Enseignement supérieur et recherche : le Sénat vote 630 millions d’euros d’économies, la gauche dénonce un « coup de rabot monumental »
La majorité sénatoriale de droite et du centre a adopté 630 millions d’économies sur les crédits de l’enseignement supérieur et de la recherche, via un amendement de dernière minute du gouvernement. La trésorerie du CNRS sera notamment visée à hauteur de 100 millions d’euros. Par un autre amendement, le ministre a cependant fait voter une aide de 100 millions d’euros pour soutenir les universités, en proie à de grandes difficultés sur leurs charges non-compensées.
Ça rabote. Depuis la reprise des débats du budget au Sénat, la semaine dernière, l’examen de chaque mission, ministère par ministère, se ressemble : le gouvernement présente, à la dernière minute et parfois de nuit, un amendement coupant dans les crédits. Une méthode qu’a dénoncée, ce lundi matin, le président du groupe PS, Patrick Kanner, lors d’un rappel au règlement.
Un coup de rabot quasi généralisé, qu’ont parfois rejeté les sénateurs – comme sur l’agriculture, l’éducation nationale, ou le sport – tout en le soutenant sur l’audiovisuel public ou l’aide au développement. Ce lundi, c’est le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche qui a fait les frais des économies voulues par le gouvernement, avec l’accord de la majorité sénatoriale de droite et du centre, qui a voté en faveur d’une nouvelle coupe de 630 millions d’euros, au contraire de la gauche. Des économies qui font suite aux 900 millions d’euros de crédits annulés en février dernier par le gouvernement Attal.
219 millions d’euros d’économies sur la recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durable
Une décision qui n’a valu que quelques explications laconiques de la part du nouveau ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste. « Cet amendement traduit l’effet anticipé du régime des services votés », soutient-il, soit la loi spéciale adoptée faute du vote du budget en fin d’année dernière, qui permet de faire des économies. Tout juste l’ancien président du Centre national d’études spatiales (CNES) a-t-il expliqué que l’économie faisait « porter sur le CNRS une grande partie de cet effort, à hauteur de 100 millions d’euros, grâce à sa trésorerie » (voir la première vidéo). A la lecture de l’amendement, on apprend qu’il procède à des annulations de crédits de 219 millions d’euros sur la recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durable, 129 millions d’euros sur le programme « recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », 106 millions d’euros sur la recherche spatiale, 55 millions d’euros sur le programme « formations supérieures et recherche universitaire » ou encore 8,3 millions d’euros sur la vie étudiante.
Un amendement soutenu par le rapporteur général de la commission des finances, le sénateur LR Jean-François Husson, qui a déposé un amendement visant 100 millions d’euros d’économies sur la trésorerie du CNRS, comme l’année dernière, et par le sénateur LR Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la commission des finances.
« Coupe sombre »
La gauche a dénoncé, en vain, ce « coup de rabot spectaculaire et monumental, que vous venez de nous présenter », a lancé la sénatrice PS de Paris, Colombe Brossel, qui parle de « coupe sombre ». Un amendement « à mettre en parallèle avec le sujet de France 2030, où nous avons eu un coup de rabot de 535 millions d’euros. L’ANR (Agence nationale de la recherche), là-dedans, c’est à peu près 22 % de l’ensemble de ces crédits. Cela veut dire que l’ANR va être rabotée de 119 millions d’euros. […] Ça fait un rabot supplémentaire. Double peine, double bug », dénonce à son tour Claude Raynal, président PS de la commission des finances.
Le communiste Pierre Ouzoulias a pointé l’argumentaire du ministre. « Vous dites que ces 635 millions d’euros sont le résultat de la loi spéciale et des services votés. Pas du tout », soutient le sénateur PCF des Hauts-de-Seine. « Quand on demande 630 millions pour les agences, le budget de la recherche est très fortement sollicité par rapport à la sollicitation demandée au budget de l’Etat », qui est de « 5 milliards » contre « 3 milliards pour les agences », dans les 8 milliards supplémentaires que recherche le gouvernement, explique celui qui est à l’origine chargé de recherche au CNRS.
« L’enseignement supérieur et la recherche sont sacrifiés sur l’autel d’arbitrages financiers à court terme »
« L’université n’est pas la variable d’ajustement », tance à son tour le sénateur PS Yan Chantrel, qui dénonce des coupes qui vont mener « nos universités vers l’abîme ». « L’enseignement supérieur et la recherche sont sacrifiés sur l’autel d’arbitrages financiers à court terme », selon le sénateur PS représentant les Français établis hors de France. Et de prévenir : « Si cet amendement passe, nous mènerons le combat lors de la CMP pour revenir sur cette austérité ». Regardez :
Exception au sein du groupe Les Indépendants (à majorité Horizons), qui soutient l’amendement, la sénatrice Laure Darcos s’est carrément dit pour sa part « horrifiée » par cette coupe budgétaire, qui a été adoptée.
Le ministre Philippe Baptiste veut « faire porter le moins possible ces économies sur les universités »
Dans cette discussion, le gouvernement a soufflé le chaud et le froid. Car quelques minutes plus tôt, Philippe Baptiste a défendu un amendement visant à limiter la casse dans les universités, en proie à de grandes difficultés budgétaires. Les sénateurs ont ainsi adopté 100 millions d’euros de crédits pour compenser, du moins en partie, les charges non compensées des universités, comme sur la hausse du point d’indice.
Le ministre a ainsi défendu « un effort supplémentaire de 100 millions d’euros », pour prendre en compte « la moitié de la hausse du taux du CAS (compte d’affectation spécial) pensions », sur les retraites. S’il assume un « rabot gouvernemental » sur l’enseignement supérieur et la recherche, il entend ici « faire porter le moins possible ces économies sur les universités ».
« Situation budgétaire extrêmement précaire des universités »
Une aide insuffisante face à la « situation budgétaire extrêmement précaire des universités », alerte de nouveau Pierre Ouzoulias. Rien que pour l’université de Nanterre, en 2025, c’est « plus de 7 millions de charges supplémentaires » au total. « On a bien compris que vous aviez bataillé une bonne partie de la nuit pour obtenir ces 100 millions d’euros. […] Mais il s’agit d’une compensation de 50 %. Le reste à charge reste important », ajoute Pierre Ouzoulias.
Le sujet inquiète également à droite. Le sénateur LR Jacques Grosperrin prend lui exemple sur l’université de Franche Comté, qui voit entre 2022 et 2025 « plus de 9 millions d’euros de charges qui n’ont pas été compensées ». Il ajoute :
Les universités ne doivent pas devenir le parent pauvre de ce grand ministère.
Jacques Grosperrin, sénateur LR du Doubs.
« Moins de places pour les jeunes dans certaines filières, des formations supprimées »
Dénonçant « l’abandon progressif par l’Etat » et une « paupérisation » des universités, Yan Chantrel décrit « une pratique budgétaire qui asphyxie l’université ». Yan Chantrel donne un chiffre qui résume la situation : « 30 universités sont en situation en déficit en fin d’année dernière. Elles seront 60 sur 73 à l’être en 2025 ». Il met en garde sur les conséquences : « Moins de places pour les jeunes dans certaines filières, des formations supprimées ». Avec à la clef, selon le socialiste, un « grand gagnant : l’enseignement supérieur privé lucratif ».
« On ne fait que la moitié du chemin, mais c’est déjà ça », a défendu la sénatrice du groupe Les Indépendants, Vanina Paoli-Gagin, rapportant l’avis de la commission des finances. « Bien entendu, un certain nombre d’universités seront en difficulté », mais celles-ci pourront puiser dans leurs « fonds de roulement ». Elle précise que « le ministère estime à 500 millions d’euros le total des surcoûts non-compensés pour les établissements d’enseignement supérieur en 2025 ».
Pour savoir « clairement quels sont ces fonds de réserves », le président de la commission de la culture et de l’éducation, le centriste Laurent Lafon, explique qu’« une mission d’information appréhendera de manière fiable et incontestable la situation financière » des universités. Regardez :
« La marche prévue en 2025 dans la loi de programmation ne sera pas atteinte »
Autre inquiétude des sénateurs : le suivi de la loi de programmation de la recherche (LPR). « La marche prévue en 2025 dans la loi de programmation ne sera pas atteinte », pointe Vanina Paoli-Gagin. « Le contexte budgétaire contraint de ne financer qu’un tiers de la cinquième marche, prévue par la loi de programmation. Après quatre années de respect de la trajectoire, cette inflexion de dynamique suscite des inquiétudes. La commission l’affirme avec force : tout retour en arrière serait irresponsable », a mis en garde la sénatrice LR, Alexandra Borchio Fontimp, pour la commission de la culture et de l’éducation.
Avec un total de crédits de « 31,2 milliards d’euros » sur l’ensemble de la mission, le rapporteur spécial de la commission des finances, Jean-François Rapin, souligne cependant que le budget 2025 respecte « à 98 % » la LPR. « Le mouvement de fond de réinvestissement dans la recherche publique n’est pas remis en cause par ce projet de budget dans la recherche », soutient le sénateur LR du Pas-de-Calais, pour qui « il semble difficile de parler d’austérité budgétaire dans le budget de la recherche ». Une impression qui n’est visiblement pas partagée sur tous les bancs de l’hémicycle.
Auditionnée par les sénateurs, la ministre de l’Education nationale assume les 470 suppressions de postes, dont plus de 100 rien qu’à Paris, justifiées à ses yeux par la baisse de la démographie et les priorités qu’elle entend financer, comme l’école inclusive.
Le programme des cours d’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité sera examiné par le conseil supérieur de l’éducation ce 29 janvier. Au mois de décembre, 100 sénateurs Les Républicains avaient dénoncé son « militantisme » dans une tribune. Révisé par Elisabeth Borne, son contenu semble aujourd’hui faire davantage consensus.
Les sénateurs ont adopté les crédits de la mission « enseignement scolaire » dans la soirée du 18 janvier. Ils ont repoussé un amendement gouvernemental qui prévoyait 52 millions d’euros d’économies. L’annulation des réductions d’effectifs d’enseignants, annoncée par François Bayrou, est renvoyée à plus tard.
Les places en crèche sont-elles un levier décisif pour relancer la natalité ? C’est en tout cas parce qu’ils avaient essuyé des refus pour chacun de leurs deux enfants qu’une jeune maman et son conjoint ont renoncé à avoir un troisième enfant. En cause : le coût très élevé d’une garde effectuée par une assistante maternelle. Sur le plateau de l’émission Dialogue Citoyen, la jeune mère demande aussi aux sénateurs que la transparence des critères d’attribution des places devienne obligatoire.
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