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Assassinat de Samuel Paty : la loi protège-t-elle mieux les professeurs ?

Quatre ans après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie par un terroriste, le procès de huit individus impliqués s’ouvre ce 4 novembre. Depuis, plusieurs initiatives législatives ont renforcé la protection des enseignants, de nouveau endeuillés il y a un an par l’assassinat de Dominique Bernard.
Rose Amélie Becel

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Du 4 novembre au 19 décembre, la Cour d’assises spéciale de Paris jugera huit personnalités pour leur implication présumée dans l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, près de son collège de Conflans-Sainte-Honorine. Trois ans après le drame, c’est Dominique Bernard qui était tué dans son collège d’Arras, bouleversant une nouvelle fois le monde enseignant.

Depuis, quelles mesures ont été prises pour protéger la profession, frappée à plusieurs reprises par le terrorisme ? La première réponse législative envisagée par l’État a été le projet de loi confortant le respect des principes de la République, promulgué en août 2021. Le texte proclame notamment une journée de la laïcité le 9 décembre, ainsi que des référents laïcité dans toutes les administrations de l’État.

Deux nouveaux délits introduits dans la loi en 2021

Dans ce même projet de loi, le gouvernement a également introduit un article relatif à la haine en ligne, directement inspiré des circonstances qui ont entouré la mort du professeur d’histoire-géographie, accablé pendant plusieurs semaines par une campagne de fausses informations diffusées en ligne. « C’est toujours difficile de réécrire l’histoire, mais nous nous sommes dit qu’est-ce qui aurait permis d’éviter ça ? Si je vous dis : rien. C’est désespérant mais c’est la réalité », avait confié le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, lors de l’examen du texte au Sénat.

La loi a donc introduit un nouveau délit de « mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle ». Même si cette mise en danger n’est pas suivie de faits, son auteur peut être condamné à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, une peine portée à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende si la victime est un agent public, un élu ou un journaliste. Le 2 octobre dernier, un homme a d’ailleurs été condamné à un an de prison avec sursis pour avoir menacé de mort le proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel sur les réseaux sociaux.

Le projet de loi de 2021 a également créé un « délit d’entrave à la fonction d’enseignant », qui punit d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende le fait d’entraver par des menaces la mission d’un professeur. Ajoutée dans le texte par amendement à l’Assemblée nationale, la mesure est notamment inspirée de la proposition de loi du sénateur Olivier Paccaud, qui avait déposé un texte à part entière au Sénat pour créer ce délit, quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty.

Un texte constitutionnel resté lettre morte au Sénat

Le Sénat s’est aussi saisi lui-même du sujet, avec un texte visant à « garantir la prééminence des lois de la République ». Déposée par le président du groupe centriste Hervé Marseille et l’ancien président du groupe LR Bruno Retailleau en février 2020, avant la mort du professeur d’histoire-géographie, la proposition de loi constitutionnelle avait été adoptée en deuxième lecture quelques jours après le drame.

Dans son premier article, le texte proposait d’inscrire dans la Constitution que « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ». Une disposition visant notamment à « clarifier » l’obligation du respect de la laïcité, défendait Bruno Retailleau lors des débats, car « la loi de 1905 ne peut pas tout ». Rejeté à l’Assemblée nationale en première lecture, le texte n’avait pas été réexaminé par les députés après sa seconde adoption au Sénat.

Un parcours judiciaire « décourageant » pour les professeurs menacés

Outre les initiatives législatives, le Sénat s’est également attelé à l’évaluation de l’efficacité des mesures prises pour protéger les enseignants, à l’occasion d’une commission d’enquête sur les menaces et agressions contre les enseignants. Dans son rapport, rendu au mois de mars dernier, la commission d’enquête mettait ainsi en lumière des insuffisances, notamment le parcours judiciaire « malaisé et décourageant » des professeurs victimes de menaces.

Démarches complexes, inertie, manque d’informations sur les suites données aux plaintes… Le constat des sénateurs dans leur rapport est sévère : « Quand ils ne contribuent tout simplement pas à dissuader les agents victimes de porter plainte, ces facteurs de lenteur, d’incertitude et de complexité ne peuvent que renforcer le sentiment de solitude de ces derniers et leur faire l’effet d’une double peine. »

Bientôt une proposition de loi sur la protection fonctionnelle ?

Parmi les recommandations de la commission d’enquête, une pourrait prochainement voir le jour : rendre la protection fonctionnelle automatique pour tous les enseignants qui en font la demande. Comme tous les fonctionnaires, les professeurs peuvent bénéficier de cette protection qui impose à l’administration de prendre des mesures adéquates pour faire cesser les menaces, réparer le préjudice subi par l’agent et apporter une assistance juridique. Mais celle-ci n’est accordée qu’après une enquête de l’administration pour s’assurer de la nécessité d’une protection.

Le 14 octobre dernier, alors que les collégiens et lycéens rendaient hommage à Samuel Paty et Dominique Bernard par une minute de silence, le sénateur communiste Pierre Ouzoulias déposait ainsi une proposition de loi pour rendre la protection fonctionnelle automatique. « Cette inversion de la charge de la preuve, c’est quelque chose de fort. Car il faut rappeler que dans le drame de Samuel Paty, il a été seul, accusé par une partie de sa hiérarchie, alors même qu’il avait demandé la protection fonctionnelle », rappelait le sénateur auprès de Public Sénat, au moment du dépôt de son texte. Pour le moment, celui-ci n’a pas été inscrit à l’ordre du jour des débats. En attendant, les demandes de protection fonctionnelle ont augmenté de 29 % entre 2022 et 2023, signe que les enseignants continuent de se sentir menacés, malgré les mesures déployées pour les protéger.

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