« Une forme de cassure » : comment l’incertitude politique pèse sur l’économie française
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« Une forme de cassure » : comment l’incertitude politique pèse sur l’économie française

L’inquiétude des dirigeants d’entreprise, alimentée par la crise politique, repart à la hausse. Les incertitudes de la politique budgétaire et économique entraînent des conséquences directes sur leurs décisions des prochains mois.
Guillaume Jacquot

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« C’est une forme d’expérience naturelle. Elle montre que le politique influe au moins sur les anticipations et l’état d’esprit des entreprises. » La dernière enquête menée auprès de 1 200 dirigeants de PME et de TPE, entre fin août et début septembre, a été riche d’enseignements pour l’institut Rexecode, relève son directeur général Denis Ferrand, auprès de Public Sénat. Et pour cause, l’annonce inattendue de François Bayrou le 25 août, d’un vote de confiance à la rentrée, s’est produite en plein milieu de la période de collecte des réponses.

Désavoué par l’Assemblée nationale, le Premier ministre, avec sa chute programmée, a ranimé une nouvelle période de flottement au sommet de l’État et de flou sur le prochain budget, qui n’a pas été sans conséquences dans le tissu économique du pays.

« C’était en train de s’améliorer. Là, on s’est repris un coup »

Rexecode, proche des milieux patronaux, a bien observé un avant et un après 25 août, dans les réponses à son étude trimestrielle, menée avec Bpifrance et publiée le 16 septembre. « Il y a un effet de climat qui est assez délétère. Il y avait déjà plutôt de la frilosité, c’était en train de s’améliorer. Là, on s’est repris un coup sur les anticipations », observe Denis Ferrand.

Désormais, 57 % des dirigeants anticipent un impact négatif fort, sur leur activité, du climat d’incertitude politique, c’est quatre points de plus qu’en mai. Ceux qui ont répondu à la question entre le 21 août et 25 août, n’étaient que 50 % à le penser. La part monte à 67 % chez ceux qui ont répondu après le 25 août, jour de la conférence de François Bayrou. Du jamais vu dans les précédentes vagues du baromètre. « On était au maximum à 61 %, mais jamais à 67 %. L’enquête est assez claire sur le changement de tonalité », décrit Denis Ferrand.

Attentisme sur les embauches et ralentissement de l’investissement

Le même type de décrochage s’est produit sur les intentions et les projets des dirigeants. Les chefs d’entreprise qui ont répondu au questionnaire après le 25 août sont plus nombreux en proportion à vouloir reporter ou annuler leurs projets d’embauche. 57 % l’envisagent, contre 47 % de ceux ayant répondu entre le 21 et le 25 août. L’écart est encore plus significatif concernant les projets d’investissements. Si 60 % des chefs d’entreprise affirmaient reporter ou annuler leurs investissements avant le 25 août, ils étaient 76 % après le 25 août.

« Par rapport au début de l’année 2025, on avait plutôt une amélioration. Dans la zone euro, le climat des affaires s’améliorait nettement, en particulier en Allemagne. Il y avait une ombre qui se manifestait sur la France. Là, on a quand même une forme de cassure qui intervient. Elle dit bien qu’il y a quelque chose de nouveau », analyse l’économiste Denis Ferrand.

D’autres données mettent également en évidence une prudence, ou à tout le moins un attentisme des acteurs économiques. Le poids de l’investissement privé est en repli depuis un an et demi, et s’approche de ses niveaux les plus bas. La récente enquête sur le taux d’épargne des ménages traduit aussi une frilosité et une consommation plus basse qu’elle ne devrait être. Au premier trimestre 2025, le taux d’épargne des ménages en France s’est élevé à 19 % de leur revenu disponible, selon l’Insee, un record depuis 1978, hors période exceptionnelle comme la crise sanitaire. « Les enquêtes de conjoncture montrent que les aléas politiques freinent la demande domestique. La consommation et l’investissement restent décevants », écrivent par exemple Christophe Morel et Maryse Pogodzinski, chef économiste et économiste à Groupama Asset Management.

Déjà douze milliards d’euros de PIB partis en fumée sous l’effet de l’incertitude politique

Ce climat d’incertitude n’est pas né avec les derniers jours du gouvernement de François Bayrou. La succession d’évènements politiques inédits qui ont suivi la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024. Dans ses travaux, l’économiste Raul Sampognaro de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), a estimé les pertes économiques dues à la décision présidentielle du 9 juin 2024. La période d’incertitude politique a amputé, selon ce modèle, de 0,1 point la croissance française en 2024 et de 0,3 point en 2025.

« La croissance serait pénalisée en particulier par l’affaiblissement de l’investissement des sociétés non financières. En outre, un choc ponctuel sur l’incertitude politique génère une hausse du taux d’intérêt national qui explique la persistance des pertes de PIB », décrit l’économiste. 0,1 point de PIB correspond à environ 3 milliards d’euros, le cumul sur ces 18 derniers mois pourrait donc atteindre 12 milliards d’euros.

De son côté, Rexecode estime la perte de PIB due à l’incertitude politique en 2025 à 0,2 point, une prévision à horizon 18 mois. C’est l’écart entre le niveau qu’aurait dû atteindre normalement le PIB du pays fin 2026 avec celui qui a été révisé par l’institut.

« Il va falloir être très vigilant sur l’intérim »

L’optimisme cette semaine est venu de la Banque de France qui, dans sa dernière enquête mensuelle, a relevé sa prévision de croissance pour 2025 à 0,7 %, contre 0,6 % auparavant. Ce niveau reste toutefois bien deçà des 0,9 % annoncés en janvier, ou encore de la croissance de 1,1 % sur laquelle tablaient ses prévisionnistes fin 2024. Interrogé lundi par Le Parisien, sur l’impact de mesures d’économies, le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau a davantage ciblé le brouillard politique, qui pénalise davantage à ses yeux, l’économie. « Notre prévision considère qu’aujourd’hui l’impact restrictif du redressement budgétaire sur la croissance sera largement compensé par la diminution de l’incertitude », a-t-il déclaré dans les colonnes du quotidien.

La Banque de France a fait par ailleurs état d’une victoire contre l’inflation (attendue à 1 % cette année), et plus important, d’une stabilité du taux de chômage. « Ce qui est assez remarquable, c’est la résistance de l’emploi. Mais il va falloir être très vigilant sur l’intérim. On a quelques remontées qui ne sont pas très positives. C’est un indicateur avancé de ce qu’il se passe sur l’emploi, mais il est encore trop tôt pour en avoir une lecture suffisamment fiable. C’est un point de vigilance », commente Denis Ferrand. La publication du prochain indicateur du climat des affaires par l’Insee, dans quelques jours, permettra d’apporter quelques réponses sur le sentiment des acteurs économiques depuis la chute du gouvernement de François Bayrou.

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