Agressions d’enseignants : « Nous sommes aux antipodes d’une politique du pas de vagues », se défend Pap Ndiaye

Sans faire d’annonces majeures, Pap Ndiaye a détaillé les différentes mesures et actions mises en œuvre par le ministère de l’éducation nationale pour lutter contre les agressions dont les enseignants peuvent faire l’objet dans l’exercice de leur fonction. Malgré un discours consensuel, les propos du ministre n’ont pas suffi à dissiper les inquiétudes des sénateurs.
Henri Clavier

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« Signaler, traiter et sanctionner », en utilisant cette formule devant les commissions des lois et de l’éducation, Pap Ndiaye cherche à démontrer le volontarisme de son action. En procédant à un vaste panorama des actions du ministre de l’éducation nationale pour évaluer et traiter les agressions contre les enseignants, Pap Ndiaye a souligné la difficulté à prendre en compte les nouvelles menaces. Par ailleurs, l’enjeu était également d’apporter la démonstration d’une action sérieuse, à même d’anticiper et de prévenir des événements comme l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020. Une lettre de Mickaëlle Paty, sœur de l’enseignant assassiné, adressée à la présidence du Sénat le 23 mai avait notamment convaincu le bureau de la haute assemblée de doter les commissions des lois et de l’éducation des pouvoirs d’une commission d’enquête sur les agressions des enseignants.

« Un professeur n’a pas à baisser la tête ou courber l’échine »

« Un professeur n’a pas à baisser la tête ou courber l’échine » affirme le ministre de l’éducation nationale après avoir détaillé le dispositif permettant de signaler et de faire remonter les différentes agressions subies par les enseignants dans l’exercice de leurs fonctions. Depuis 2015, plusieurs dispositifs ont été mis en place dont « l’application “faits établissement”, généralisée en 2017, deux ans après sa création », précise Pap Ndiaye. Une application qui présente l’avantage de pouvoir « signaler directement à l’administration centrale sans passer par la hiérarchie » et ainsi éviter une forme de censure de la part des supérieurs.

Pas assez pour convaincre son audience. « J’ai le sentiment qu’il y a un problème de ligne au sein du ministère. J’ai l’impression qu’il s’agit de ne pas faire de vague, ne pas blesser », interpelle Jacques Grosperrin (LR, Doubs) critiquant une culture tacite de l’autocensure de la part des professeurs. « Nous avons des services déconcentrés [actifs sur le sujet] et sommes aux antipodes d’une politique du pas de vague », conteste Pap Ndiaye. Ce dernier rappelle un rapprochement important, entamé depuis 2015, avec les ministères de la justice et de l’intérieur, en particulier avec les services déconcentrés de ce dernier (les préfectures), . « Je me félicite de la fluidité des liens à l’échelle nationale et départementale avec les services du ministère de l’intérieur », affirme le ministre de l’éducation nationale. Par ailleurs, Pap Ndiaye a récusé cette approche du « pas de vague » en détaillant le fonctionnement des enquêtes Civis et de victimation permettant au ministère de disposer d’une base de données sur les agressions subies par les enseignants.

« La règle reste l’application stricte de la loi de 2004 »

Récemment confronté à la polémique sur le port des kamis et des abayas et de l’atteinte que le port de ces tenues représenterait à la laïcité, Pap Ndiaye s’est voulu ferme rappelant que « la règle reste l’application stricte de la loi de 2004 ». « C’est un fait qu’il existe des entreprises locales d’entrisme religieux dans nos écoles », poursuit le ministre afin de réfuter toute accusation de laxisme. Ce dernier avait notamment expliqué que l’abaya est « un vêtement religieux par destination et qu’il incombe aux chefs d’établissements d’exclure les élèves portant cette tenue. Un sujet majeur pour la droite sénatoriale qui avait demandé au gouvernement de clarifier sa position sur le port de l’abaya.

En procédant ainsi, « vous [Pap Ndiaye] avez déplacé la pression sur les chefs d’établissements », estime François Bonhomme (LR, Tarn-et-Garonne), glissant, au passage un mot sur « les quelques vertus » de la tenue unique. Encore une fois, le ministre de l’Education nationale énumère les différentes actions entreprises et explique que « depuis la rentrée 2022, j’ai décidé de publier mensuellement les données relatives aux atteintes au principe de laïcité ». Même si les statistiques mettent en lumière l’augmentation du port de tenues religieuses, Pap Ndiaye explique la nécessité de dresser une « cartographie nationale » du phénomène avant d’ajouter qu’un « petit nombre d’établissements concentrent un nombre de cas importants ».

« Un projet de décret rendra obligatoire la mise en place d’une procédure disciplinaire en cas d’atteinte aux valeurs de la République »

En plus d’une approche statistique, le ministre a défendu la politique de formation des enseignants entrepris par ses services et la systématisation des signalements en cas d’atteintes aux valeurs de la République. Le plan de formation aux valeurs de la République lancé en novembre 2022 a bénéficié, selon Pap Ndiaye, à 10 000 des 14 000 personnels de direction et doit s’appliquer aux inspecteurs d’académie et aux CPE à partir de la rentrée 2023. Le ministre évoque également la présence du Directeur académique des services de l’éducation nationale dans chaque département qui « siège dans plusieurs commissions chargées de la prévention de la radicalisation ». Enfin, un « projet de décret examiné par le Conseil d’Etat rendra obligatoire la mise en place d’une procédure disciplinaire en cas d’atteinte aux valeurs de la République ».

Les parents de plus en plus responsables d’agressions

Au-delà de l’action menée par le ministère, Pap Ndiaye a présenté plusieurs évolutions dans les menaces et agressions subies par les enseignants, notamment en provenance des parents. Les familles sont d’ailleurs les principales responsables des agressions ayant lieu au niveau primaire. Par ailleurs, le ministre a voulu souligner une menace protéiforme pour les enseignants pouvant provenir de troubles mentaux comme « le 22 juin dernier où une mère a menacé de mort une enseignante pour un pull oublié ». « Nous voyons aussi émerger des menaces de l’extrême-droite avec l’association parents vigilants qui n’hésite pas à dénoncer des programmes « LGBT » et « immigrationnistes » dont certains professeurs seraient les responsables », contribuant largement à la mise en danger de ces enseignants.

77 % des demandes de protection fonctionnelle ont été satisfaites

Une autre question liée à l’assassinat de Samuel Paty touche à la protection accordée aux enseignants en cas de menaces et d’agressions. La protection fonctionnelle permet aux agents publics d’obtenir, de la part de leur administration, la prise de « toute mesure exigée par les circonstances » pour faire cesser les agressions. Interrogé par Sylvie Robert (SOC, Ille-et-Vilaine) sur le taux de demande protection fonctionnelle accepté, le ministre s’est voulu rassurant : « 77 % des demandes ont été satisfaites. Les situations de refus sont liées à plusieurs faits, notamment le fait que la protection fonctionnelle est accordée à un agent dans l’exercice de ses fonctions. La protection fonctionnelle peut être accordée par l’administration de l’éducation nationale de manière directe sans même que l’agent ait besoin de formuler une demande ». Une volonté de rassurer et de convaincre du travail fourni résumé par cette formule : « il ne saurait y avoir d’omerta dans l’Education nationale ».

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