Gabriel ATTAL visit school in Dijon

Education : la rentrée de Gabriel Attal dans l’ombre d’Emmanuel Macron interroge les sénateurs

L’éducation est l’un des thèmes principaux développés par Emmanuel Macron dans son interview au Point. Il souhaite réduire les vacances scolaires, adapter les formations au lycée professionnel et à l’université en fonction des besoins. Le ministre de l’Education nationale devrait aussi proposer d’interdire l’abaya à la rentrée. Des mesures reçues différemment par les sénateurs.
Stephane Duguet

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Emmanuel Macron endosse le costume de « premier prof de France ». Dans son interview accordée à l’hebdomadaire le Point, le chef de l’Etat s’est longuement épanché sur les sujets liés à l’éducation, revendiquant même un « domaine réservé du président ». « Je m’attendais à ce qu’il laisse plus de place au nouveau ministre de l’Education nationale Gabriel Attal, mais c’est pire qu’avec ses prédécesseurs », s’étonne Pierre Ouzoulias, sénateur communiste des Hauts-de-Seine. « Le ministre de l’Education a un rôle important à jouer en cette veille de rentrée. Je trouve qu’il est affaibli par cette déclaration », abonde Annick Billon, sénatrice centriste de la Vendée.


Doutes sur l’avancement de la rentrée

De fait, c’est le président de la République qui s’est gardé la primeur des annonces de rentrée. Celle qui a été la plus discutée : la réduction des vacances scolaires pour les enfants ayant été évalués en difficulté. Ces derniers pourraient retrouver leurs bureaux à l’école dès le 20 août « pour faire du rattrapage ». Au Sénat, les parlementaires estiment qu’il faut une « réflexion plus globale sur le sujet » à l’image du sénateur écologiste du Rhône Thomas Dossus : « Ce n’est pas idiot, mais annoncer cela sans concertation, ça ne peut pas marcher. C’est trop vertical et ça va créer des blocages ». Pierre Ouzoulias, vice-président de la commission de la culture, l’éducation et de la communication au Sénat, considère aussi qu’il faut « réfléchir à l’organisation du temps scolaire en journée ».

Sur l’organisation d’une rentrée avancée pour certains élèves, Annick Billon, également co-rapporteure d’un rapport d’information sur le bilan des mesures éducatives du premier quinquennat, juge que c’est encore trop flou : « Est-ce qu’on a les enseignants ? Parce qu’ils sont très remontés ! ». Son collègue communiste à la commission chargée de l’éducation s’interroge aussi sur le recours aux contractuels si des professeurs titulaires ne répondent pas à l’appel : « Le service public ne peut pas être construit sur du contractuel. Il faut une règle nationale claire. »

Relancer l’attractivité de l’enseignement

La sénatrice centriste appelle Emmanuel Macron à revaloriser le métier d’enseignant au-delà de la rémunération. « Ce n’est plus une profession attractive », remarque Annick Billon, alors que 3 163 postes sur 23 800 n’ont pas été pourvus cette année de la maternelle au lycée. Dans le Point, le président de la République se targue tout de même d’avoir été celui qui « a le plus revalorisé les enseignants depuis 30 ans ». « Ces revalorisations étaient les bienvenues, reconnaît Annick Billon. Mais maintenant, il faut aussi un soutien plus fort de la hiérarchie. »

Pour le président du groupe socialiste Patrick Kanner, les 2 000 euros par mois minimum annoncés par le chef de l’Etat sont insuffisants. « On fait quoi pour ceux qui au bout de dix ans sont à 2000 euros ? Ce sont des mesures partielles, il ne parle pas d’augmentation généralisée pour tous les enseignants », a fustigé le sénateur du Nord auprès de Publicsenat.fr.

Le ministre de l’Education nationale a promis devant les recteurs jeudi 24 août, lors de la traditionnelle intervention de rentrée, qu’il allait lancer « un grand plan d’attractivité et de reconnaissance du métier enseignant pour inciter de plus en plus de nos jeunes à devenir enseignant et à le rester ».

Possibilité d’interdire les abayas

Dans son discours de rentrée, Gabriel Attal a aussi insisté sur les atteintes à la laïcité à l’école. D’après les chiffres publiés par son ministère, elles auraient augmenté de 120 % cette année avec 4 710 signalements recensés au cours de l’année scolaire 2022-2023. Le quotidien le Monde dévoile ainsi que le nouveau ministre de l’Education « annoncera dans les prochains jours l’interdiction de l’abaya », une robe longue avec des manches traditionnelles au Moyen-Orient et dont le sens religieux fait débat. Un peu trop tôt selon nos confrères Politico qui révèlent que rien n’est encore arbitré. En juin, alors qu’il était encore ministre de l’Education, Pap Ndiaye s’était refusé à prendre une nouvelle circulaire sur le sujet après avoir été interpellé par les sénateurs de droite. Selon lui, les outils législatifs en vigueur étaient suffisants.

« L’abaya est un signe religieux, ce n’est pas un bout de tissu anodin », tranche Pierre Ouzoulias. « Même si le Conseil français du culte musulman a dit que ce n’était pas un habit religieux, on voit qu’il est utilisé pour affirmer une religion, confirme Annick Billon. Il est bienvenu que le ministre affirme le principe de laïcité. L’école doit être neutre. On gagnera à préserver tous les élèves du prosélytisme religieux à l’école. » Dans le Point, le patron des sénateurs Les Républicains Bruno Retailleau encourage le ministre dans cette voie : « L’école est dans la ligne de mire de l’islamisme. Pas de fausses pudeurs, pas de demi-mesures. J’attends de Gabriel Attal qu’il systématise les sanctions ainsi que le port d’une tenue commune. » Un projet d’expérimentation est envisagé à ce sujet par le ministre.

L’écologiste Thomas Dossus, lui aussi membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, n’est pas du même avis et juge qu’interdire l’abaya « c’est typiquement les gadgets de la droite. On avait discuté une proposition de loi de Max Brisson (sénateur Les Républicains, ndlr) où il y avait certaines de ces mesures. En faisant ça, Gabriel Attal envoie un signal à la droite qui reprochait à Pap Ndiaye de ne pas se saisir du sujet ». Une position que n’entend pas Pierre Ouzoulias : « L’interdiction des signes religieux à l’école, c’est le Front populaire et deux circulaires de Jean Zay en 1936 et 1937, c’est une mesure de gauche ! Je ne comprends pas que certains à gauche considèrent que c’est une mesure de droite voire d’extrême droite ! »

Report des examens du baccalauréat

Sur l’organisation des formations à l’école, Emmanuel Macron confirme la possibilité de remettre les épreuves du baccalauréat en fin d’année scolaire, alors qu’elles avaient été avancées au printemps par la réforme portée par son ancien ministre Jean-Michel Blanquer. «Au bac, on ne peut pas avoir des épreuves si tôt dans l’année », admet-il. « C’est un aveu d’échec. On a voté des lois sans avoir d’étude d’impact et on finit par revenir dessus », regrette Annick Billon. Celle qui préside aussi la délégation aux droits des femmes du Sénat cite aussi l’exemple de la réforme du lycée qui a eu « pour effet de réduire le nombre de jeunes filles arrivant avec une formation scientifique au bac, ce qui a accentué encore les inégalités et le gouvernement est revenu dessus. » « On est reparti cinq ans en arrière », observe Pierre Ouzoulias. Pour Bruno Retailleau, « c’est le système qu’il faut changer » en instaurant notamment, comme le prévoyait le texte de Max Brisson, « des établissements publics autonomes qui pourraient recruter librement leurs professeurs, choisir les méthodes les plus adaptées », confie-t-il au Point.

L’épineuse question de l’orientation professionnelle

Les sénateurs interrogés par Publicsenat.fr s’inquiètent aussi de l’orientation des élèves. D’après le rapport d’information sur le bilan des mesures éducatives du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, 85 % des professeurs n’ont reçu aucune formation spécifique pour exercer leurs missions d’orientation. « On ne met pas assez de moyens pour l’orientation, souffle Annick Billon. Sur ce sujet, on a besoin d’agilité et de proximité en laissant les décideurs comme les régions, dotées de la compétence économique, de proposer les formations les plus adaptées au territoire. Au lycée professionnel, le président de la République propose de « fermer les formations où il n’y a pas de débouchés. Nous allons aussi recruter des professeurs associés, impliquer les entreprises, indemniser les stages […] ».



 L’école et l’université ne servent pas qu’à former pour un métier, elles servent aussi à former des têtes bien faites 

Pierre Ouzoulias, sénateur communiste des Hauts-de-Seine

« C’est terrifiant et hors sujet par rapport à toutes les révolutions que nous vivons, regrette Pierre Ouzoulias. De nouveaux métiers vont exister à l’horizon 20-30 ans, sauf qu’on ne les connaît pas. Il faut plutôt des formations générales avec un solide socle de connaissances pour permettre aux élèves de s’adapter sinon on va former des gens dans des filières qui vont être obsolètes. » Son collègue écologiste n’en pense pas moins : « On va vers l’adéquationisme où c’est le Medef qui va choisir les formations, c’est dramatique. »

Sur l’université, le président de la République affiche la même ligne : « Ce n’est pas vrai que tout le monde a vocation à aller à l’université. […] On va travailler à l’évolution de l’offre des formations en fonction des besoins en emploi dont la nation a besoin ». Thomas Dossus y voit « la sortie du modèle universitaire français en tant qu’acteur d’émancipation ». « Je rappelle à Emmanuel Macron que l’école et l’université ne servent pas qu’à former pour un métier, elles servent également à former des têtes bien faites », lâche Pierre Ouzoulias.

Le sénateur communiste attend le ministre sur « la mixité sociale », un sujet porté par Pap Ndiaye lorsqu’il était en poste. « Gabriel Attal est muet là-dessus, mais la survie de l’école se joue sur la mixité sociale ! », appuie l’élu des Hauts-de-Seine. Le ministre de l’Éducation est attendu dimanche 27 août sur le plateau du journal de 20h de TF1 où il devra officialiser les annonces pour cette rentrée, dans l’ombre d’Emmanuel Macron.

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