« Les Français lisent de moins en moins », a conclu le Centre national du livre dans son baromètre annuel réalisé par Ipsos. En 2024, seulement 63 % des Français ont lu au moins 5 livres au cours des douze derniers mois soit six points de moins que l’année précédente. « Je suis convaincu de l’efficacité de la lecture et donc de l’importance du soutien au secteur », se livre le rapporteur spécial des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », Jean-Raymond Hugonet. D’autant que le secteur résonne avec les travaux du Sénat. « Le soutien au livre est une question d’aménagement du territoire ce qui a toute son importance au Sénat », souligne le sénateur LR. « Les librairies sont parfois situées dans des secteurs très ruraux ».
1,1 milliard d’euros d’aides en 2024
Alors que le lectorat s’érode d’année en année, le nombre de livres non numériques sur le marché a progressé de 21 % en dix ans. Dans de telles circonstances, l’avenir du livre, du moins sous son aspect matériel, apparaît plus qu’incertain. Mais ce progressif décalage entre consommation et production est pallié par « l’efficacité » du soutien de l’Etat au secteur comme le salue Jean-Raymond Hugonet dans son rapport.
Au total, le secteur du livre a profité d’un soutien étatique à hauteur d’1,1 milliard d’euros en 2024, composé essentiellement de 600 millions de pertes de recettes de l’Etat liées au taux réduit à 5,5 % de la TVA. En grande majorité, le reste des crédits est attribué aux bibliothèques.
Selon le rapport, le taux réduit de TVA a bénéficié au « décile de la population le plus riche à hauteur de 294 millions par an contre 84 millions d’euros » pour les 10 % de Français aux revenus les plus faibles. Le sénateur recommande d’évaluer « le coût et l’impact » de cette TVA réduite, « notamment en termes de redistribution et d’incitation à la lecture ».
Des aides ciblées et efficaces
Concernant l’ensemble des professionnels de la chaîne du livre, un système d’aides directs est assuré par le CNL. Pour l’année 2023, ce sont près de 3 000 aides qui ont été distribuées pour un montant total de 22 millions d’euros soit une moyenne de 7 000 euros par aide. Jean-Raymond Hugonet recommande tout de même de relever le montant minimal, actuellement de 500 euros, pour limiter tout « saupoudrage » et orienter le dispositif vers les plus nécessiteux. Pourtant le CNL assure une distribution d’aides particulièrement bien ciblées. Selon le rapport, les librairies qui perçoivent des aides sont, en moyenne, structurellement moins rentables que les autres.
Hormis « l’année Covid » en 2020 où près de la moitié des librairies ont reçu un soutien financier, un peu moins de 10 % des librairies françaises bénéficient chaque année d’une aide. Dans son rapport, le sénateur envisage de revoir la conditionnalité des aides du CNL pour en faire davantage un « instrument de politique publique ».
« Bulle Covid »
Pourtant lors de l’épidémie, et contrairement aux prévisions, le secteur du livre s’est plutôt bien porté. « On peut parler d’une bulle Covid », pointe le rapporteur. En effet, alors que le CNL a débloqué une aide exceptionnelle de 43 millions d’euros entre 2020 et 2022, les librairies ont connu une sur rentabilité. La preuve : l’ensemble des crédits n’ont pas été consommés. Le sénateur note également l’ouverture d’une centaine de librairies partout en France à la sortie de l’épidémie. Néanmoins cette parenthèse s’est rapidement refermée dès 2021 avec un retour à la normale.
359 millions d’euros grâce au Pass culture
Mais c’est une autre aide, indirecte cette fois-ci, qui permet au secteur de se maintenir hors de l’eau. Depuis sa création en 2019, le Pass culture a financé pas moins de 28 millions de livres. Au total, le dispositif a rapporté 359 millions d’euros. Rien qu’en 2024, le Pass culture a représenté près de 90 millions d’euros, soit trois fois le montant des aides directes du CNL à la filière du livre. Cette « aide massive » de l’Etat a même représenté 2,6 % des livres achetés en 2023. Dans certaines librairies indépendantes, le Pass culture pouvait atteindre jusqu’à 15 % du chiffre d’affaires.
Le secteur culturel le moins aidé
La survie du secteur du livre dépend donc fortement des aides publiques. Pourtant, c’est le secteur culturel qui, en proportion de son chiffre d’affaires, reçoit le moins d’aides. Pour l’année 2024, la part de la dépense fiscale par rapport au chiffre d’affaires du secteur du livre était de 0,5 % contre 35 % pour le cinéma et 13 % pour l’audiovisuel. Le sénateur est conscient de cette différence pointant un « effet levier fort malgré des montants limités ». Cependant le sénateur n’envisage pas la création d’une proposition de loi (PPL). « La mode est aux PPL, mais je n’ai pas la prétention qu’il faille nécessairement en faire une », explique-t-il. « Je pense que ce rapport est une bonne base de travail. Je ne dis pas nécessairement qu’il faut l’appliquer, mais on va en discuter ».
Fragilisé chaque année par la diminution des lecteurs et l’offre foisonnante, le secteur du livre est sur une corde raide malgré un soutien public efficace. Si celui-ci s’essouffle, le livre papier pourrait bien devenir qu’un simple souvenir.