Depuis 2006, les effectifs d’enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire ont triplé. Dans un rapport, la Cour des comptes salue une réussite « indéniable » des politiques d’inclusion sur le plan quantitatif, mais se dit « réservée » sur leur capacité à assurer « la réussite scolaire et l’insertion sociale et professionnelle » des élèves en situation de handicap.
Autonomie des établissements scolaires : un rapport du Sénat épingle le carcan administratif
Par Romain David
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Des mots à la pratique, il y a parfois un fossé, voire un abyme. Le Sénat a adopté ce mercredi 12 juillet les conclusions d’un rapport sur l’autonomie des établissements scolaires qui dénonce l’écart grandissant entre, d’un côté, ce que permet la loi, et de l’autre, une mise en œuvre largement contrainte par les injonctions de l’administration centrale. « Force est de constater que les marges d’autonomie des établissements, prévues par les textes dont les plus anciens ont aujourd’hui cinquante ans, ne cessent d’être rabougries par la pratique, entre interventionnisme du législateur ou du pouvoir réglementaire, et annonce de réformes éducatives sans mise à disposition des moyens correspondants pour un déploiement dans de bonnes conditions », peut-on lire dans ce document consulté par Public Sénat.
Le sujet est d’autant plus prégnant qu’Emmanuel Macron a lancé en 2021 une expérimentation à Marseille, « l’école du futur », dont il a annoncé la généralisation quelques mois plus tard. Des fonds supplémentaires ont été débloqués pour permettre aux établissements de la cité phocéenne de mener à bien des projets pédagogiques innovants, tandis que les directeurs d’établissement se sont vus octroyer la possibilité de participer au recrutement des équipes, jusqu’ici aux mains de la seule autorité académique.
« Le chef de l’Etat a régulièrement un discours très offensif sur l’autonomie des écoles, qu’il présente comme le principal levier de la rénovation scolaire », observe auprès de Public Sénat le sénateur LR Max Brisson, l’un des auteurs du rapport présenté ce vendredi. « Pour autant, l’action menée depuis six ans ne correspond pas à ces déclarations. Sur le terrain, il y a un véritable décalage avec la volonté politique affichée, et un système vertical et infantilisant aux mains des recteurs ».
« Le cadre législatif en vigueur va déjà très loin »
Dès 1973, le législateur a commencé à accorder une première marge d’autonomie aux établissements, d’abord à travers un petit volume d’heures dont l’utilisation était laissée à la guise de ces derniers. Les décennies suivantes, les réformes accordant plus de souplesse et de liberté aux équipes pédagogique se sont succédé, issues aussi bien des majorités de gauche que de droite. Citons la loi Chevènement de 1985 qui a acté la création des établissements publics locaux d’enseignement, ou celle de Lionel Jospin en 1989 qui autorise les écoles, les collèges et les lycées à adapter la mise en œuvre des objectifs nationaux à travers des projets spécifiques.
« En se replongeant dans les textes, on a constaté que le cadre législatif en vigueur va déjà très loin, en accordant une véritable souplesse, notamment dans l’organisation des classes et de l’emploi du temps », commente Max Brisson.
La marge de manœuvre des établissements progressivement transformée en variable d’ajustement
Mais l’application de ces textes reste largement tributaire des financements accordés et des circulaires édictés, qui viennent directement concurrencer le déploiement d’une véritable stratégie d’établissement. Le rapport s’attarde ainsi sur le système de la dotation horaire globale (DHG). Chaque établissement du second degré se voit accorder une enveloppe d’heures, calculée en partie selon le nombre d’élèves, avec des planchers horaires en fonction des niveaux d’enseignement. Or, les dernières réformes éducatives s’inscrivent bien souvent dans un volume d’heures préexistant, obligeant les établissements à rogner sur leurs marges de manœuvre pour pouvoir appliquer les politiques nationales. Parfois avec un creusement des inégalités d’un établissement à l’autre.
« La réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer, qui a supprimé les séries L, S et ES pour mettre en place des options, est emblématique de ce phénomène », pointe Max Brisson. « Beaucoup de petits établissements ont craint de voir leurs élèves partir vers des lycées proposant un plus large choix d’options. Ils ont donc rogné sur leur marge de manœuvre, c’est-à-dire des heures qui auraient pu être consacrées à un projet pédagogique, à du soutien scolaire ou encore à l’orientation professionnelle, pour élargir leur palette d’options ».
Le rapport appelle à « ne plus financer les réformes éducatives, à l’exemple de la réforme du lycée, en puisant sur les marges d’autonomie des établissements ». Les élus demandent également à ce que le conseil d’administration des établissements passe en revue chaque année l’utilisation des marges de manœuvre.
« Le fonds d’innovation pédagogique a été déployé dans la confusion »
En août dernier, Emmanuel Macron avait annoncé la création d’un fonds pédagogique d’innovation, doté de 500 millions d’euros, présenté comme une opportunité pour desserrer l’étau de la centralisation. Mais selon les chiffres présentés dans le rapport du Sénat, près d’un plus tard, seuls 14 % des élèves de la maternelle au lycée sont concernés par un projet pédagogique financé par ce fonds.
« Le fonds d’innovation pédagogique a été déployé dans la confusion. Les informations transmises aux équipes pédagogiques sur les projets éligibles divergent selon les inspecteurs de l’Education nationale, créant ainsi des inégalités d’accès en fonction des territoires », notent les élus. S’ils appellent à la pérennisation de cette enveloppe, il réclame également une « évaluation nationale de la démarche » et une clarification des critères d’éligibilité.
Un sujet clivant
Notons que ce rapport se penche uniquement sur la législation en vigueur, se cantonnant à un état des lieux de son application, et prend soin de ne pas se prononcer directement sur l’intérêt, ou non, d’une plus grande autonomie des établissements. De fait, les trois rapporteurs – le LR Max Brisson, la centriste Annick Billon et la socialiste Marie-Pierre Monier -, reconnaissent eux-mêmes des « divergences d’analyses » sur ce point. Si la majorité sénatoriale de droite et du centre réclame plus de liberté, elle a d’ailleurs voté en avril dernier la proposition de loi de Max Brisson en faveur d’une expérimentation pour davantage d’autonomie, la gauche, en revanche, y est largement opposée.