Ce rapport va peut-être donner des idées à Michel Barnier. La situation économique française est délicate. La dette publique s’envole à plus de 3 200 milliards d’euros, soit 112 % du PIB. Le déficit public risque de dépasser 6 %, contre les 5,1 % initialement attendus. Le nouveau gouvernement entend faire des économies sur le budget de 2025. Plusieurs pistes ont été annoncées, comme davantage solliciter les plus riches, tailler dans les dépenses publiques… ou lutter contre la fraude sociale. « Je voudrais m’attaquer à un sujet qui coûte beaucoup d’argent qui est celui de la fraude fiscale, mais aussi de la fraude sociale », a déclaré Michel Barnier, le 22 septembre au 20 H de France 2.
« La lutte contre la fraude sociale est une composante essentielle de la confiance de nos concitoyens dans le système de solidarité nationale », indique le Haut conseil du financement de la protection sociale. « Elle agit comme une corruption lente et insidieuse du corps social de la nation », poursuit-il. Mais l’instance présidée par Dominique Libault prévient que cette lutte ne peut pas être vue comme une source d’argent magique pour combler les besoins de l’Etat-providence français.
L’Urssaf est la première victime de la fraude sociale
Le rapport évalue la fraude sociale à 13 milliards d’euros par an. Un chiffre qui représente un « potentiel théorique ». Les fraudes constatées et stoppées ne représentent que 2,1 milliards d’euros, comprenant 0,5 milliard de fraudes évitées avant le versement de la prestation. De son côté, le montant recouvré s’élève à 600 millions d’euros. Ces 13 milliards représentent 1,9 % de la masse des prestations versées chaque année.
L’Urssaf est la principale victime de la fraude sociale. 6,9 milliards de cotisations sont détournées du fait du travail dissimulé. Les conséquences sont aussi significatives pour la Caisse d’allocations familiales (CAF). Le fait de devoir « faire des déclarations tous les trois mois sur la CAF est générateur de risque d’erreur ou de fraude très important », souligne le HCFPS. Les sommes indûment versées pour le revenu de solidarité active (RSA) s’élèvent à 1,54 milliard. Le préjudice atteint 1,71 milliard pour l’Assurance maladie, dont 340 millions qui seraient imputables aux infirmiers libéraux. La prévention des fraudes à la Sécurité sociale est « très certainement le point faible de la politique actuelle », admet le rapport. Un constat que fait régulièrement la Cour des comptes. En mai 2023, l’institution appelait à un « changement d’échelle », pour éviter la perte de « milliards d’euros » chaque année.
La majorité des fraudes est le fait d’entreprises ou d’entrepreneurs
Avec 56 %, la fraude sociale est majoritairement le fait des entreprises ou des travailleurs indépendants, dues au « travail au noir ». Les chiffres démontrent que « la part des assurés, notamment des titulaires de minima sociaux, est faible dans l’ensemble », indique le rapport. Ils représentent 34 % des triches évaluées. Les données évoquent 10 % pour les professionnels de santé. « Ce rapport a le mérite de remettre certaines choses en place », se réjouit Éric Bocquet, sénateur communiste du Nord. « Elle ne révèle pas que la fraude vient des pauvres, mais du travail illégal. Ce n’est pas inintéressant de le noter », poursuit le vice-président de la commission des Finances au Palais du Luxembourg.
Le Haut conseil du financement de la protection sociale préconise 81 recommandations. Par exemple, de simplifier les normes génératrices de fraude, comme la disparité des règles concernant les revenus qu’il faut déclarer pour demander une allocation. Le rapport admet que « la peur du gendarme ne suffit pas » et qu’une « vraie stratégie de prévention est indispensable ». Il recommande d’améliorer les contrôles. En particulier ceux qui visent les travailleurs indépendants et le secteur médico-social. Ces préconisations restent « très générales » pour Nathalie Goulet, sénatrice centriste de l’Orne. « La quasi-totalité des recommandations est générale et pas particulière », continue-t-elle, en prenant l’exemple de la création d’un observatoire économique, une mesure « pas sérieuse ».
Un rapport qui comporte « beaucoup de failles »
Plus globalement, le rapport est « intéressant » pour Nathalie Goulet, mais il comporte « beaucoup de failles ». Elle se désole que les équipes de Dominique Libault « parlent exclusivement de la fraude aux cotisations » et pas de « la fraude aux prestations ». La fraude des assurés sociaux serait donc minorée selon l’élue. « Il n’y a rien sur les personnes en situation irrégulière toujours inscrites dans les fichiers de la sécurité sociale. Ni sur les fraudes à la carte d’identité », explique l’avocate. Le système déclaratif des prestations sociales est pour elle « trop permissif » et donc « bourré de fraudeurs ».
Nathalie Goulet compte mettre ce débat sur la table pendant le projet de loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS), au mois d’octobre. « Il va falloir épurer le répertoire national de la protection sociale, vérifier les dispositions votées qui se sont perdues sur les échanges de données, obtenir l’automaticité de contrôle de la résidence régulière en France et bien sûr, mettre en garde contre le versement automatique des prestations sans un contrôle sérieux au préalable d’une inspection indépendante », énumère-t-elle. Et de relativiser : « On a quand même bien progressé. Il y a cinq ans, on nous traitait de fascistes quand on dénonçait la fraude sociale. Maintenant, on admet qu’elle coûte au moins 13 milliards ».
De son côté, Éric Bocquet, sénateur communiste, se désole que la fraude sociale « prenne autant de place dans le débat public ». « Je ne la nie pas, elle existe. La fraude aux prestations sociales aussi. Mais je préfère qu’on s’intéresse à la fraude fiscale. On l’évalue entre 60 et 80 milliards. Ce ne sont pas les mêmes volumes que les 13 milliards de la fraude sociale », explique-t-il. Le mardi 8 octobre, un débat aura lieu au sujet de la dette publique au Sénat. Si la fraude fiscale sera évoquée par Éric Bocquet, la fraude sociale sera aussi au cœur des échanges.