Voiture électrique : le Président de Renault, Jean-Dominique Senard, alerte sur le « défi majeur » de la production de batteries

Le président du conseil d’administration du groupe Renault, Jean-Dominique Senard, a assuré devant les sénateurs « qu’en 2030, la totalité de la production de Renault sera électrique ». Mais il alerte sur les défis, notamment « un énorme sujet autour de la question des ressources pour alimenter les usines de batteries » et la production d’électricité. C’est pourquoi la marque entend « maintenir » son savoir-faire sur les moteurs thermiques, qui garderont une place « significative » à l’avenir, affirme le patron de Renault, au risque d’envoyer un message ambigu. Si la Chine ferme l’accès aux métaux indispensables aux batteries, il souligne que le thermique sera « une alternative »…
François Vignal

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Il y avait des fans dans la salle. C’est par des applaudissements, fait extrêmement rare, que l’audition marathon de Jean-Dominique Senard, président du conseil d’administration du groupe Renault, par la commission des affaires économiques du Sénat, s’est terminée. « Merci du fond du cœur, Monsieur le Président, car je ne sais pas si vous avez atteint le record de durée d’audition, mais vous nous avez consacré plus de 3 heures », a salué la présidente LR de la commission, Dominique Estrosi Sassone, tout sourire. Un autre sénateur, qui s’apprête à louer un véhicule de la marque au losange le lendemain, veut son souvenir : « Je vais faire une photo avec le PDG moi, car demain je leur montre… »

« L’électrique, c’est 16 % des ventes pour Renault »

« C’est précieux d’avoir ces moments avec vous, c’est une joie, franchement », a lui aussi brossé dans le sens du poil le président de Renault. Celui qui dirige l’entreprise, aux côtés du directeur général du groupe, Luca de Meo, a pris le temps d’expliquer à ceux qui votent la loi combien « notre industrie vit un moment invraisemblable. On a besoin d’être aidés, soutenus », a-t-il lancé, assurant que « l’engagement (de Renault) sur la France est très fort ». Comprendre, l’emploi.

Ce « moment invraisemblable », dont parle Jean-Dominique Senard, c’est la voiture électrique. « Une profonde mutation, la plus importante sûrement depuis le début de l’automobile », a souligné en introduction Dominique Estrosi Sassone. Pour le constructeur, la part de l’électrique s’accroît. « Aujourd’hui, l’électrique, c’est 16 % des ventes pour Renault. C’est donc en hausse car nous étions en dessous de 10 % il n’y a pas si longtemps que ça », souligne le Président du groupe Renault. Si on compte « l’hybride, on est autour de 40 % de nos ventes ». Pour passer la seconde, la marque va lancer près d’une dizaine de modèles électriques rien que cette année, dont le nouveau « Scenic, qui a gagné le titre de voiture de l’année », se réjouit-il, histoire de mettre les sénateurs au courant.

« Vous vous êtes à plusieurs reprises montré sceptique sur la course au tout électrique », souligne la sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone

Reste que les questions sont nombreuses pour le constructeur, qui est sorti de ses difficultés des années passées. Et face à ce défi, le niveau d’engagement de Renault est questionné. « Alors que l’Union européenne a décidé d’accélérer ces mutations en interdisant dès 2035 la vente de véhicules thermiques neufs, Renault a envoyé ces derniers mois des signaux ambigus. Luca de Meo, le directeur général de Renault, a réclamé une réglementation européenne technologiquement neutre pour atteindre un objectif zéro émission, tout en plaidant au dernier Salon de Genève pour un Airbus de la petite voiture électrique », a souligné la présidente de la commission. Et « pas plus tard qu’en début de semaine, il demandait la révision du calendrier européen sur les normes d’émissions. Vous-même, vous vous êtes à plusieurs reprises montré sceptique sur la course au tout électrique. Alors croyez-vous à la voiture électrique ? » demande la sénatrice LR des Alpes-Maritimes.

Le sénateur des Ecologistes, Yannick Jadot, est venu bousculer un peu plus le patron de Renault. Soulignant le contexte, entre « la dérogation sur l’accord de la fin du thermique en 2035, qui a été portée par un parti en Allemagne, au nom des intérêts de Porsche, avec les carburants de synthèse », et « Stellantis, qui fera 100 % électrique pour le marché européen dès 2030, donc en avance sur la réglementation », l’ancien candidat à la présidentielle demande : « Est-ce que vous n’avez pas l’impression de ne pas prendre le bon train de la compétitivité, en matière automobile, en étant dans le camp un peu conservateur de la transition automobile ? »

« Tout le groupe Renault ne sera pas électrique »

Piqué au vif, Jean-Dominique Senard s’est inscrit en faux contre cette présentation. « Je ne suis pas tout à fait à l’aise avec vous, quand vous dites qu’on est sur le côté conservateur de la transition énergétique. Je ne crois pas qu’il y ait une seule entreprise en France, en tout cas dans l’automobile, qui investisse autant d’argent que nous sur cette question électrique ». Le Président du conseil d’administration de Renault l’assure :

 Nous aussi, on a dit clairement qu’en 2030, la totalité de la production de Renault sera électrique. 

Jean-Dominique Senard, président du conseil d'administration du groupe Renault.

« Alpine », la marque de sport que le constructeur entend positionner sur le premium, « le sera » aussi, au grand damne des amateurs de moteurs sportifs thermiques, dont fait visiblement partie l’un des sénateurs présents. Si « la marque Renault sera électrique », en revanche, « la Dacia ne sera pas forcément 100 % électrique à ce moment-là. Il y a une forme de transition qui se fera. Tout le groupe Renault ne sera pas électrique », explique l’ancien patron de Michelin.

« L’industrie automobile se retrouve face à des défis majeurs qui n’avaient pas été anticipés »

S’il assure que Renault met bien le paquet sur l’électrique, il y a un « mais ». Ou plutôt un « oui, si ». Le Président du conseil d’administration pointe deux problématiques de taille. « L’industrie automobile se retrouve face à des défis majeurs qui n’avaient pas été anticipés », alerte Jean-Dominique Senard (voir la première vidéo). S’il compte respecter la nouvelle réglementation européenne – il n’a pas le choix – il ne la critique pas moins, ou plus exactement son élaboration. « La décision a été prise avec un niveau d’analyse d’impact proche de… pas grand-chose. J’espère ne choquer personne en disant que l’analyse d’impact n’a pas été faite. J’en veux pour preuve, qu’une fois la décision prise, tout le monde a découvert, ou fait mine de découvrir, que nous avions un énorme sujet autour de la question des ressources nécessaires pour alimenter les usines de batteries que nous sommes en train de mettre en place en France, […] que l’Europe était dépourvue d’accès significatif aux mines (de métaux rares) nécessaires à la fabrication de batteries », alerte Jean-Dominique Senard.

Il souligne que « depuis 25 ans, la Chine […] a mis la main sur une quantité significative de mines ». Le dirigeant ajoute : « La Chine domine entre 60 et 70 % de l’accès aux mines de métaux nécessaires pour la production d’énergie électrique ». Pour relever ce défi, Jean-Dominique Senard évoque « la question de la diplomatie des métaux », parlant d’une « association public-privé ».

Toujours sur l’élaboration de cette norme d’interdiction des moteurs thermiques, il souligne la nécessité de prendre en compte tout le processus industriel, « de l’assemblage à la fin de vie », pour calculer l’impact écologique. « Si nous avions fait des analyses avant de prendre les dispositions pour 2035, nous aurions peut-être réagi un peu différemment », regrette le responsable de Renault.

Défi de « la demande d’électricité qui est considérable »

Le « deuxième grand défi », c’est « la demande d’électricité qui est considérable », avec en parallèle la décarbonation de l’industrie, ce qui pose des questions « en termes de capacité d’électricité disponible et de son prix ». « Pour y arriver, il faut prolonger nos centrales nucléaires de l’ordre de 20 ans, probablement 14 EPR, multiplier par 5 l’éolien et par 20 l’énergie solaire, en espérant que l’hydraulique restera stable. […] C’est un défi considérable », alerte-t-il encore. Il espère au passage que le coût du nucléaire « sera à la hauteur de la compétitivité nécessaire ».

Donc si Renault se dit « totalement en phase avec le fait qu’en Europe, nous aurons une activité automobile électrique, […] mais ce sera une réussite si les deux grands défis que j’ai évoqués sont résolus ». Autrement dit, Renault se lance à fond dans l’électrique… mais avec de sérieuses épées de Damoclès qui pourraient tout mettre à mal. Il ajoute encore :

 On sera prêts, et prêts en avance, pour autant que ces défis dont je vous ai parlés seront résolus. Et nous ne pourrons pas le faire seul. 

Jean-Dominique Senard, président du conseil d'administration du groupe Renault.

« Si les aides publiques disparaissent, nous serions dans les pires difficultés pour vendre les véhicules électriques »

Pour continuer à donner un coup de pouce, il se fait le défenseur – on ne sera pas surpris – des aides gouvernementales à l’achat d’un véhicule électrique. « Un de leur petit défaut aujourd’hui, c’est qu’ils coûtent cher, […] à cause des métaux, des batteries et la recherche pour les logiciels qui équipent nos véhicules », explique-t-il.

« Tant que nous n’aurons pas baissé nos coûts de manière substantielle, […] il faut que cette aide publique continue. Si elle disparaît, nous serions dans les pires difficultés, non pas pour produire ces véhicules, mais pour les vendre. Et si nous ne pouvons pas les vendre, nous n’allons pas les produire », prévient le président du CA du groupe. Il souligne qu’en l’Allemagne, qui vient de couper ses aides à l’électrique pour faire des économies, « les ventes sont en chute nette »…

« Nous avons décidé de conserver toute l’immense connaissance technologique que le groupe a dans le moteur thermique »

Quand on écoute Jean-Dominique Senard énumérer tout ce qu’il voit comme des freins, ou des défis, pour le développement de l’électrique, on comprend mieux pourquoi le groupe n’entend pas lâcher le moteur à explosion.

« Nous avons décidé de conserver toute l’immense connaissance technologique que le groupe a dans le moteur thermique, et notamment l’hybride, considérant que nous avons investi pendant des années sur des instruments d’immense qualité. […] Nous avons décidé de maintenir cette activité, considérant que l’avenir allait, pendant quelques dizaines d’années, faire une place significative au moteur thermique », notamment « dans des zones géographiques considérables dans lesquelles le moteur thermique va vivre ». Sur ce plan, il compte sur la nouvelle entité « Horse », « une association gagnant-gagnant » dans le thermique avec le « concurrent chinois Geely ».

« J’en ai un peu assez d’être considéré, dans l’industrie automobile, comme étant les vilains canards »

Jean-Dominique Senard se fait au passage le défenseur de la dimension verte du moteur thermique. « J’en ai un peu assez d’être considéré, dans l’industrie automobile, comme étant les vilains canards qui n’ont jamais fait de leur existence de progrès technologique et la décarbonation », lance-t-il, « nous travaillons à la décarbonation de notre industrie depuis des années ».

Le dirigeant de Renault évoque la piste « des carburants alternatifs », sur laquelle planche Horse, qui va travailler avec « Aramco, un grand pétrolier mondial ». « Il existera des e-fuel, des carburants alternatifs, fondés sur l’hydrogène vert et la capture de carbone, qui permettent la création de carburants qui neutraliseront les émissions de carbone du véhicule », soutient le président du CA du groupe Renault.

La crainte que « toutes les productions de batteries que nous mettons en œuvre soient empêchées » par des tensions « géopolitiques »

A l’appui de sa démonstration en faveur du maintien d’une activité sur le moteur thermique, Jean-Dominique Senard évoque l’instabilité au niveau mondial. « Si nous devions un jour rencontrer par hasard un sujet géopolitique, qui fasse que toutes les productions de batteries, que nous mettons en œuvre […] étaient empêchées, je vous demande ce que nous ferions si nous n’avions pas cette alternative, qui serait au minimum une assurance que la mobilité européenne pourrait poursuivre sa vie ? » lâche le patron de Renault (voir la vidéo ci-dessous), avant d’illustrer ses craintes : « Quand j’entends, il y a deux mois, la Chine qui exprime qu’elle va peut-être restreindre l’accès au graphite… Je rappelle que la Chine raffine 93 % du graphite mondial et sans graphite, il n’y a pas d’anode (un élément de la batterie, ndlr). Si elle décide de restreindre l’accès, c’est un petit sujet qu’il faut avoir en tête… » Et de conclure :

 Soyons raisonnables. Si nous étions empêchés, à un moment ou un autre, la position de Renault est la plus raisonnable du monde pour assurer non seulement l’avenir de Renault, de ses salariés, mais aussi l’avenir de notre mobilité. 

Jean-Dominique Senard, président du conseil d'administration du groupe Renault.

Talon-pointe

Après ses trois heures d’audition, Jean-Dominique Senard donne un peu l’impression, même s’il s’en défend, de jouer de la technique du talon-pointe, bien connue des amateurs de rallye, sur l’électrique. Autrement dit, d’accélérer et de freiner en même temps. Plus exactement, si Renault fonce aujourd’hui sur l’électrique, stratégiquement, il n’entend pas tout lâcher sur le thermique, l’entreprise soulignant les limites et difficultés du développement de l’électrique…

Reste que Jean-Dominique Senard n’en est pas moins fier des nouveaux modèles électriques de la marque au losange. En VRP de luxe, il invite même au passage les sénateurs à venir les tester. Invitation acceptée par la présidente de la commission. « On a bien pris note de l’invitation à venir essayer des véhicules Renault. Donc on va essayer de monter ce déplacement de la commission des affaires économiques, bien volontiers », le remercie Dominique Estrosi Sassone. On ne sait en revanche pas encore qui prendra le volant et qui montera à l’arrière.

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