Après les fortes chaleurs du week-end, le mercure grimpe encore de quelques degrés sur l’ensemble de l’Hexagone en ce début de semaine, avec des pics jusqu’à 40 °C attendus mardi, et 16 départements qui devraient passer en vigilance rouge, selon Météo France. Dès ce lundi, plusieurs collectivités ont fait le choix de fermer leurs établissements scolaires pour protéger les élèves et les personnels. C’est le cas notamment à Melun en Seine-et-Marne, à Tours en Indre-et-Loire, à Vendôme dans le Loir-et-Cher, mais aussi dans plusieurs communes de la Nièvre et du Vaucluse. Le Premier ministre a reporté un déplacement prévu à Chartres sur la réforme de l’administration territoriale pour suivre l’évolution de cette première canicule estivale.
Cette situation pose la question de l’adaptabilité du bâti scolaire face aux températures extrêmes. Déjà en 2019, un épisode de très fortes chaleurs avait contraint Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Education national, à reporter les épreuves du brevet, afin d’éviter aux candidats d’avoir « à composer dans des salles surchauffées durant plusieurs heures ». En 2022, pour les épreuves du baccalauréat de Français, les températures avoisinaient les 39 °C dans le sud du pays.
Ce type de scénario est non seulement amené à se répéter, mais aussi à s’intensifier dans les années à venir avec le réchauffement climatique. Le rapport de novembre 2022 de l’Organisation mondiale météorologique sur l’état du climat en Europe montre que le vieux continent se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale. Le phénomène est particulièrement prégnant dans les villes, accentué par l’effet « îlot de chaleur » du fait de la forte concentration d’activités humaines. À Paris, le nombre de jours où le mercure dépasse les 30 degrés devrait passer de 13,6 en 2010 à 19,7 en 2031, et 34,1 en 2031.
Un patrimoine immobilier vieillissant
Cours de récréation bétonnées, grandes baies vitrées, des systèmes de ventilation vieillissants, des difficultés d’accès à l’eau potable dans certains territoires, notamment les Outre-mer… La très large majorité des 51 000 bâtiments scolaires que compte la France n’est pas conçue pour protéger leurs occupants face à ce type de températures extrêmes. Une situation imputable à l’âge du parc immobilier : 58 % des bâtiments du secondaire (collèges et lycées) ont été construits avant 1979, avec un boom dans les années 1960 lié à l’allongement de la durée de la scolarité et à la mise en place du collège unique.
« Entre 1964 et 1969, 1 150 établissements du second degré ont été construits », indique un rapport du Sénat publié en 2023 sur l’adaptation du bâti scolaire à la transition énergétique. Pour répondre à la demande, les techniques de construction ont été industrialisées, privilégiant le béton et le métal pour la structure, et les cloisons sèches pour l’aménagement intérieur. À l’arrivée : des collèges et des lycées qui sortent de terre rapidement, mais qui n’ont pas la capacité d’isolation de leurs aïeuls de pierres, édifiées au XIXe siècle.
Un décret, dit « de rénovation tertiaire », publié en 2019, détaille les modalités d’application de la loi « ELAN », dont l’objectif est de réduire l’empreinte carbone des bâtiments publics. Désormais, la législation impose aux constructions, nouvelles et anciennes, certaines exigences en termes de consommation d’énergie et de baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi sur la qualité de l’air. Il s’agit de permettre à la France d’atteindre l’objectif européen de neutralité carbone d’ici 2050.
Charge à chaque échelon du millefeuille territorial d’appliquer ce programme. Depuis les lois de décentralisation des années 1980, les écoles, maternelles et élémentaires, relèvent de la compétence des communes, les collèges de celle des départements et les lycées des régions. « Le processus de construction, de rénovation ou de réaménagement du bâti scolaire constitue une démarche complexe, plus particulièrement pour les communes dont les moyens autonomes en ingénierie sont parfois limités », observe le rapport du Sénat. De quoi renforcer le risque de fracture territoriale.
« Personne n’imaginait que le réchauffement climatique allait autant s’accélérer »
Aujourd’hui, il est difficile de donner un chiffre exact sur les besoins globaux du parc scolaire en termes de rénovation. Selon la Banque des Territoires, seules 10 à 15 % des écoles primaires répondent aux impératifs énergétiques. Pour sa part, le gouvernement s’est fixé un objectif de rénovation de 40 000 écoles d’ici 2034.
« Gouverner, c’est prévoir. Si on avait fait les choses correctement, aujourd’hui, nous aurions des bâtiments résilients et des parents qui, plutôt que de s’inquiéter de la température dans les salles de classe, pourraient se dire : ‘Heureusement qu’il y a l’école pour que mes enfants soient protégés de la chaleur », fustige Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste au Sénat, qui a lui-même été rapporteur d’une commission d’enquête parlementaire sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique.
« Malgré les alertes scientifiques, le retard que nous avons pris s’explique du fait que personne n’imaginait que le réchauffement climatique allait autant s’accélérer. Nous pensions avoir suffisamment de temps devant nous », plaide Nadège Havet, sénatrice Renaissance du Finistère, à l’origine du rapport sur le bâti scolaire cité plus haut. « Le principal enjeu, aujourd’hui, c’est de parvenir à aller vite. Le problème, c’est la durée d’instruction des dossiers. Nous sommes sur des marchés publics, c’est plus long que pour du logement individuel. Et une fois que les dossiers sont bouclés, il y a les contraintes d’agenda. Les ouvriers doivent travailler sur des sites qui sont occupés la majeure partie de l’année », détaille-t-elle.
Des budgets difficiles à estimer
« Aujourd’hui, la seule politique punitive, c’est celle de l’inaction. Nous avons en main tous les leviers pour agir », martèle Guillaume Gontard. « Des élus locaux volontaires, des entreprises compétentes… Ce qu’il manque, c’est l’élément financier », regrette-t-il. Dans un contexte de redressement des finances publiques, le Fonds vert, destiné à accompagner la transition énergétique dans les territoires, est passé de 2,5 milliards d’euros en 2024 à 1,15 milliard cette année.
« La baisse du Fonds vert décidée par le gouvernement compromet gravement les efforts engagés par les communes pour adapter leurs infrastructures. Ce signal est non seulement incompréhensible, mais contre-productif », alerte l’Association des Petites Villes de France (APVF) dans un communiqué diffusé ce lundi. Les fermetures de classe « soulignent le manque d’anticipation face à des phénomènes climatiques de plus en plus récurrents. L’État ne peut pas continuer à s’en remettre aux maires sans leur donner les outils, les moyens et l’appui nécessaires », écrit l’APVF.
« Quand on parle rénovation, on s’imagine de gros travaux, mais souvent, de petits aménagements suffisent à gagner quelques degrés », tient à nuancer Nadège Havet. Architecte de formation, Guillaume Gontard évoque la végétalisation des cours de récréation, l’installation d’ombrelles, de persiennes et de volets, les toitures que l’on peut repeindre en blanc ou encore la modernisation des systèmes de ventilation. « Et puis il y a les dispositifs plus importants : l’isolation par l’extérieur ou l’intérieur, le recours à des matériaux avec un bon déphasage thermique, c’est-à-dire une forte capacité à limiter la pénétration de la chaleur. »
Les estimations sur le coût total de la rénovation du bâti scolaire connaissent d’importantes variations. De 40 à 52 milliards d’euros pour les seules écoles publiques sur 10 ans, selon les sources. L’Agence de l’environnement fait état de 100 milliards d’euros pour l’ensemble du parc public des collectivités territoriales. « En matière de rénovation, il n’existe pas de budget type », indique le rapport du Sénat. Il se détermine au cas par cas, en fonction de l’état du bâtiment, des matériaux initialement employés, mais aussi de sa localisation. Pour la construction d’un bâtiment neuf, il faut compter entre 3 000 et 4 600 euros d’investissements par mètre carré. Pour les rénovations, l’écart oscille de 300 à 1 700 euros par mètre carré.