Après les crèches et les Ehpad, c’est une nouvelle enquête journalistique qui a tout l’air de servir de détonateur à une réaction des pouvoirs publics. Cette fois, il est question d’enseignement supérieur et de certaines écoles privées à but lucratif. La semaine dernière, un ouvrage de la journaliste Claire Marchal intitulé Le Cube (Flammarion, 2025) est venu mettre en cause les pratiques de Galileo, un groupe d’envergure internationale dont les établissements accueillent 300 000 étudiants. La moitié est en France, parmi lesquels le Cours Florent, l’EMLyon, la Paris School of Business ou encore Penninghen.
Reposant sur 150 témoignages, l’enquête dénonce une course au rendement, et un système qui ne tient pas ses promesses. Le livre épingle la surcharge des classes, la vétusté de certains immeubles ou encore des baisses de salaires des enseignants et du volume de cours. De précédents reportages ont déjà ciblé le groupe ces dernières années. Galileo a démenti catégoriquement les éléments du livre, dénonçant auprès de l’AFP des témoignages « souvent anonymes et une prétendue dérive que les faits, les contrôles auxquels les écoles du groupe sont soumises et la réalité des chiffres démentent ».
Le ministre convoque le président de Galileo et appelle à des « modifications législatives »
Les révélations ont néanmoins été suffisamment prises au sérieux par le gouvernement, qui parle de « graves allégations ». Le président de Galileo, Marc-François Mignot-Mahon, a ainsi été convoqué par les ministres de l’Education Élisabeth Borne et de l’Enseignement supérieur Philippe Baptiste, pour qu’il s’explique.
Ce dernier a affirmé jeudi dernier vouloir « clarifier l’environnement de l’enseignement supérieur privé en France et travailler avec le Parlement pour apporter les modifications législatives qui s’imposent ». Plusieurs de ses prédécesseurs avaient déjà commencé à se saisir de la question, de même que dans les deux chambres du Parlement, où le sujet a monté en puissance au fil des années.
« Il est évident que cette situation n’a que trop duré », selon le président de la commission de la culture et de l’éducation au Sénat
« La question du développement de l’enseignement supérieur privé se pose à nous depuis un certain temps. On voit bien que l’enseignement supérieur privé lucratif s’est développé avec les possibilités de financement sur l’apprentissage. La qualité des enseignements n’a pas suivi. Il y a d’une certaine manière des diplômes qui ne correspondent pas aux exigences que l’on peut avoir », relève Laurent Lafon, le président (Union centriste) de la commission de la culture et de l’éducation au Sénat. Le sénateur a d’ailleurs eu un entretien avec la journaliste Claire Marchal, avant la sortie en librairie de l’ouvrage.
Avant ce pavé dans la mare, la commission du Sénat était déjà consciente de nécessaires réformes à engager. « Il est évident que cette situation n’a que trop duré. Il faut maintenant encadrer ces établissements et avoir des exigences importantes sur le contenu des formations. Il y a une forme de jungle qui s’est instaurée », considère Laurent Lafon.
En charge des rapports budgétaires chaque année sur la mission de l’enseignement supérieur pour cette commission, Stéphane Piednoir (LR) affirme ne « pas être surpris que ça », après la publication de ce livre-enquête. « Cela confirme des craintes et un diagnostic que nous avions depuis plusieurs années sur un nouveau système dans l’enseignement supérieur privé ». « Je ne suis pas contre une offre privée, y compris si elle est lucrative. En revanche, que la qualité ne soit pas au rendez-vous, et que ce soit au détriment de jeunes et de familles dans l’ignorance, je m’inscris totalement en faux par rapport à ces pratiques », insiste le sénateur du Maine-et-Loire.
Cet ancien enseignant en classes préparatoires ajoute que certains acheteurs « dénaturent des écoles qui avaient une bonne réputation et de bons taux d’insertion ».
Un gouvernement qui a joué « à l’apprenti sorcier », dénonce Pierre Ouzoulias
Pour le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, l’une des racines de ce type de dérive est l’instauration de Parcoursup en 2018, cette plateforme et algorithme d’orientation des lycéens vers les études supérieures, mais également la réforme de l’apprentissage menée la même année. « Je considère que le gouvernement a joué à l’apprenti sorcier. Parcoursup institutionnalise la sélection et le fait qu’on ne peut plus rentrer à l’université comme on le faisait avant. »
« Et une grande partie du modèle de ces établissements repose sur les aides que l’Etat donne au nom de l’apprentissage. L’Etat a organisé budgétairement l’apparition d’un marché privé de l’éducation, sans aucune régulation », dénonce le sénateur des Hauts-de-Seine.
Le ministre comme les sénateurs demandent « un durcissement des règles d’ouverture »
Voici plusieurs mois que les sénateurs échangeaient avec les différents ministres successifs de l’enseignement supérieur, sur la bonne façon de remettre de l’ordre dans un secteur privé qui concentre désormais un quart des étudiants. La dissolution de l’été et la censure de l’hiver ont perturbé la mise en œuvre d’un plan d’action, réclamé par les sénateurs. Deux propositions de loi parlementaires sont également sur la table, dont l’une portée par le député socialiste Emmanuel Grégoire.
« Sylvie Retailleau avait engagé une démarche en vue d’une labellisation des établissements d’enseignement supérieur privés à but lucratif. On a réinterrogé Patrick Hetzel [l’avant-dernier ministre, ndlr], il nous avait dit que la labellisation était un élément important mais que cela ne permettait pas d’assurer une sécurité à 100 % des formations. Il souhaitait mener un travail complémentaire », relate le président Laurent Lafon.
En janvier, l’actuel gouvernement a indiqué vouloir renforcer la lutte contre les fraudes dans l’enseignement supérieur privé, en prévoyant la possibilité d’exclure de la plateforme Parcoursup « les formations aux pratiques commerciales mensongères ou frauduleuses ». Le nouveau ministre Philippe Baptiste veut par ailleurs parvenir, d’ici cet été, à un durcissement des conditions pour pouvoir lancer des formations. Les établissements de grands groupes privés pourraient par ailleurs avoir l’obligation de se « soumettre à un audit extérieur ».
Le sénateur Stéphane Piednoir s’inscrit dans le même mouvement. « Ce que je préconise, c’est un débat d’urgence sur ce sujet, pointé depuis pas mal de temps, et un durcissement des règles d’ouverture, plutôt qu’un nouveau label […] Les trois ministres avec lesquels j’ai échangé, sont alignés sur l’objectif de clarifier les choses, plutôt que de définir un nouveau label, qui ne serait pas lisible pour les familles qui découvrent cet écosystème. » Le parlementaire pose également la piste de la fixation d’un taux d’encadrement minimum, pour ces établissements privés.
Pierre Ouzoulias estime pour sa part que le sujet appelle à une réflexion politique plus large. « Au fond, la question c’est la place du service public. Que peut-il faire, que peut-il ne pas faire ? C’est une discussion d’ordre philosophique, à laquelle doit répondre le gouvernement ».
Un sujet qui dépasse les frontières du ministère de l’Enseignement supérieur
La réponse législative ne devrait pas seulement embarquer le ministère de l’Enseignement supérieur et les commissions de l’éducation, étant donné les questions qui se posent au sujet de l’allocation des aides aux formations. Un plan est en train d’être réalisé avec la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, pour réguler « la qualité de l’apprentissage ».
« Il faut une démarche commune des deux ministres », encourage le sénateur Lafon. « Actuellement, il y a deux ministères qui ne partagent pas les mêmes points sur ces sujets. »