’agence internationale de l’énergie ». « TotalEnergies est sur le podium des majors du pétrole les plus expansionnistes, qui investissent le plus dans le pétrole et le gaz », dénonce encore Yannick Jadot, qui pointe la « vingtaine de bombes climatiques » auxquelles participe l’entreprise.

Des propos pas vraiment au goût de l’invité du jour, notamment quand l’écologiste s’appuie sur le rapport de l’Agence Internationale de l’Energie (IAE) pour étayer sa démonstration. « Je veux bien que tout le monde s’y raccroche, mais maintenant, on a un nouveau Pape et une nouvelle bible, mais ce n’est pas la réalité », rétorque le PDG, qui parle ici du « scenario zéro émission net de l’IAE » et de son directeur « Fatih Birol ». Il appelle à « corriger factuellement le rapport » de l’agence, « totalement faux », attribuant des champs pétroliers qui n’appartiennent pas à l’énergéticien, soutient le PDG.

« Système A » et « système B »

Patrick Pouyanné l’assure, TotalEnergie a pris le tournant de la transition énergétique. Mais pour cela, il a toujours besoin du pétrole et du gaz. Ce qu’il appelle le passage du « système A » au « système B », avec un temps de cohabitation entre les deux. Mais pour Patrick Pouyanné, connu pour un certain franc parler, il ne faut pas se leurrer : le changement ne se fera pas d’un coup de baguette magique.

« Certains pensent que pour accélérer la transition, il faut abattre le système A. Sans doute faudrait-il le faire un jour. Le problème, c’est que si on abat le système A sans avoir bâti le système B, ça ne marche pas », explique le PDG de TotalEnergies, avant d’ajouter un peu plus tard : « Dans la transition énergétique, il n’y aura pas de grand soir, faut pas rêver ».

« On va devenir un électricien, sans abandonner nos hydrocarbures, pour l’instant »

« Lorsqu’on réfléchit à l’évolution du monde énergétique, on va bien avoir un ralentissement, voire un plateau et un déclin de la demande de pétrole, car il y aura de l’innovation », explique-t-il, notamment avec la « voiture électrique ». C’est notamment pourquoi « le choix profond que nous avons fait, qui n’était pas évident, c’est de rentrer dans ce monde de l’électricité, on va devenir un électricien, sans abandonner nos hydrocarbures, pour l’instant. Car c’est là qu’il y aura de la croissance à grande échelle », ajoute-il encore, assurant sa volonté de « devenir un acteur significatif de la transition énergétique ». Mais c’est pourquoi, à ses yeux, il est normal pour l’heure de « continuer à investir dans les nouveaux projets de pétrole et de gaz, de façon à fournir cette demande et contribuer à la transition ». Des projets comme ceux contestés en Azerbaïdjan, au Mozambique et en Ouganda, sur lesquels il s’est expliqué. Sans oublier, par ailleurs, les liens que l’entreprise garde avec la Russie (lire notre article sur le sujet). A noter que dans le plan de TotalEnergies, « le gaz peut contribuer à la trajectoire de moins d’émissions ». Mais il le reconnait, « cette transition reste mal comprise en France ».

Lire aussi >> TotalEnergies « étudie » le transfert de sa cotation en bourse à New York, mais « on n’a pas parlé de bouger le siège social », assure Patrick Pouyanné

L’investissement dans l’électrique augmente. Si bien que l’entreprise investit aujourd’hui 12 milliards d’euros dans les hydrocarbures, « contre 4-5 milliards l’an dernier dans l’électricité et 1 milliard dans les autres énergies bas carbone ». Et « nous démontrons que ce modèle économique fonctionne, car depuis deux ans, nous sommes la major du pétrole la plus rentable, plus rentable qu’Exxon ».

« Je n’ai pas envie de rendre à l’Etat français le superprofit, comme je l’ai fait en 2022. Je préfère le garder pour nous »

Question rentabilité, il glisse au passage un mot sur la taxe sur les superprofits. « Je n’ai pas envie de rendre à l’Etat français le superprofit, comme je l’ai fait en 2022. Je préfère le garder pour nous », lance le PDG, expliquant la nécessité de rémunérer les actionnaires, « car ils acceptent de prendre les risques quand les prix sont bas ».

Optimisation fiscale via les paradis fiscaux : « J’ai fait démanteler tout le système qu’il y avait chez nous », affirme Patrick Pouyanné

Interrogé par le sénateur communiste Philipe Barros sur les révélations des Paradis papers, en 2017, où on apprenait que TotalEnergies « avait des filières dans les paradis discaux, Bahamas, Pays-Bas et Suisse », Patrick Pouyanné a expliqué avoir globalement mis fin à ces filiales, tout en reconnaissant que l’entreprise les avait sciemment installées à une époque. « Les fameuses filiales fiscales, aux Bahamas, il n’y en a quasiment plus du tout. On les a éliminées toutes, sous ma direction. Il y en avait une trentaine, il en reste 7 ou 8 car on a des partenaires, notamment américains, qui ont des raisons d’être aux Bahamas », a expliqué le PDG.

« Mais c’est une politique que je bannis systématiquement. J’ai fait démanteler tout le système qu’il y avait chez nous, d’optimisation via ces pays, car je considère que tout ça, ce n’est pas bien, c’est marginal, et finalement, ça nous rapporte plus d’embêtements que le contraire », a-t-il affirmé, ajoutant qu’en Suisse, « il y a une activité, avec plus de 1.000 employés, car les grandes entreprises de négoces sont à Genève ».

Sur les énergies renouvelables, l’entreprise entend passer de « 25 gigawatts » à « 35 gigawatts » de production électrique. Si l’électricité est une voie de développement, il n’est en revanche pas question de s’engager dans le nucléaire. « Nous n’y connaissons rien », lance le patron de TotalEnergies, qui explique qu’ils sont « prêts à acheter l’électricité à EDF par des contrats de long terme de 15 à 20 ans ».

« En Europe, tout est lent » sur les renouvelables

Il regrette les complications pour développer le renouvelable. « En Europe, tout est lent, car on n’a pas assez de fonctionnaires pour s’occuper de ces projets », « et dans nos démocraties, il y a des droits de recours qui sont lents ». Si bien qu’en France, il faut « près de 5 ans » pour lancer un projet dans l’éolien, contre « un an au Texas ». Reste qu’à terme, l’objectif de TotalEnergies est bien de « produire 20 à 25% d’hydrocarbure, plutôt du gaz que du pétrole, et plus de 50% d’électricité ».

Il souligne au passage que Total a « fabriqué des panneaux solaires », via l’entreprise Sun Power, avant de fermer les usines « car l’Europe, en 2016 ou 2017, a décidé de fermer toutes les barrières qu’il y avait sur les panneaux chinois », pointe-t-il. A l’époque, Bruxelles et Bercy lui expliquent que « le choix qui est fait, c’est que le coût de l’énergie solaire soit le plus bas possible. C’est un choix politique ». Autrement dit, il ne faut pas tout mettre sur le dos de TotalEnergies. Si Patrick Pouyanné n’a sûrement pas convaincu tous les sénateurs, les ministres auditionnés également par la commission d’enquête ont tenu, comme celui de l’Economie, Bruno Le Maire, à rappeler que TotalEnergies était une grande entreprise dont la France avait besoin. Le pétrolier sait pouvoir compter sur l’appui du gouvernement.

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